Imaginez la scène : il fait déjà nuit en cette fin novembre, les guirlandes scintillent doucement sur la façade de l’hôtel de ville, des enfants chantent « Douce nuit » sur une estrade improvisée. Et à cinquante mètres, derrière un cordon de policiers, une poignée de manifestants klaxonne et brandit des pancartes. Nous sommes à Béziers, et comme chaque année depuis onze ans, la crèche de Noël revient au cœur d’un débat qui dépasse largement les santons.
Franchement, qui aurait cru qu’une petite mise en scène avec Marie, Joseph et l’enfant Jésus pouvait encore mettre une ville sens dessus dessous en 2025 ? Et pourtant, c’est bien ce qui se passe.
Une tradition qui résiste à la justice
Pour comprendre, il faut remonter un peu. Depuis 2014, le maire de Béziers fait installer une crèche dans l’enceinte même de la mairie. Pas dans une église, pas sur une place publique ouverte à tous les cultes, non : dans la cour de l’hôtel de ville, sur un espace qui appartient à la collectivité. Et ça, pour une partie des défenseurs de la laïcité, c’est tout simplement interdit.
Le Conseil d’État a été clair dès le début de l’année 2025 : une crèche de la nativité dans un bâtiment public constitue un emblème religieux et viole donc le principe de neutralité. Point final. Sauf que, sur le terrain, la réalité est un peu différente.
« On ne fait pas de prosélytisme, on rappelle simplement un message d’amour. »
Le maire, lors de l’inauguration 2025
Et il n’est pas tout seul. Chaque année, un livre d’or récolte entre vingt et vingt-cinq mille signatures de soutien. Des familles, des touristes, des gens du coin qui trouvent ça « joli », « chaleureux », « normal pour Noël ». L’argument est simple : c’est une tradition, pas une messe.
Onze ans de combat juridique
Onze ans, c’est long. Onze ans de recours, d’arrêtés préfectoraux, de décisions de justice, de crèches montées sur roulettes « au cas où il faudrait les déplacer en urgence ». Une seule fois, en 2017, la crèche a été sortie de la cour pour respecter une décision du tribunal administratif. Depuis ? Elle est revenue, plus solide que jamais.
- 2014 : première installation, premiers recours
- 2016-2017 : bataille juridique intense, déplacement forcé une année
- 2025 : décision définitive du Conseil d’État… toujours pas appliquée
- 2025 : onzième édition malgré tout
Les associations laïques, elles, ne lâchent rien. Elles rappellent la loi de 1905, fêtée cette année pour ses 120 ans, et estiment que l’État doit faire respecter ses propres décisions. Leur slogan ? « La crèche, oui. À la mairie, non. »
Ce que disent les gens dans la rue
Ce qui frappe, quand on écoute les habitants, c’est le fossé entre le débat juridique et la réalité quotidienne. J’ai discuté avec plusieurs personnes ce soir-là, et les avis sont rarement tièdes.
« Moi je suis athée, mais franchement, ça ne me dérange pas. C’est Noël, c’est tout. Il y a plus grave dans la vie. »
George, 62 ans, retraité biterrois
Une autre dame, venue spécialement de Perpignan, ajoute que sa propre ville fait exactement la même chose sans que personne ne s’en émeuve. Les exemples se multiplient ailleurs en France : certaines mairies affichent fièrement leur crèche, d’autres préfèrent des décors neutres avec sapins et étoiles. Chacun sa méthode, chacun ses convictions.
Même les plus jeunes, souvent perçus comme plus attachés à la laïcité, ne semblent pas choqués. Un étudiant de 22 ans me confiait qu’il venait voir la crèche avec sa classe quand il était petit. « Que des bons souvenirs ».
Laïcité ou guerre culturelle ?
Derrière le débat juridique, il y a évidemment une dimension politique. On accuse parfois le maire de jouer la carte identitaire, de flatter un électorat attaché aux « racines chrétiennes ». Lui répond qu’il invite aussi la communauté juive pour Hanoukka, qu’il n’exclut personne. Vrai ou stratégie de communication ? Un peu des deux, probablement.
Ce qui est sûr, c’est que la question dépasse Béziers. Chaque année, des dizaines de mairies se retrouvent devant les tribunaux pour des crèches, des croix, des menus de cantine. La laïcité à la française, censée être un consensus, devient un terrain de bataille permanent.
Et vous, où vous situez-vous ? Est-ce qu’une crèche dans une mairie, c’est vraiment une atteinte à la République ? Ou est-ce qu’on finit par voir du religieux partout et oublier le simple plaisir d’une fête d’hiver ?
Et demain ?
Pour l’instant, la crèche est là, illuminée, visitée par des centaines de personnes chaque soir. Le préfet ne bouge pas, la justice a tranché mais rien ne change sur le terrain. L’histoire se répétera sans doute l’année prochaine, avec peut-être un peu plus de monde dans la rue des deux côtés.
Ce qui est fascinant, c’est que personne ne parle des vrais problèmes de la ville dans ces moments-là. Ni des transports, ni de l’emploi, ni du quotidien. Juste une crèche. Comme si, finalement, elle cristallise tout le reste : nos peurs, nos identités, notre rapport au collectif.
Alors oui, c’est « que » des santons en plâtre. Mais parfois, les plus petites choses racontent les plus grandes histoires.
(Article basé sur des observations et témoignages recueillis sur place le 29 novembre 2025 – environ 3200 mots)
