Imaginez-vous pousser la porte d’une crèche parisienne un matin d’hiver. Vous espériez y déposer votre tout-petit, mais on vous annonce, désolée, que la section est fermée aujourd’hui. Pas assez de personnel. Ce scénario, des milliers de parents le vivent chaque semaine dans la capitale. Et pourtant, quelque part dans le 20e arrondissement, dix-sept jeunes femmes sont en train de changer la donne, une couche et un biberon à la fois.
Franchement, quand on parle de crise dans la petite enfance, on a parfois l’impression d’entendre la même rengaine depuis des années. Mais là, Paris a décidé de prendre le taureau par les cornes. Et pas à moitié.
Quand la mairie devient école de puériculture
Octobre dernier, un événement discret mais lourd de sens a eu lieu dans l’est parisien : l’ouverture du tout premier centre de formation d’apprentis dédié à la petite enfance porté par une collectivité territoriale. En clair ? La Ville de Paris forme désormais elle-même ses auxiliaires de puériculture. Une grande première en France.
Derrière cette initiative, un constat brutal : 18 % des berceaux des crèches municipales restent inutilisés faute de bras pour s’occuper des enfants. L’an dernier, c’était encore pire, autour de 20 %. Autrement dit, près d’une place sur cinq est gelée. Pour les parents, c’est la galère assurée. Pour la mairie, c’est un défi colossal.
« On veut créer une vraie filière de recrutement maison. Les apprenties sont formées à nos valeurs, dans nos structures, avec nos méthodes. Même si rien ne les oblige à rester ensuite, on met tout en œuvre pour qu’elles aient envie de poursuivre l’aventure avec nous. »
Une responsable des ressources humaines du pôle petite enfance
Pourquoi c’est si compliqué de recruter ?
On pourrait croire que travailler avec des bébés, c’est le rêve. Et c’est vrai… sur le papier. Dans la réalité ? Les journées commencent tôt, finissent tard, le bruit est permanent, le salaire n’est pas franchement mirobolant et, cerise sur le gâteau, le coût du logement à Paris rend la vie impossible pour beaucoup de candidates venues de banlieue ou de province.
Résultat : les professionnelles partent, brûlées ou découragées par les trajets interminables. Certaines crèches tournent avec des taux d’encadrement au ras des pâquerettes autorisées. D’autres ferment purement et simplement des sections entières.
- Salaire net moyen d’une auxiliaire débutante : environ 1 600 €
- Loyer moyen d’un studio à Paris : plus de 900 €
- Temps de trajet quotidien depuis la grande couronne : jusqu’à 3 heures aller-retour
Faites le calcul. Vous comprenez vite pourquoi les candidates se font rares.
Un CFA taillé sur mesure
Le centre de formation occupe des locaux entièrement repensés : nurserie avec vrais poupons lestés, salle de change, coin lecture, espace motricité… Tout y est. Les apprenties passent la moitié de leur temps en théorie, l’autre moitié en immersion totale.
Le programme ? 14 mois intenses (10 mois si vous avez déjà le CAP petite enfance). 1 540 heures au total, dont :
- 693 heures de cours dispensés par d’anciennes directrices de crèche
- 76 jours en crèche d’apprentissage (la « crèche d’attache »)
- Des stages en pédiatrie hospitalière et à la protection de l’enfance
Les intervenants ? Des pros de l’AP-HP, des puéricultrices de PMI, des éducateurs spécialisés. Rien n’est laissé au hasard.
Elles ont sauté le pas
Parmi la première promotion, il y a Anaïs, 25 ans. Elle a fait une licence de lettres, puis l’administration. Un jour, un stage en halte-garderie a tout changé. « J’ai compris que c’était ça, ma place. » Aujourd’hui, elle alterne les cours et les premiers pas dans une crèche du 17e. Elle avoue être épuisée mais heureuse comme jamais.
Il y a aussi Maud, 19 ans, qui habitait encore chez ses parents à Meaux il y a quelques mois. Elle a lâché un BTS commercial qui ne lui ressemblait pas. « Depuis toute petite, je garde les cousins, les enfants des voisins… C’était une évidence. » Elle sait que les trajets seront longs, mais elle s’en fiche. Ce qui compte, c’est le sourire des enfants.
« On sent qu’on fait partie d’une même famille. On est accompagnées, valorisées. Ça change tout. »
Une apprentie de la première promotion
Et après ? Une solution vraiment durable ?
À court terme, oui, le CFA va permettre de remettre des professionnelles sur le terrain rapidement. La mairie table sur 36 diplômées par an à pleine capacité. C’est déjà énorme.
Mais soyons honnêtes : former plus de monde ne résoudra pas tout tant que les conditions de travail et les salaires ne suivront pas. Le bonus de 150 € mis en place récemment, c’est bien. La prise en charge des frais de formation pour évoluer vers puéricultrice ou éducatrice de jeunes enfants, c’est mieux. Mais beaucoup aimeraient surtout un vrai coup de pouce sur le logement ou des horaires plus humains.
Et puis il y a la question de l’attractivité du métier en général. Dans dix ans, qui voudra encore changer 30 couches par jour pour 1 700 € net ? La réponse passera forcément par une revalorisation nationale. En attendant, Paris montre l’exemple en prenant le problème à bras-le-corps.
Ce que ça dit de notre société
Au-delà des chiffres, cette histoire en dit long sur nos priorités collectives. On parle beaucoup de natalité, de conciliation vie pro/vie perso, de féminisation des métiers… Et pendant ce temps, celles qui permettent à des centaines de milliers de parents de travailler sont sous-payées et épuisées.
Le CFA parisien, c’est une goutte d’eau dans l’océan, mais c’est aussi un signal fort : oui, on peut innover quand on le décide vraiment. D’autres grandes villes regardent déjà le modèle de près.
Alors oui, il reste du chemin. Beaucoup. Mais quand on voit ces jeunes femmes déterminées, prêtes à se lever à 5 h 30 pour aller s’occuper des bébés des autres, on se dit que l’espoir est peut-être là. Dans un sourire édenté, dans un câlin collant de compote, dans une chanson chuchotée à l’oreille d’un enfant qui s’endort enfin.
Parce qu’au fond, c’est de ça dont il s’agit : redonner du sens à un métier essentiel. Et peut-être, qui sait, redonner un peu de sérénité à des milliers de familles parisiennes.
Et vous, qu’en pensez-vous ? La formation en interne est-elle la bonne piste ou faut-il d’abord revaloriser massivement les salaires ? Les commentaires sont ouverts.
