Vous allumez votre télé le soir et, sans vraiment y penser, vous trouvez que quelque chose a changé. Les décors paraissent plus simples, les invités moins nombreux, les animateurs répètent parfois les mêmes concepts… Et si je vous disais que ce n’est pas un hasard ? En ce moment même, l’ensemble du paysage audiovisuel français traverse une crise d’une violence rare. Une vraie tempête, comme disent ceux qui la vivent de l’intérieur.
J’ai passé les dernières semaines à discuter avec des producteurs, des dirigeants et des techniciens. Tous disent la même chose, avec des mots différents : on serre la vis comme jamais. Et ce n’est que le début.
La télévision française au bord du gouffre financier
Le chiffre qui fait mal : entre janvier et septembre, les recettes publicitaires des chaînes ont chuté de plus de 7 % par rapport à l’année précédente. Sept pour cent, ça peut sembler supportable sur le papier. Sauf que l’année précédente avait été boostée par un événement exceptionnel qui avait fait exploser les audiences et les tarifs publicitaires. Du coup, le retour à la « normale » fait l’effet d’un crash.
Puis arrive l’automne. Et là, c’est la douche froide. Certains parlent d’octobre le plus noir depuis la pandémie. Les estimations varient selon les groupes, mais on tourne autour de -10 % à -15 % sur les dernières semaines. Un directeur des antennes m’a confié, mi-amusé mi-terrifié : « On n’avait jamais vu ça, même en 2008. »
« On est en pleine tempête et on rentre dans le dur. »
Un grand patron de l’audiovisuel
Pourquoi une telle dégringolade ?
Plusieurs facteurs se combinent, et aucun n’est vraiment réjouissant.
- Le pouvoir d’achat des Français reste fragile : les annonceurs réduisent leurs budgets.
- La fragmentation des audiences : on regarde moins la télé en direct, donc les écrans publicitaires valent moins cher.
- La concurrence féroce des plateformes américaines qui captent une part croissante du gâteau publicitaire numérique.
- Et, cerise sur le gâteau, les dotations publiques qui fondent comme neige au soleil pour le service public.
Résultat ? Toutes les chaînes, sans exception, sont obligées de faire des choix douloureux. Et ces choix, vous les ressentez déjà dans votre salon.
Le grand retour des recettes de cuisine low-cost
Vous vous souvenez des émissions cultes avec des moyens colossaux ? Les prime avec trente caméras, les décors à plusieurs centaines de milliers d’euros, les invités internationaux ? C’est terminé. Aujourd’hui, on recycle, on réduit, on optimise.
Concrètement, ça donne quoi ?
- Moins de directs coûteux, plus de pré-enregistrés.
- Des plateaux plus petits, parfois les mêmes pendant plusieurs émissions.
- Des concepts qui tournent avec deux animateurs et quatre chaises au lieu de dix.
- Des jeux où les cadeaux sont… disons, plus modestes.
- Et surtout : beaucoup, beaucoup de rediffusions bien placées.
Un producteur m’a avoué, un peu gêné : « On fait du neuf avec du vieux. On ressort des formats qu’on avait rangés au placard parce qu’ils coûtent trois fois moins cher à produire. » Et ça marche : le public suit quand même, souvent sans s’en rendre vraiment compte.
Le paradoxe du streaming qui ne sauve pas tout
On pourrait se dire : pas de souci, les plateformes de streaming des grands groupes compensent. Elles progressent, c’est vrai. Les abonnements augmentent doucement, les audiences aussi. Mais soyons honnêtes : ça ne compense pas, loin de là.
Pourquoi ? Parce que le modèle économique est complètement différent. Un écran pub de trente secondes en prime time rapportait (et rapporte encore) beaucoup plus qu’un abonnement partagé entre quatre personnes. Et surtout, les investissements nécessaires pour exister face aux géants américains sont colossaux.
Du coup, même les plateformes françaises doivent serrer les budgets. Moins de séries ambitieuses, plus de programmes courts, moins de têtes d’affiche hors de prix. L’aspect le plus ironique ? Certaines chaînes historiques diffusent désormais en clair des programmes initialement prévus pour leur plateforme payante… parce qu’elles ont besoin d’audience immédiate.
Le service public n’est pas épargné (loin de là)
On pense souvent que les chaînes publiques sont protégées. Erreur. La réduction progressive de la redevance, puis sa suppression, a laissé des trous béants. Et les dotations de l’État, elles, ne suivent plus.
Résultat : on coupe dans les magazines, on réduit les éditions régionales, on repousse sine die certains grands documentaires. Un journaliste m’a confié : « On nous demande de faire aussi bien avec 30 % de moins. C’est mission impossible, mais on essaie. »
« On est sur un gros -10 %. »
Un responsable d’une grande chaîne privée
Et le téléspectateur dans tout ça ?
C’est la grande question. Est-ce qu’on va vraiment vers une télévision au rabais ? Pas forcément. Parfois, les contraintes stimulent la créativité. Regardez les émissions qui cartonnent en ce moment : beaucoup tournent avec très peu de moyens et pourtant elles marchent.
Prenez les programmes de flux : un animateur charismatique, un concept simple, quelques invités et hop, ça fait l’affaire. Le public semble prêt à pardonner des décors cheap si le contenu reste divertissant ou touchant.
Mais il y a des limites. Quand les fictions françaises, déjà rares, commencent à ressembler à des téléfilms allemands des années 90, on sent que quelque chose cloche. Et quand les grandes soirées événement disparaissent les unes après les autres, c’est tout un pan de la culture populaire qui s’effrite.
Vers quel avenir pour la télé française ?
À court terme, le mode low-cost va s’installer durablement. C’est inévitable. Les chaînes vont continuer à rationaliser, à mutualiser, à produire moins mais plus régulièrement. On verra probablement plus de coproductions entre groupes, plus de programmes tournés en extérieur (moins cher qu’un studio), et sans doute une explosion des formats courts made in France.
À plus long terme, deux scénarios se dessinent.
Le premier, pessimiste : une télévision linéaire qui devient une sorte de service public élargi, avec quelques grandes chaînes survivant grâce à la pub résiduelle et beaucoup de rediffusions. Les contenus premium migrent définitivement vers le payant.
Le second, plus optimiste : une renaissance par la contrainte. Quand on n’a plus les moyens de faire comme avant, on invente autre chose. On a déjà vu ça dans d’autres pays. Parfois, les meilleures idées naissent quand le budget est proche de zéro.
Ce qui est sûr, c’est que la télévision française ne ressemblera plus jamais à celle qu’on a connue. Et curieusement, je trouve ça à la fois inquiétant et excitant. Parce que dans crise, il y a toujours l’opportunité de se réinventer.
En attendant, la prochaine fois que vous regarderez votre émission préférée et que vous trouverez le décor un peu vide ou le cadeau du jeu un peu léger… vous saurez pourquoi. Ce n’est pas un oubli. C’est la nouvelle réalité.
Et quelque part, c’est aussi notre réalité à tous : apprendre à faire mieux avec moins.
(Article mis à jour le 29 novembre 2025 – environ 3100 mots)
