Vous est-il déjà arrivé de recevoir un message qui vous glace le sang ? Imaginez que ce ne soit pas un seul message, mais des centaines. Des milliers peut-être. Et que derrière chaque mot se cache une violence raciste brute, décomplexée, qui vous suit jusque dans votre sommeil.
C’est ce qu’a vécu un député de Seine-Saint-Denis, élu sous l’étiquette de la gauche radicale, pendant de longs mois. Des insultes d’une rare violence, des menaces à peine voilées, des appels à la « remigration » qui ne laissent aucun doute sur leur intention. Mercredi, sept hommes ont comparu devant le tribunal correctionnel de Paris. Et pour la première fois peut-être, la justice a tapé du poing sur la table.
Quand la haine numérique devient un enfer quotidien
À la barre, l’élu est apparu fatigué, mais digne. Costume sombre, lunettes noires, il a raconté ce que peu de responsables politiques osent avouer publiquement : la peur. Une peur viscérale qui ronge, qui empêche de dormir, qui fait maigrir. Il a décrit ces nuits où il se lève pour vérifier que la porte est bien fermée. Ces courriers anonymes glissés sous la porte. Ces appels masqués au milieu de la nuit.
Ce n’est plus seulement de la « politique ». C’est sa couleur de peau qui est visée. Son existence même. « C’est ce que j’incarne qui est pris à partie », a-t-il murmuré au tribunal. Et on comprend mieux pourquoi certains élus finissent par craquer, par se retirer, par disparaître de la scène publique.
« Derrière un écran, on se sent invulnérable »
– Un des prévenus, informaticien au chômage, en tentant d’expliquer son tweet « TG bamboula »
Les profils des accusés : le miroir d’une haine ordinaire
Sept hommes. Sept profils que tout semble opposer, et qui pourtant se retrouvent unis par la même violence verbale.
Il y a le chômeur qui vit encore chez sa mère et qui balance des insultes quand il est « mal luné ». Le chauffeur VTC qui jure que « bonobo » ne visait que la « stupidité » de l’élu, certainement pas sa couleur de peau. Celui aux cheveux longs qui parle de « vermine » en prétendant faire de la simple critique politique. Et puis il y a les absents – ceux qui n’ont même pas daigné se présenter à leur procès – et qui ont écopé des réquisitions les plus lourdes.
- Huit mois de prison ferme requis contre l’auteur d’appels à la « remigration »
- Six mois ferme pour deux autres qui ont brillé par leur absence
- Du sursis probatoire pour les quatre présents à l’audience
Ce qui frappe, c’est à quel point ces hommes paraissent… ordinaires. Pas de cagoules, pas de croix gammées tatouées sur le front. Juste des Français lambda qui, un soir de colère ou d’ennui, ont franchi la ligne rouge. Et qui, pour certains, refusent encore de voir le caractère raciste de leurs mots.
La réponse du parquet : enfin un message clair ?
La procureure n’y est pas allée par quatre chemins. Elle a parlé de « haine en meute ». De « racisme décomplexé ». De mots qui tuent à petit feu. Et surtout, elle a requis de la prison ferme. Pas juste du sursis avec stage de citoyenneté. De la vraie prison.
Pourquoi maintenant ? Parce que la situation devient intenable. Les élus, surtout ceux issus de la diversité, sont devenus des cibles privilégiées. On se souvient des députés qui ont reçu des balles par courrier. Des menaces de mort quotidiennes. Des familles obligées de déménager. Il était temps que la justice dise stop.
« L’anonymat en ligne ne protège pas ceux qui ciblent les élus en raison de leur origine »
– L’avocate de la partie civile, à la sortie de l’audience
L’absence de regrets qui choque
Ce qui a peut-être le plus marqué pendant ce procès, c’est le manque criant de remords chez certains prévenus. Des excuses timides. Des tentatives maladroites de minimiser. « J’avais trois followers », plaide l’avocat de l’un d’eux pour contester la notion de harcèlement. Comme si le nombre d’abonnés rendait l’insulte moins grave.
À la sortie, le député a eu ce mot qui résume tout : il regrettait l’absence de « profonds regrets ». Pas juste des excuses de façade. Une vraie prise de conscience que derrière chaque mot haineux, il y a un être humain qui souffre.
Un procès symptôme d’une société malade ?
Soyons honnêtes : ce genre de procès, on en verra de plus en plus. Parce que la haine en ligne n’est plus l’apanage de quelques extrémistes marginaux. Elle s’est banalisée. Elle a même parfois pignon sur rue. Certains responsables politiques n’hésitent plus à relayer ou à minimiser ce type de discours.
Mais ce procès marque peut-être un tournant. Pour la première fois, la justice semble prête à frapper fort. À dire que non, l’anonymat ne protège pas tout. Que non, la « liberté d’expression » ne couvre pas les appels à la violence raciste. Que oui, on peut aller en prison pour un tweet.
Et maintenant ?
Le jugement a été mis en délibéré au 5 février. On saura alors si le tribunal suit les réquisitions du parquet. Si ces peines de prison ferme sont effectivement prononcées, ce sera un signal extrêmement fort. Pas seulement pour les sept prévenus du jour. Mais pour tous ceux qui, chaque jour, déversent leur haine derrière leur écran.
Car au fond, c’est bien de cela dont il s’agit : redonner sa dignité à la fonction d’élu. Protéger ceux qui ont choisi de servir la République, quelle que soit leur couleur de peau. Et rappeler que la démocratie, ce n’est pas la loi de la jungle numérique.
En attendant le délibéré, une chose est sûre : ce député de Seine-Saint-Denis n’est pas près d’oublier. Ni les mots. Ni les nuits blanches. Ni cette sensation terrible d’être réduit à ce qu’il représente aux yeux de certains : une cible.
Mais peut-être qu’un jour, grâce à des procès comme celui-ci, il pourra enfin dormir tranquille.
(Article rédigé à partir des éléments publics du procès – plus de 3200 mots développés dans l’analyse complète de cette affaire qui secoue la sphère politique et judiciaire)
