Vous souvenez-vous de cette journée glaciale de fin décembre 2024 où le monde du ski a retenu son souffle ? Un descendeur français venait de vivre l’impensable sur la terrifiante piste italienne de Bormio. Les images, brutales, ont fait le tour du globe. Et pourtant, moins de douze mois plus tard, ce même athlète glissait à nouveau sur la neige. Pas pour la performance, non. Juste pour le plaisir de sentir la montagne sous ses planches. Ce genre d’histoire, franchement, ça vous prend aux tripes.
Un cap symbolique franchi sans tambour ni trompette
Lundi matin, à Courchevel. Rien de bien compliqué dans l’idée : le ciel était bleu, la neige parfaite, alors pourquoi se priver ? Cyprien Sarrazin a enfilé une paire de skis larges, ceux qu’on prend quand on veut simplement cruiser, et il est parti. Pas de chrono, pas de portillons, pas de dossard. Juste lui, la pente et des années de souvenirs qui défilaient sûrement sous le casque.
À son retour, il avait « une grande banane », comme il dit. Le genre de sourire qu’on ne peut pas feindre. Parce que oui, rechausser les skis quand on a frôlé le pire, c’est tout sauf anodin. C’est même, selon ses propres mots, « émouvant ». Un seul mot, mais qui porte toute la charge d’une année passée entre hôpitaux, rééducation et nuits à se demander si on remarchera un jour normalement.
« J’avais une grande banane quand je suis rentré chez moi. […] C’était émouvant. »
Cyprien Sarrazin
Des skis de randonnée, pas encore ceux de la descente
Attention, ne nous emballons pas. Le Gapençais de 31 ans reste lucide : il est très loin de pouvoir remettre des planches de descente, ces fusées rigides qui dépassent les 140 km/h. Pour l’instant, il savoure des sorties tranquille, quand l’envie lui prend et que la météo le permet. Pas de planning, pas de pression. Juste le luxe de pouvoir choisir.
Et ça, dans le milieu du ski alpin où tout est millimétré des années à l’avance, c’est presque une petite révolution personnelle.
Les genoux, ce boulet qui date d’avant l’accident
Si la chute de Bormio a été spectaculaire, elle n’est pas seule responsable des galères actuelles. Avant même ce drame, Cyprien skiait déjà « sur une patte et demie ». Ses cartilages de genoux, usés prématurément par des années de chocs à plus de 120 km/h, le faisaient souffrir depuis longtemps. Aujourd’hui, la douleur est toujours là, tenace, parfois insupportable.
Il le dit sans filtre : « C’est très douloureux ». Et quand on connaît le bonhomme, plutôt du genre à serrer les dents, on mesure à quel point ça doit être sérieux. Il cherche encore « la solution miracle », celle qui lui rendrait des genoux de vingt ans. En attendant, il gère. À son rythme.
- Rouler à vélo (route ou VTT) dès que possible
- Renforcer le physique sans forcer sur les articulations
- Skier quand le corps dit oui
- Profiter de la famille et des proches
Son programme hivernal ressemble plus à celui d’un montagnard heureux qu’à celui d’un athlète en reconstruction express.
Kitzbühel oui, Bormio non
Il y a des lieux qu’on porte en soi comme des trophées, et d’autres qu’on préfère laisser derrière. Kitzbühel, évidemment, fait partie de la première catégorie. Le double vainqueur de la Streif en 2024 compte bien y retourner en janvier, ne serait-ce que pour vibrer dans la zone d’arrivée et retrouver les copains.
Bormio ? Niet. Trop de souvenirs, trop de frissons. Et puis, ironie du sort, c’est justement là-bas que se disputeront les épreuves masculines de ski alpin des Jeux de Milan-Cortina en février 2026. Lui sera devant sa télé, comme nous tous les quatre ans.
« Les JO, je les regarderai à la télé, comme d’habitude. Je les ai regardés un paquet de fois à la TV… »
Difficile de ne pas y voir une pointe d’amertume, même s’il l’assume avec le sourire. Après tout, à 31 ans et avec son palmarès, il aurait pu rêver d’un destin olympique. Mais le sport de haut niveau, parfois, ne vous laisse pas le choix.
Un mental d’acier forgé dans l’adversité
Ce qui frappe, quand on écoute Cyprien ces derniers temps, c’est sa sérénité. Lui qui a connu la colère, la tristesse, les crises d’angoisse après l’accident, semble aujourd’hui apaisé. Il parle de son retour sur les skis comme d’un cadeau, pas comme d’une obligation. Et ça change tout.
Dans un milieu où la pression est permanente – sponsors, fédération, médias, supporters – choisir de lever le pied relève presque de l’acte militant. Il ne ferme aucune porte, mais il ne s’en ouvre pas non plus à la va-vite. Peut-être le plus bel enseignement de cette année cauchemardesque.
On a tous en tête des athlètes qui, après une grosse blessure, reviennent trop tôt et se grillent définitivement. Cyprien, lui, semble avoir compris que le temps est désormais son allié. Et ça force le respect.
Et nous, qu’est-ce qu’on en retient ?
Au-delà de l’anecdote sportive, l’histoire de Cyprien Sarrazin nous renvoie à quelque chose de profondément humain. On court tous après des objectifs, des deadlines, des performances. Et parfois, la vie nous stoppe net pour nous rappeler l’essentiel : pouvoir marcher, rire, profiter.
Le voir sourire sur des images toutes simples, en train de faire des virages tranquilles sous le soleil de Courchevel, c’est presque plus fort que n’importe quelle victoire sur la Streif. Parce que c’est la victoire sur soi-même, sur la peur, sur le doute.
Alors oui, on rêverait tous de le revoir un jour en combinaison, dévaler la Face de Bellevarde ou la Hahnenkamm à fond les ballons. Mais s’il ne revient jamais à ce niveau ? Franchement, est-ce que ça changerait quelque chose à l’admiration qu’on lui porte ? Personnellement, je ne crois pas.
Parfois, les plus belles victoires ne se mesurent pas en centièmes de seconde.
Prenez soin de vous, skiez prudemment, et n’oubliez jamais de savourer les petites joies que la montagne nous offre. Parce que, comme Cyprien nous le montre si bien, elles valent parfois toutes les médailles du monde.
