Il y a des chutes qui font plus de bruit que d’autres. Quand, à 26 ans, un jeune homme devient le plus jeune maire d’une ville de plus de 50 000 habitants en France et qu’on le présente déjà comme le futur dauphin, on imagine mal la descente dix ans plus tard. Et pourtant, c’est exactement ce qui arrive à David Rachline en ce début décembre 2025.
Le couperet est tombé presque sans surprise, mais il reste brutal : il ne sera plus vice-président du Rassemblement National et, surtout, il ne portera plus les couleurs du parti pour les municipales de mars 2026 à Fréjus. L’histoire d’une ascension météorique qui se termine en sortie de route.
Un retrait qui n’a rien de volontaire
Officiellement, on parle de « mise en retrait » choisie par l’intéressé lui-même. En réalité, les choses sont bien plus simples : le parti ne veut plus de lui sous sa bannière. Le directeur de campagne des municipales l’a confirmé sans détour : David Rachline n’a même pas demandé l’investiture. Traduction : il savait qu’on la lui refuserait.
Et quand Marine Le Pen déclare sur une grande radio matinale qu’elle « souhaite » qu’il ne soit plus vice-président, le message est limpide. Même si elle ajoute, un peu gênée, qu’il reste « un ami », le divorce politique est consommé.
« Moi je souhaite qu’il ne soit plus vice-président du RN »
– Marine Le Pen, le matin même de l’annonce officielle
Retour sur une ascension fulgurante
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut remonter le fil. 2014. David Rachline, 26 ans, inconnu du grand public, terrasse le maire UMP sortant de Fréjus avec 40,50 % des voix au second tour. Le RN tient enfin une ville de cette taille. Les caméras affluent, les commentateurs parlent d’une nouvelle génération.
Très vite, il devient directeur de campagne de Marine Le Pen pour la présidentielle 2017, puis sénateur du Var à seulement 30 ans – là encore un record de précocité. En parallèle, il grimpe dans l’organigramme du parti : directeur de la communication, puis vice-président exécutif en 2022. On le présente comme le « meilleur ami » de la patronne. Certains y voient déjà le successeur de Jordan Bardella le jour où celui-ci voudra passer la main.
À Fréjus, il rempile facilement en 2020 avec plus de 58 % des voix. La success-story semble inarrêtable.
Les premières fissures
Et puis arrivent les révélations. D’abord dans un livre d’investigation paru fin 2023, puis dans la presse locale et nationale. On parle de marchés publics douteux, de proximité trop grande avec certains entrepreneurs du BTP, de nominations contestées à la tête de structures publiques.
- Mars 2024 : perquisitions à la mairie de Fréjus et au domicile du maire
- Plusieurs enquêtes préliminaires ouvertes pour prise illégale d’intérêts et favoritisme
- Des entrepreneurs locaux mis en examen dans des dossiers connexes
David Rachline dénonce une cabale politique. Ses soutiens parlent d’acharnement judiciaire. Mais les faits sont têtus.
L’affaire qui a tout fait basculer
Au cœur du dossier : sa double casquette. Entre 2017 et 2020, il a participé aux votes du conseil municipal qui validaient… sa propre nomination à la tête de deux sociétés d’économie mixte : Fréjus Aménagement et la Gestion du port. Des postes rémunérés en plus de son indemnité de maire.
Problème : la loi est claire. Un élu ne peut pas voter une délibération dont il tire un bénéfice personnel. Il aurait dû sortir de la salle. Il ne l’a pas fait. Le parquet a requis 30 000 euros d’amende et un an d’inéligibilité. Le jugement est attendu pour le 27 janvier 2026 – pile entre les deux tours des municipales.
Autrement dit, même s’il avait voulu garder l’investiture RN, le parti se serait exposé à voir son candidat déclaré inéligible en plein milieu de la campagne. Impensable.
Une stratégie de purification avant 2027 ?
Il y a clairement une volonté, au sommet du RN, de faire le ménage avant la prochaine présidentielle. On se souvient des affaires qui ont plombé les campagnes précédentes. Cette fois, le parti veut arriver propre comme un sou neuf.
D’autres élus locaux sont dans le viseur. Certains ont déjà été priés de se mettre en retrait. David Rachline n’est que le plus visible, le plus symbolique. Parce qu’il incarnait précisément cette nouvelle génération censée démontrer que le RN avait changé.
Le paradoxe est cruel : plus l’étoile était brillante, plus la chute est spectaculaire.
Et maintenant ?
Rien n’empêche David Rachline de se représenter à Fréjus sans étiquette – ou sous une autre étiquette. Il reste populaire localement, même si son image s’est abîmée. Certains de ses adjoints parlent déjà d’une liste « Fréjus d’abord », sans parti national.
Mais sans le logo RN sur les affiches, sans les moyens du parti, sans le soutien logistique, la bataille sera autrement plus compliquée. Surtout face à une opposition qui sent le sang.
Et puis il y a cette décision de justice qui plane. S’il écope d’inéligibilité, même avec sursis, tout devient plus compliqué. Voire impossible.
Ce que ça dit du RN version 2025
Plus largement, cette affaire interroge la capacité du Rassemblement National à gérer ses succès locaux. Quand on conquiert des mairies, on passe du statut de parti protestataire à celui de parti de gouvernement local. Et là, les règles changent. La gestion, les appels d’offres, la transparence deviennent des réalités quotidiennes.
Certains y voient la preuve que le RN n’est pas encore prêt à exercer le pouvoir durablement. D’autres estiment au contraire que couper dans le vif quand il le faut est précisément la marque d’un parti qui a grandi.
Une chose est sûre : à seize mois de la présidentielle, le RN n’avait pas besoin de cette séquence. Elle rappelle les vieux démons au pire moment.
Un silence qui en dit long
Depuis l’annonce, David Rachline n’a pas pris la parole publiquement. Pas de communiqué rageur, pas de passage en boucle sur les chaînes d’info pour clamer son innocence. Juste un silence assourdissant.
Est-ce la stratégie de l’avocat qui lui conseille de se taire avant le procès ? La résignation d’un homme qui sait que la page est tournée ? Ou la préparation d’une contre-attaque que personne n’anticipe ?
L’avenir le dira. Mais une chose est déjà certaine : une des plus belles histoires du RN moderne vient de prendre fin. Brutalement. Et ça laisse un goût amer, même chez ceux qui n’ont jamais voté pour lui.
Parce qu’au fond, derrière les affaires et les communiqués laconiques, il y a une trajectoire humaine. Un gamin de Sarcelles devenu maire à 26 ans, propulsé sous les projecteurs, porté aux nues, et qui redescend aujourd’hui aussi vite qu’il était monté.
En politique, il n’y a pas de happy end garanti. Il n’y a que des chapitres qui se ferment. Celui de David Rachline au RN vient de s’achever. Le suivant s’écrira peut-être sans le parti qui l’a tout donné. Et qui vient de tout lui reprendre.
