Il y a des nouvelles qui vous tombent dessus comme un coup de massue. Dimanche 7 décembre, on apprend que l’épouse d’Issiaga Sylla nous a quittés à Tunis, emportée par une maladie aussi soudaine que fulgurante. À 31 ans, le latéral gauche guinéen, capitaine de son sélection, se retrouve seul avec sa petite fille et un vide immense. Et là, en quelques heures seulement, le football a montré qu’il pouvait être bien plus qu’un business : une vraie famille.
Quand le football oublie les rivalités pour ne plus être qu’humain
Je suivais Issiaga depuis ses débuts à Toulouse, ce gamin discret qui courait partout sur son couloir gauche sans jamais faire de bruit hors du terrain. Treize années en France, des centaines de matchs, une régularité de métronome. Et puis cet été, direction la Grèce, l’Astéras Tripolis, un nouveau défi à l’âge où certains commencent à lever le pied. Personne n’imaginait que le vrai combat allait se jouer ailleurs, bien loin des pelouses.
La nouvelle est tombée en fin de week-end. Pas de détails cliniques, juste l’essentiel : Doussou Keita n’est plus. Et là, c’est toute une chaîne de solidarité qui s’est mise en route, comme si le ballon rond avait soudain décidé de mettre les ego et les rivalités au placard.
Le geste fort de ses coéquipiers grecs
Le plus beau cliché ? Celui des joueurs de l’Astéras Tripolis, alignés dans le vestiaire, brandissant ensemble le maillot floqué Sylla avec ces deux mots écrits en français : « Courage frère ». Pas de logo sponsor en gros plan, pas de mise en scène marketing. Juste des mecs unis autour de leur pote qui souffre à des milliers de kilomètres. En une image, tout est dit.
« Courage frère » – le message simple et puissant des joueurs de l’Astéras Tripolis
En Grèce, on parle pourtant peu le français. Le fait qu’ils aient choisi notre langue, celle d’Issiaga pendant treize ans, ça veut tout dire.
La France entière se souvient du « guerrier » Sylla
En France, les clubs où il a laissé une trace n’ont pas tardé à réagir. Toulouse d’abord, son club de cœur, celui qui l’a accueilli à 18 ans et avec qui il a tout connu : la descente en Ligue 2, les remontées, les soirées européennes. Plus de 200 matchs sous le maillot violet. Le message est sobre, sincère :
« Nous pensons très fort à Issiaga et à ses proches dans cette terrible épreuve. »
Lens ensuite, où il n’a passé qu’une saison (2020-2021) mais où on se souvient encore de son abnégation lors du retour en Ligue 1. Montpellier enfin, son dernier club français, qui publie une photo de lui sous le maillot orange avec un texte qui serre le cœur :
« Ce soir nous pensons très fort à Issiaga Sylla qui traverse un drame personnel ainsi qu’à sa petite fille et leur famille. Courage Issiaga. »
Le Gazélec Ajaccio, club plus modeste, a lui aussi tenu à marquer le coup. Parce que dans le foot, on n’oublie pas ceux qui ont mouillé le maillot, même dans l’ombre.
La Guinée en deuil avec son capitaine
Mais c’est évidemment en Guinée que le choc est le plus violent. Issiaga Sylla, ce n’est pas qu’un joueur. C’est le capitaine du Syli National, celui qui porte le brassard avec une fierté tranquille, celui qui a disputé toutes les grandes compétitions ces dernières années. Le président de la fédération guinéenne a pris la parole avec des mots lourds de sens :
« Le football guinéen perd aujourd’hui une sœur, une épouse, une mère. Nous nous inclinons respectueusement devant sa mémoire. »
– Le président de la Fédération Guinéenne de Football
Quand un président de fédération parle d’une épouse comme d’une « sœur » du football national, on mesure l’impact que ce couple avait au pays.
Un parcours exemplaire, une discrétion touchante
Revenons un peu sur le bonhomme, parce qu’on a parfois tendance à oublier ceux qui ne font pas la une tous les week-ends. Issiaga Sylla arrive en France en 2012, tout juste 18 ans, en provenance du Horoya AC. Toulouse le recrute, le forme, le patiemment. Il va gravir tous les échelons : équipe réserve, premiers bouts de match en Ligue 1, puis titulaire indiscutable.
- 2012-2023 : Toulouse (plus de 211 matchs)
- 2015-2016 : prêt au Gazélec Ajaccio (38 matchs)
- 2020-2021 : prêt à Lens (21 matchs)
- 2023-2025 : Montpellier (54 matchs)
- Été 2025 : départ pour l’Astéras Tripolis
Des chiffres froids pour une carrière brûlante de régularité. Jamais un carton rouge stupide, jamais une interview polémique. Le genre de joueur que les entraîneurs adorent et que les supporters finissent par chérir même s’il ne marque pas dix buts par saison.
J’ai souvenir d’un match à Montpellier la saison dernière, contre Paris. Issiaga avait couru 13 kilomètres, gagné 11 duels, et à la fin du match il était allé applaudir les supporters pailladins comme si c’était son club de toujours. Ce genre de détail qui ne s’invente pas.
Le football, cette grande famille… quand il veut bien
On critique souvent le foot moderne : l’argent, les ego, les réseaux sociaux. Et puis il y a des moments comme celui-ci. Des moments où un joueur grec écrit « Courage frère » en français sur un maillot. Où un club de Ligue 1 pense à publier une photo d’un joueur parti deux ans plus tôt. Où toute une nation pleure avec son capitaine.
C’est peut-être ça, la vraie beauté de ce sport. Au-delà des millions, des transferts et des polémiques, il reste des hommes. Des frères de vestiaire qui, quand la vie frappe, oublient les couleurs pour ne plus porter qu’une seule : celle de l’humanité.
Issiaga va avoir besoin de tout cet amour dans les semaines et les mois à venir. Revenir sur un terrain après ça ? Personne ne sait quand. Ni comment. Mais une chose est sûre : il ne sera jamais seul. Le football entier lui a envoyé le même message, en grec, en français, en guinéen : on est là, frère.
Courage Issiaga. Courage à ta petite fille. Courage à toute ta famille. Le ballon reprendra un jour sa route, mais aujourd’hui, il s’est arrêté pour toi.
(Note : les dates et modalités des obsèques seront communiquées ultérieurement par la famille et la fédération guinéenne. Respectons leur douleur et leur intimité.)
