Imaginez un instant : un jeune homme de 19 ans, condamné à mort pour avoir osé défier l’occupant. Puis, des décennies plus tard, ce même homme, devenu centenaire, raconte son histoire à des milliers d’élèves, sans une once de haine dans la voix. C’est l’histoire vraie d’Henri Mosson, qui nous a quittés à l’âge de 101 ans, juste avant son 102e anniversaire. Son départ marque la fin d’une époque, celle des derniers témoins directs d’un chapitre parmi les plus sombres de notre histoire.
Le départ d’un passeur de mémoire irremplaçable
Quand on apprend la disparition d’Henri Mosson, on ne peut s’empêcher de ressentir une pointe de tristesse mêlée d’admiration. Cet homme a traversé l’impensable, et pourtant, il a choisi de consacrer le reste de sa vie à empêcher que l’on oublie. Doyen des survivants du seul camp de concentration nazi implanté sur le sol français, Natzweiler-Struthof en Alsace, il incarnait jusqu’au bout cette obligation de se souvenir.
Son fils a annoncé la nouvelle avec des mots qui résument tout : il a transmis le flambeau de la mémoire, un flambeau qu’il portera désormais avec force. C’est touchant, non ? Parce que derrière les grands discours sur le devoir de mémoire, il y a des familles, des enfants, des petits-enfants qui grandissent avec ces récits gravés dans leur ADN.
Un engagement précoce dans la Résistance
Tout commence en Bourgogne, pendant l’Occupation. Henri Mosson n’a même pas 20 ans quand il décide de récupérer des armes pour les résistants locaux. Un acte courageux, presque fou quand on y pense aujourd’hui. En juin 1943, la sentence tombe : condamnation à mort. À cet âge, la plupart d’entre nous découvraient à peine la vie adulte. Lui, il affrontait déjà la perspective de la perdre.
Mais le destin en décide autrement. Sa peine est commuée, et il est envoyé au camp de Natzweiler-Struthof. Ce lieu, perché dans les Vosges alsaciennes, porte une particularité glaçante : c’était le seul camp de concentration construit par les nazis sur le territoire français. Un endroit conçu pour faire disparaître sans trace les opposants politiques, ceux que l’on appelait les Nacht und Nebel – Nuit et Brouillard.
Les détenus y étaient censés s’évaporer dans l’ombre, sans que leurs familles sachent jamais ce qu’ils étaient devenus. Une stratégie terrifiante pour briser toute résistance. Henri Mosson a vécu cela de l’intérieur. Et pourtant, il en est ressorti.
Il faut informer les jeunes. On ne sait pas ce qui peut arriver.
Ces mots, prononcés récemment, montrent à quel point il restait vigilant jusqu’à la fin. Il évoquait même les événements contemporains, comme le conflit en Ukraine, pour rappeler que l’histoire peut bégayer si on baisse la garde.
Natzweiler-Struthof : un lieu à part dans l’horreur nazie
Pour comprendre l’importance du témoignage d’Henri Mosson, il faut revenir sur ce qu’était vraiment ce camp. Situé dans une ancienne carrière de granit rose, il servait à la fois à exploiter la main-d’œuvre des détenus et à les éliminer discrètement. Les conditions étaient effroyables : froid intense, malnutrition, travail forcé dans la pierre.
Ce qui rend Natzweiler-Struthof unique, c’est aussi la présence d’une chambre à gaz, utilisée pour des expériences médicales abominables. Des milliers de personnes y ont perdu la vie, dont de nombreux résistants français, belges, norvégiens… Henri Mosson a vu cela. Il a côtoyé la mort au quotidien.
Transféré ensuite à Dachau, en Allemagne, il est libéré le 30 avril 1945. Cette date marque le début d’une nouvelle vie, mais aussi d’une mission : raconter. Pas pour se venger, non. Simplement pour que ça ne se reproduise jamais.
- Un camp perché à 800 mètres d’altitude, avec des hivers particulièrement rigoureux
- Environ 52 000 déportés au total, dont une forte proportion de résistants
- Une carrière de granit exploitée pour les projets architecturaux nazis
- Des kommandos extérieurs dispersés en Alsace et en Allemagne
- Une chambre à gaz construite spécifiquement sur place
Ces éléments font de Natzweiler-Struthof un site mémoriel essentiel, visité encore aujourd’hui par des milliers de personnes chaque année.
Une vie dédiée à la transmission
Ce qui frappe le plus chez Henri Mosson, c’est sa détermination à parler. Il a intervenu dans près de 200 établissements scolaires, en France mais aussi en Allemagne. Oui, en Allemagne. Parce que pour lui, la mémoire n’était pas une question de nationalité, mais d’humanité.
À ses quatre enfants, six petits-enfants et dix arrière-petits-enfants, il a transmis cette même exigence. Mais son audience allait bien au-delà de sa famille. Des milliers d’élèves ont pu l’écouter raconter, avec cette voix calme qui contrastait tant avec l’horreur des récits.
Il a traversé l’horreur sans jamais céder à la haine ni à la tentation de l’héroïsation.
– Un responsable local qui l’avait distingué
Cette phrase résume parfaitement l’homme qu’il était. Pas de ressentiment, pas de glorification excessive de soi. Juste la vérité, nue et nécessaire.
J’ai souvent pensé, en entendant ce genre de témoignages, à quel point cela doit être difficile de revivre sans cesse ces souvenirs. Et pourtant, ils le faisaient. Par devoir. Par conviction que l’ignorance est le terreau des pires extrémismes.
Pourquoi la mémoire reste plus que jamais nécessaire
Aujourd’hui, alors que les derniers survivants nous quittent les uns après les autres, la question se pose avec acuité : comment transmettre quand il n’y aura plus de témoins directs ? Henri Mosson le savait pertinemment. D’où son insistance auprès des jeunes.
Il ne se contentait pas de raconter son histoire personnelle. Il parlait de ses camarades, de ceux qui n’étaient pas revenus. Il insistait sur les mécanismes qui avaient permis l’arrivée au pouvoir des nazis : la peur, la propagande, le repli sur soi.
Et quand il évoquait les conflits actuels, c’était pour rappeler que rien n’est jamais acquis. La démocratie, la tolérance, la vigilance citoyenne : tout cela demande un effort constant.
L’aspect peut-être le plus touchant, c’est qu’il n’a jamais cédé à la haine. Imaginez : avoir vécu tant d’atrocités, et choisir malgré tout de dialoguer, même avec les jeunes Allemands. C’est une leçon de vie immense.
L’héritage d’Henri Mosson pour les générations futures
Au moment où il nous quitte, son message prend une dimension encore plus forte. Les associations mémorielles, les enseignants, les familles : tous portent désormais cette responsabilité accrue. Le flambeau, comme l’a dit son fils, doit continuer à brûler.
Dans les écoles, ses interventions resteront gravées dans les mémoires de ceux qui l’ont écouté. Des livres, des documentaires, des visites de sites comme le Struthof continuent le travail. Mais rien ne remplace la voix d’un survivant.
Personnellement, je trouve que ces disparitions successives nous obligent à une introspection collective. Sommes-nous à la hauteur de ce qu’ils nous ont légué ? Faisons-nous assez pour combattre les discours de haine qui resurgissent parfois ?
Henri Mosson, par son exemple, nous montre la voie : parler, éduquer, refuser l’indifférence. À 101 ans, il incarnait encore cette énergie. Son départ nous laisse orphelins d’un témoin précieux, mais riches d’un héritage inestimable.
Reposez en paix, Monsieur Mosson. Votre voix continuera à résonner, portée par tous ceux que vous avez touchés.
(Note : cet article rend hommage à la mémoire d’Henri Mosson en s’appuyant sur des éléments publics connus de son parcours. Il vise à perpétuer le devoir de mémoire qu’il incarnait si bien.)
