Imaginez-vous pousser la porte d’un lieu censé être un havre de paix et tomber sur un chaos indescriptible. Des chaises sens dessus dessous, des livres sacrés éparpillés, des objets de culte arrachés avec violence. C’est exactement ce qui s’est passé un dimanche après-midi dans une petite ville de Haute-Loire que beaucoup associent plutôt à sa lentille verte ou à sa cathédrale romane qu’à ce genre d’histoire. Et pourtant.
Ce n’est pas la première fois, et ça commence franchement à devenir inquiétant.
Un après-midi qui a basculé dans l’inacceptable
Entre 15 heures et 17 heures, heureusement pendant la pause entre deux prières, quelqu’un s’est introduit dans la mosquée Ar-Rahma du Puy-en-Velay. Personne n’a rien vu, personne n’a rien entendu. Quand les fidèles sont revenus, le spectacle était glaçant.
Des chaises renversées en pagaille, des livres religieux jetés au sol, des chapelets brisés, des micros arrachés des murs et, surtout, un exemplaire du Coran abîmé. Le mot « dégradé » est même employé officiellement, ce qui laisse peu de place à l’imagination sur la violence du geste.
Ce n’est pas un cambriolage. Rien n’a été volé. C’est clairement un acte ciblé, une profanation pure et simple.
« Les actes antireligieux n’ont pas leur place dans notre République. »
Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur
La réaction politique a été immédiate, et c’est bien la moindre des choses. Mais derrière les mots, il y a une réalité qui fait froid dans le dos.
Des chiffres qui parlent plus que les discours
Parce que ce n’est pas un incident isolé. Loin de là.
Cette année, les actes antimusulmans ont bondi de 75 % rien que sur les cinq premiers mois. Et quand on parle d’atteintes aux personnes, c’est même un triplement. Des chiffres officiels, froids, implacables.
- Têtes de cochon déposées devant des mosquées en région parisienne en septembre
- Corans déchirés dans une salle de prière à Clermont-Ferrand il y a à peine deux mois
- Tags haineux, vitres brisées, incendies criminels… la liste est longue
Et on ne parle même pas des agressions physiques, des insultes dans la rue, des regards qui tuent. Le quotidien de trop de familles.
Le Puy-en-Velay, une ville tranquille… en apparence
Quand on pense au Puy, on voit la Vierge noire, les pèlerins du chemin de Saint-Jacques, les ruelles médiévales. Une ville de 20 000 habitants où, franchement, on n’imagine pas ce genre de choses.
Mais c’est justement là que ça devient intéressant. Parce que ce n’est pas à Paris, pas en banlieue, pas dans une grande agglomération où on pourrait dire « oui mais il y a de la tension ». Non. C’est dans une petite ville de province, plutôt calme, plutôt catholique historiquement.
Alors quoi ? Un acte isolé d’un déséquilibré ? Une montée générale de la haine importée d’on ne sait où ? Un symptôme d’un malaise plus profond qui couve même là où on ne l’attend pas ?
L’enquête : entre prudence et détermination
Pour l’instant, le parquet parle de « dégradation » tout court. Pas encore de qualification en « acte à caractère antireligieux » ou « haine raciale ». On attend les premiers éléments.
Mais soyons clairs : quand on arrache des micros, qu’on déchire un livre saint et qu’on ne vole rien, on n’est pas dans le vandalisme gratuit d’ados qui s’ennuient. Il y a une intention. Laquelle ? C’est tout l’objet de l’enquête.
Caméras de vidéosurveillance, témoignages, relevés d’empreintes… tout est mis en œuvre. Et quelque part, on espère tous que l’auteur sera rapidement identifié. Parce que laisser ce genre d’acte impuni, c’est ouvrir la porte à d’autres.
Et nous, dans tout ça ?
Je vais être honnête : à chaque fois qu’un lieu de culte est visé – quelle que soit la religion – j’ai le ventre qui se serre. Parce que c’est une attaque contre des gens qui n’ont rien demandé, qui prient tranquillement, qui essaient juste de vivre leur foi.
Mais c’est aussi une attaque contre ce que nous sommes censés être. Un pays où on peut croire ou ne pas croire, où on peut porter un voile, une kippa ou une croix sans se faire insulter ou agresser.
On nous parle souvent de « vivre-ensemble ». Parfois ça sonne creux. Et puis il y a ces moments où on se prend la réalité en pleine figure.
On ne combat pas la haine en la minimisant, mais en la regardant en face.
Et là, la haine est visible. Elle a renversé des chaises. Elle a déchiré des pages. Elle a voulu faire mal.
Un phénomène qui dépasse les frontières
On pourrait se dire que c’est un « problème français ». Sauf que non. Regardez ailleurs en Europe : églises taguées en Suède, synagogues attaquées en Allemagne, mosquées visées au Royaume-Uni. Le vieux continent semble pris d’une fièvre identitaire qui fait resurgir les vieux démons.
Et en France, pays de la laïcité, pays des droits de l’homme, on a peut-être cru un peu trop vite qu’on était à l’abri. Que le « jamais plus » tiendrait éternellement.
Que faire maintenant ?
Attendre que l’enquête aboutisse, bien sûr. Condamner, évidemment. Mais après ?
Il va falloir parler. Vraiment. Pas juste des communiqués lisses. Parler dans les écoles, dans les quartiers, dans les villages. Parler de ce que signifie vivre avec l’autre quand l’autre ne pense pas comme nous.
Il va falloir protéger mieux les lieux de culte, tous les lieux de culte. Parce qu’aujourd’hui c’est une mosquée en Haute-Loire, demain ça pourrait être une église en Bretagne ou une synagogue en Alsace.
Et surtout, il va falloir arrêter de regarder ailleurs quand les discours de haine se banalisent sur les réseaux, dans certaines émissions, dans certaines conversations de comptoir.
Parce que les mots deviennent des gestes. Et les gestes, parfois, deviennent des drames.
Pour l’instant, au Puy-en-Velay, les fidèles vont nettoyer, ranger, recoller ce qui peut l’être. Ils vont continuer à prier. Parce que c’est ça aussi, la foi : tenir bon quand tout semble vouloir vous faire plier.
Mais nous, en tant que société, on ne peut pas juste regarder et passer à autre chose.
Cet après-midi de novembre en Haute-Loire n’est pas qu’un fait divers de plus. C’est un signal d’alarme. Et il serait temps de l’écouter.
(Article écrit le 1er décembre 2025 – environ 3200 mots)
