Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passerait si, du jour au lendemain, des milliers de vaches françaises se retrouvaient couvertes de gros nodules douloureux, avec de la fièvre et une chute brutale de production laitière ? C’est exactement ce qu’affronte une partie du monde agricole en ce moment avec la dermatose nodulaire contagieuse, une maladie virale qui commence à faire parler d’elle bien au-delà des clôtures des élevages.
Je me souviens encore de la crise de la fièvre catarrhale ovine il y a quelques années. On pensait avoir tiré les leçons. Apparemment pas tout à fait.
Une maladie qui ne pardonne pas
La dermatose nodulaire contagieuse (DNC), que les anglophones appellent lumpy skin disease, n’est pas nouvelle. Elle circule depuis des décennies en Afrique, puis s’est répandue en Moyen-Orient et en Europe du Sud-Est. Depuis 2024, elle frappe durement plusieurs pays européens et, oui, elle est désormais aux portes de la France, avec des cas confirmés dans le sud-ouest et des suspicions ailleurs.
Le virus responsable appartient à la famille des
« On ne résoudra cette crise que par la vaccination. Point final. »
Un haut responsable entendu récemment sur une grande radio nationale
Pourquoi les éleveurs sont-ils vent debout ?
La stratégie actuelle des autorités sanitaires repose sur l’abattage systématique des animaux infectés et des contacts. Méthode radicale, éprouvée lors de la FCO ou de l’influenza aviaire, mais qui fait bondir les agriculteurs cette fois-ci.
Pourquoi ? Parce que la DNC n’est pas aussi mortelle que l’influenza aviaire hautement pathogène. Le taux de létalité tourne autour de 1 à 5 % (parfois plus chez les jeunes animaux), mais les séquelles économiques sont énormes. Un éleveur qui voit son troupeau entier abattu pour quelques cas positifs perd des années de sélection génétique, son outil de travail, et se retrouve souvent sans revenu pendant des mois.
- Coût moyen d’une vache laitière de bonne génétique : entre 1 800 et 3 000 €
- Indemnisation actuelle : souvent jugée insuffisante par les professionnels
- Temps de reconstitution d’un troupeau : 3 à 5 ans minimum
- Impact psychologique : nombreux éleveurs parlent de « trauma » après un abattage total
Du coup, on entend de plus en plus cette phrase dans les campagnes : « Plutôt vacciner que tuer ».
Le vaccin existe… mais il est interdit en France
Paradoxe absolu : il existe des vaccins vivants atténués très efficaces (plus de 85 % de protection) utilisés avec succès en Grèce, Bulgarie, Croatie ou encore en Israël. Ces vaccins sont produits par plusieurs laboratoires et ont permis d’éradiquer la maladie dans plusieurs pays après son introduction.
Mais en France ? Interdit. Pourquoi ? Parce que l’Union européenne classe la DNC comme maladie de catégorie A, avec obligation d’abattage et interdiction de vaccination en zone indemne, sauf dérogation exceptionnelle. L’idée est d’éviter toute circulation silencieuse du virus chez les animaux vaccinés (même si les vaccins homologués ne permettent pas la réplication du virus sauvage).
Le débat est donc politique autant que scientifique. D’un côté, les défenseurs de la ligne dure : « Tant que la France est indemne, on reste sur l’abattage pour garder notre statut sanitaire exemplaire ». De l’autre, ceux qui disent : « Le statut indemne, on l’a déjà perdu. Alors autant vacciner massivement et protéger le cheptel national.
Ce qui pourrait changer dans les prochains mois
Plusieurs signaux laissent penser que le vent tourne.
- Des voix de plus en plus nombreuses au gouvernement reconnaissent que « la vaccination est la seule solution durable ».
- L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) a publié en urgence un avis favorable à l’utilisation de certains vaccins en cas de foyer.
- La Commission européenne travaille sur une possible évolution du règlement sanitaire animal pour autoriser la vaccination préventive dans certaines conditions.
- Des pays comme l’Italie ou l’Espagne commencent à vacciner en anneau autour des foyers.
Autrement dit, on assiste peut-être à la fin d’un dogme.
Les questions que tout le monde se pose
Est-ce que vacciner va faire baisser le prix du lait ou de la viande ? Non, mais ça évitera des pertes colossales.
Est-ce que le vaccin est sans risque ? Comme tout vaccin vivant atténué, il peut provoquer des effets secondaires légers (petits nodules temporaires), mais largement compensés par la protection.
Et les exportations ? C’est le vrai point noir. Certains pays tiers (notamment hors UE) pourraient refuser la viande ou le lait provenant d’animaux vaccinés. Mais entre perdre 100 % d’un troupeau ou 10 % d’export, le choix semble vite fait pour beaucoup.
Enfin, qui va payer la vaccination ? L’État ? Les éleveurs ? L’Europe ? La question du financement reste entière, mais quand on sait qu’un abattage total coûte plusieurs centaines de milliers d’euros par exploitation, la vaccination apparaît presque comme une économie.
Et nous, consommateurs, dans tout ça ?
La DNC ne se transmet pas à l’homme. Vous pouvez continuer à manger votre entrecôte tranquille. Par contre, si la maladie se répand sans vaccination massive, attendez-vous à des rayons fromagers un peu dégarnis et des prix qui grimpent. Parce que derrière chaque pot de yaourt ou chaque camembert, il y a une vache qui doit rester en bonne santé.
Ce qui me frappe le plus dans cette crise, c’est à quel point elle révèle les failles de notre système sanitaire : on est excellents pour réagir en urgence, mais beaucoup moins bons pour anticiper. La vaccination préventive, c’est pourtant ce qu’on fait pour nous-mêmes avec la grippe ou le Covid. Pourquoi refuser aux animaux ce qu’on s’autorise ?
2026 pourrait bien être l’année où la France change de paradigme. Et franchement, il serait temps.
En attendant, si vous croisez un éleveur ces prochains jours, prenez deux minutes pour lui demander comment il vit ça. Vous verrez dans ses yeux que derrière les débats techniques, il y a des femmes et des hommes qui se battent pour sauver leur métier. Et ça, aucun vaccin ne pourra jamais le remplacer.
