Vous souvenez-vous du générique entêtant, de ces lettres qui tombaient une à une et de ces deux figures immuables à l’écran depuis des décennies ? Moi oui. Et comme beaucoup, j’ai été choqué quand, en 2022, on a appris que Bertrand Renard et Arielle Boulin-Prat quittaient « Des chiffres et des lettres » du jour au lendemain. Ce qui ressemblait à un simple renouvellement de grille vient de prendre une tout autre dimension.
Fin novembre, le conseil de prud’hommes de Paris a rendu son verdict : la télévision publique doit verser près de 450 000 euros aux deux animateurs historiques. Presque un demi-million. Pour une émission qui, ironiquement, reposait sur le plaisir de compter juste.
Un départ qui sentait la poudre depuis le début
L’été 2022 avait été rude. D’un côté, la direction annonçait vouloir « dépoussiérer » le programme le plus ancien du PAF en le passant au week-end et en réduisant les salaires. De l’autre, les deux piliers du jeu refusaient ce qu’ils considéraient comme une dégradation de leurs conditions. Résultat : ils se retrouvent sans contrat.
À l’époque, la version officielle parlait d’un désaccord sur la nouvelle formule. Mais derrière les communiqués lisses, ça grinçait sévère. Les intéressés, eux, parlaient déjà de rupture brutale et laissaient entendre qu’on voulait tout simplement les remplacer par plus jeunes.
Et le jugement vient de leur donner raison. Point par point.
Les trois chefs d’accusation retenus
Le conseil de prud’hommes n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Trois motifs principaux ont été validés :
- Une rupture brutale et vexatoire des relations commerciales établies (oui, même pour des animateurs, on parle de relation commerciale quand ça dure depuis 47 ans…)
- Une discrimination liée à l’âge, clairement établie par les magistrats
- Une exécution déloyale du contrat pendant les négociations
En clair : on ne vire pas comme ça des gens qui ont porté une émission pendant un demi-siècle sous prétexte de « rajeunir » la grille. Surtout quand on propose en parallèle des conditions financièrement inacceptables.
« Après tant d’années de fidélité, se retrouver mis à l’écart de cette manière, c’est violent. »
Une confidence rapportée à l’époque par l’entourage des animateurs
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes
Pour être précis, Bertrand Renard, le monsieur « chiffres » présent depuis 1975, touche environ 230 000 euros. Arielle Boulin-Prat, reine des lettres depuis 1986, empoche près de 220 000 euros. Ça fait mal au budget de la redevance, quand on y pense.
Mais au-delà de l’argent, c’est surtout la reconnaissance d’un préjudice moral et professionnel qui compte pour eux. Parce que partir après quarante ans de service en étant traité comme un simple prestataire interchangeable, ça laisse des traces.
L’âge, ce tabou qu’on n’ose plus nommer à la télé
Avouons-le : la télévision française a un problème avec l’âge. Dès qu’on dépasse la cinquantaine, on devient animateur ou animatrice, on sent le vent du boulet. Les exemples ne manquent pas ces dernières années.
Ce jugement fait jurisprudence. Il dit clairement : non, on ne peut pas écarter quelqu’un uniquement parce qu’il a des cheveux blancs et qu’on veut du « sang neuf ». Surtout quand la personne en question est devenue, au fil des décennies, l’âme même de l’émission.
Personnellement, je trouve ça rafraîchissant. Dans un milieu où l’apparence prime souvent sur la compétence, entendre un tribunal rappeler que l’expérience a de la valeur, ça fait du bien.
Et l’émission, dans tout ça ?
Triste ironie : après leur départ, « Des chiffres et des lettres » a continué tant bien que mal le week-end, avec de nouveaux visages. Mais les audiences n’ont jamais décollé. Et en 2024, l’émission a purement et simplement disparu des écrans après cinquante-deux ans de bons et loyaux services.
On peut se demander si tout ça en valait la peine. Rajeunir à marche forcée un monument du patrimoine télévisuel pour finalement le laisser mourir doucement dans l’indifférence générale… Bel exploit stratégique.
Ce que ça nous dit de la télévision publique aujourd’hui
Derrière cette affaire, il y a une question plus large : quel modèle pour la télévision publique dans un monde dominé par les plateformes et les réseaux sociaux ? Peut-on encore se permettre d’avoir des programmes cultes qui traversent les générations, ou faut-il tout sacrifier sur l’autel de l’audimat et du jeunisme ?
Bertrand Renard et Arielle Boulin-Prat n’étaient pas seulement des animateurs. Ils étaient des repères. Des madeleines de Proust télévisuelles pour des millions de Français. Les virer sous prétexte qu’ils ne faisaient plus « jeune » revient à renier une partie de notre mémoire collective.
Et ça, franchement, ça coûte plus cher que 450 000 euros.
Vers une prise de conscience ?
Cette décision pourrait faire bouger les lignes. D’autres animateurs historiques, mis sur la touche ces dernières années, pourraient être tentés de saisir la justice. Et les directions de chaîne vont peut-être réfléchir à deux fois avant de sortir le carnet de chèques… ou la porte de sortie.
En attendant, Bertrand et Arielle ont gagné bien plus qu’une bataille financière. Ils ont gagné le respect. Et rappelé à tout un secteur que la fidélité, l’expérience et le talent n’ont pas d’âge.
Alors oui, c’est une page qui se tourne. Mais elle se tourne avec panache, et avec un chèque qui fait joli bruit en tombant.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Un animateur culte doit-il pouvoir faire valoir son ancienneté comme un trésor national, ou la télé doit-elle sans cesse se renouveler, même au risque de perdre son âme ?
Une chose est sûre : on n’oubliera pas de si tôt le duo qui nous a fait aimer les mots et les nombres. Merci pour tout.
