Vous êtes-vous déjà retrouvé à appeler vingt cabinets avant de décrocher un rendez-vous chez le médecin dans six mois ? Moi oui, et franchement, ça commence à devenir flippant. Fin novembre 2025, dans un petit village d’Ariège, trois toutes jeunes généralistes ont décidé d’ouvrir leur cabinet en plein cœur d’une zone que plus personne ne voulait toucher. Elles pensaient aider. Elles n’imaginaient pas déclencher une véritable ruée.
Quand 4000 patients débarquent en une semaine
Le 24 novembre, le cabinet Pyrène ouvre ses portes à Montgailhard, à deux pas de Foix. Trois médecins, fraîchement diplômées, pleines d’énergie et d’idées modernes. Elles se disent : « On va prendre le temps avec chaque patient, on va faire les choses bien. » Belle intention. Sauf que dès le premier jour, c’est la folie.
En quelques jours seulement, près de 4 000 demandes affluent. Par téléphone, par mail, par le site internet, en venant directement sonner à la porte. Des familles entières sans médecin traitant depuis parfois deux ou trois ans. Des personnes âgées qui n’ont plus mis les pieds chez un généraliste depuis la retraite de leur ancien docteur. Des parents paniqués pour leurs enfants. Bref, tout ce que la France rurale porte en elle de souffrance silencieuse depuis des années explose d’un coup.
« On s’attendait à beaucoup de monde, mais pas à ce point-là. Et surtout pas à des mails agressifs, parfois insultants, parce qu’on est obligées de dire non ou de mettre les gens en liste d’attente. »
– Une des trois médecins, encore sous le choc une semaine après l’ouverture
Un territoire qui saignait déjà depuis longtemps
Remettons un peu de contexte. Le bassin de Foix et ses environs, c’est typiquement le genre d’endroit où l’on voit la crise des déserts médicaux à l’état brut. En quelques mois seulement, six généralistes ont tiré leur révérence. Retraite, burn-out, déménagement vers des zones plus attractives… les raisons ne manquent pas. Résultat : des milliers de patients se retrouvent orphelins du jour au lendemain.
Et quand je dis orphelins, ce n’est pas une image. Certains n’ont plus de suivi pour leurs traitements chroniques. D’autres renoncent carrément à se soigner. Les urgences de l’hôpital de Foix sont engorgées par des cas qui auraient dû être pris en charge en ville. Et puis arrive ce trio de jeunes médecins prêtes à relever le défi. Sauf que même à trois, elles ne peuvent pas absorber dix années de pénurie en quelques semaines.
- Six départs à la retraite en un an dans le même secteur
- Des patients prêts à parcourir 50 km pour un rendez-vous
- Des listes d’attente qui s’allongent parfois jusqu’à 2027 dans les cabinets voisins
- Une population vieillissante particulièrement vulnérable
Les jeunes médecins face à un dilemme impossible
Ce qui frappe dans cette histoire, c’est la violence du contraste. D’un côté, trois femmes de moins de 30 ans qui choisissent délibérément la campagne, qui refusent les sirènes des grandes villes ou des remplacements juteux. Elles veulent construire quelque chose, poser leurs valises, créer du lien. Et de l’autre, une demande tellement énorme qu’elles sont obligées de fermer leur agenda dès le matin pour garder des créneaux d’urgence l’après-midi.
Elles ont beau tourner à plein régime – consultations de 20 à 30 minutes pour pouvoir écouter vraiment –, elles ne peuvent pas voir 60 patients par jour chacune sans risquer l’épuisement rapide. Et pourtant, chaque « non » qu’elles doivent prononcer pèse lourd. Parce qu’en face, il y a des gens qui pleurent au téléphone. Des gens qui expliquent qu’ils n’ont plus personne depuis des années.
J’ai presque envie de dire : bienvenue dans la réalité de la médecine générale en 2025. Tu te bats pendant dix ans pour avoir ton diplôme, tu rêves de prendre soin des gens, et ton premier acte professionnel, c’est de devoir refuser du monde. Dur.
Pourquoi c’est symptomatique d’un problème national
Cette histoire de Montgailhard, elle pourrait se passer ailleurs. En Creuse, dans le Morvan, dans les Alpes-de-Haute-Provence ou en Loire-Atlantique rurale. Partout, le même schéma : des médecins partent, personne ne reprend, et quand enfin quelqu’un ose s’installer, c’est la bousculade.
Et le pire, c’est qu’on savait. Depuis vingt ans, les rapports s’empilent, les cartes des déserts médicaux deviennent de plus en plus rouges, les incitations financières se multiplient. Mais visiblement, ça ne suffit pas. Installer un jeune médecin dans une zone sous-dotée, c’est comme verser un verre d’eau sur un incendie de forêt.
Il manque cruellement de bras. Et surtout, il manque une vision d’ensemble. Parce que tant qu’on formera à peu près le même nombre de généralistes qu’il y a trente ans tout en ayant une population plus âgée et plus chronique, on continuera à courir derrière le problème.
Les solutions qui existent… et celles qui tardent
On parle beaucoup des maisons de santé pluriprofessionnelles, des salaires d’embauche garantis, des exonérations fiscales. Tout ça aide, bien sûr. Mais quand je vois ces trois jeunes femmes débordées dès le premier mois, je me dis que c’est un peu comme mettre un pansement sur une hémorragie.
Il y a aussi la question de l’organisation. Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer des secrétaires partagées entre plusieurs cabinets pour libérer du temps médical ? Des assistants médicaux en plus grand nombre ? Une meilleure articulation avec les infirmiers libéraux, les pharmaciens, les kinés ? On sait faire, on l’a prouvé pendant la crise Covid. Alors pourquoi ça bloque encore ?
Et puis il y a la téléconsultation, souvent présentée comme la solution miracle. Sauf que quand vous avez 85 ans, que vous habitez à 800 mètres d’altitude et que votre connexion internet passe à peine, ce n’est pas franchement une option.
Ce que cette histoire dit de nous
Au-delà des chiffres et des politiques publiques, il y a quelque chose de profondément humain qui se joue là. Ces trois médecins, elles incarnent une forme d’espoir. Elles ont choisi la difficulté. Elles auraient pu rester en ville, faire des remplacements tranquilles, gagner plus d’argent avec moins de contraintes. Elles ont dit non.
Et en face, des patients qui parfois oublient que derrière le blouse blanche, il y a des êtres humains qui viennent juste de commencer et qui font déjà ce qu’ils peuvent. La colère est légitime. Mais elle serait mieux dirigée vers ceux qui nous ont amenés là plutôt que vers celles et ceux qui essaient de réparer.
Quelque part, cette ruée vers un cabinet tout neuf dans un petit village ariégeois, c’est le révélateur brutal d’une fracture qui ne cesse de s’agrandir entre les territoires. Et tant qu’on n’aura pas le courage de regarder ça en face et d’agir vraiment, on continuera à avoir des histoires comme celle-ci. Des histoires qui font mal, mais qui ont au moins le mérite de nous réveiller.
Parce qu’en 2025, en France, se retrouver avec 4000 patients qui se battent pour trois médecins, ce n’est pas une anecdote. C’est un signal d’alarme qu’on ne peut plus ignorer.
Et vous, dans votre coin, comment ça se passe pour trouver un médecin ? Les commentaires sont ouverts, j’ai vraiment envie de savoir jusqu’où ça va cette crise qu’on vit tous, à des degrés différents.
