Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi certains garçons de 20 ans parlent soudainement de « haute valeur ou de soumission naturelle des femmes comme s’il s’agissait d’une évidence scientifique ? Moi oui. Et franchement, ça commence à devenir inquiétant.
Ces derniers mois, j’ai vu défiler sur mes réseaux des vidéos où des influenceurs en costume expliquent calmement que le désir masculin serait une force irrépressible, presque sacrée, pendant que les commentaires explosent de « enfin quelqu’un qui ose le dire ». Le pire ? Une partie non négligeable des jeunes hommes semble boire ces paroles comme une révélation.
Quand la « vérité » masculine devient un danger public
Une récente étude commandée par une grande association de prévention a mis des chiffres glaçants sur ce phénomène. Plus d’un jeune homme sur deux, dans la tranche 25-34 ans, estime que ces discours radicaux disent enfin les choses telles qu’elles sont. Et quand on creuse, on découvre que cette adhésion n’est pas que théorique : elle modifie concrètement les comportements intimes.
Je ne vais pas vous assommer avec des statistiques brutes dès le début, mais gardez en tête ce chiffre : 51 %. C’est énorme. C’est la moitié d’une génération qui valide l’idée que les hommes seraient biologiquement programmés pour dominer sexuellement.
Le consentement passé à la trappe
L’un des points les plus effrayants, c’est la banalisation du non-respect du consentement. Dans certains cercles en ligne, dire non devient presque suspect. Comme si une femme qui refuse était soit « coincée », soit en train de jouer un jeu pervers pour tester la « valeur » de l’homme.
« Si elle dit non mais qu’elle reste, c’est que c’est oui. »
Extrait réel entendu dans une vidéo vue plusieurs millions de fois
Cette phrase, répétée à l’envi, n’est pas une blague de mauvais goût. Elle est devenue une doctrine pour certains. Et le pire, c’est qu’elle fonctionne : des jeunes hommes m’ont confié, presque gênés, qu’ils avaient déjà insisté après un refus parce qu’« on leur avait expliqué que c’était normal ».
La pression de la virilité performative
L’autre grande victime de ces discours ? La santé sexuelle elle-même. Parce qu’être un « vrai homme », selon ces théories, c’est multiplier les conquêtes, ne jamais porter de préservatif (trop « faible »), et surtout ne jamais parler de ses peurs ou de ses doutes.
- Refus du préservatif présenté comme une preuve d’alpha
- Moquerie systématique des hommes qui parlent contraception ou IST
- Idée que demander un dépistage revient à douter de la « pureté » de la partenaire
- Culte de la performance sexuelle au détriment du plaisir partagé
Résultat ? Une augmentation inquiétante des pratiques à risque chez les moins de 30 ans, alors même que les campagnes de prévention n’ont jamais été aussi visibles. C’est comme si tout le travail des trente dernières années était en train de partir en fumée.
Les femmes aussi paient le prix
Mais évidemment, ce sont d’abord les jeunes femmes qui trinquent. Elles se retrouvent face à des partenaires convaincus que leur désir prime sur tout, que le plaisir féminin est secondaire, et que toute limite posée est un défi à relever.
J’ai recueilli des témoignages qui font mal au ventre. Des filles de 19-20 ans qui expliquent qu’elles n’osent plus dire non clairement, de peur d’être traitées de « féministes hystériques ». D’autres qui simulent le plaisir pour que ça finisse plus vite. Et celles, nombreuses, qui arrêtent purement et simplement d’avoir des relations parce que « ça ne vaut plus le coup ».
Comment on en est arrivé là ?
La réponse est à la fois simple et terrifiante : l’algorithme. Un garçon un peu perdu dans sa vie clique sur une vidéo « motivation masculine ». Trois jours plus tard, son fil entier n’est plus que ça. Et comme ces contenus sont conçus pour créer de l’addiction (colère + validation + promesse de puissance), il plonge.
Ajoutez à ça la crise de sens post-Covid, la précarité, la difficulté à trouver sa place dans une société qui change vite, et vous avez le cocktail parfait. Ces discours arrivent comme une bouée de sauvetage empoisonnée : ils donnent une identité, un ennemi (les femmes, le féminisme, la société « woke »), et surtout une sensation de contrôle.
Et les garçons dans tout ça ?
Parce qu’il ne faut pas se leurrer : les principaux perdants, ce sont aussi eux. Ceux qui croient dur comme fer qu’un vrai homme ne pleure pas, ne doute pas, ne demande pas son chemin (ni en voiture, ni au lit). Ils finissent isolés, incapables de créer des relations saines, rongés par une anxiété de performance permanente.
J’ai échangé avec un garçon de 23 ans qui m’a avoué, la voix tremblante : « J’ai suivi ces conseils pendant un an. J’ai couché avec plein de filles, mais je me sens plus vide que jamais. Je ne sais même plus comment on fait pour juste… parler à quelqu’un. »
Vers une prise de conscience collective ?
Heureusement, il y a des signaux positifs. Certains influenceurs historiques de ces mouvances commencent à faire marche arrière, dépassés par les dérives qu’ils ont contribué à créer. Des associations montent des programmes spécifiquement pour les garçons, pour leur parler de sexualité sans jugement.
Et surtout, de plus en plus de jeunes hommes refusent ce prêt-à-penser toxique. Ils créent leurs propres espaces pour parler de vulnérabilité, de plaisir partagé, de respect. C’est long, c’est fragile, mais c’est en train de naître.
Parce qu’au fond, la vraie liberté masculine, ce n’est pas dominer. C’est pouvoir être soi, entier, sans armure. Et ça, aucun gourou en costard ne pourra jamais le vendre en quinze minutes de vidéo.
Alors la prochaine fois que vous verrez passer une de ces vidéos, pensez à tous ces gamins qui cherchent juste à comprendre qui ils sont. Et demandez-vous : est-ce qu’on va vraiment les laisser se détruire pour des likes ?
(Article écrit après plus de quarante entretiens avec des jeunes de 18 à 30 ans, des professionnels de santé sexuelle et des psychologues spécialisés. Parce que derrière les chiffres, il y a des vies.)
