Vous souvenez-vous de votre premier entretien d’embauche ? Ce mélange d’excitation et de stress, cette envie folle de prouver qu’on vaut quelque chose ? Imaginez maintenant qu’avant même d’ouvrir la bouche, une partie du jury vous a déjà catalogué. Trop jeune. Trop « typé ». Ou, si vous êtes une femme, qu’on vous pose déjà la question fatidique des enfants. C’est le quotidien de milliers de jeunes Français en 2025.
Une étude toute récente vient de le confirmer noir sur blanc : les moins de 25 ans sont plus exposés que jamais aux discriminations dans le monde du travail. Et le pire ? La situation s’est dégradée depuis 2016. On aurait pourtant pu croire que la prise de conscience collective allait arranger les choses. Raté.
Un constat qui donne le vertige
Plus de neuf personnes sur dix pensent qu’il existe des discriminations à l’embauche en France. Ce n’est plus une impression, c’est une certitude partagée. Et quand on demande aux gens si ça arrive « souvent », 43 % répondent oui pour la phase de recherche d’emploi. 52 % estiment que c’est « parfois » le cas une fois en poste.
Autrement dit, presque tout le monde a vu, vécu ou entendu parler d’une situation où quelqu’un a été écarté pour une raison qui n’avait rien à voir avec ses compétences. Et parmi ceux qui trinquent le plus : les jeunes.
L’âge, premier motif de rejet
14 % des personnes interrogées déclarent avoir subi une discrimination lors de leur recherche d’emploi. Parmi elles, près d’une sur deux (42 %) pointe du doigt l’âge. C’est énorme.
Être entre 18 et 24 ans double quasiment le risque de se faire discriminer par rapport à la tranche 45-54 ans. Double. On parle là de jeunes diplômés, motivés, souvent surqualifiés pour le poste, qui se prennent un mur dès le début de leur vie pro.
« Vous vous rendez compte ? Pour des jeunes, c’est le moment où ils rentrent dans la vie professionnelle : quelle image ils ont de la société quand ils commencent par être discriminés ? »
– Une haute responsable des droits humains, au micro d’une grande radio matinale
Et elle a raison. Quand on vous ignore parce que vous avez 22 ans, quand on vous demande dans l’entretien si vous comptez « rester longtemps » ou si vous habitez « un quartier sensible », ça laisse des traces. Parfois pour toute la carrière.
L’origine et la couleur de peau : la discrimination qui explose
Deuxième motif le plus cité : l’origine ou la couleur de peau (21 % des cas déclarés). Et là, les chiffres font froid dans le dos.
Une personne perçue comme noire, arabe ou maghrébine a 2,8 fois plus de risques de déclarer une discrimination à l’embauche qu’une personne perçue comme blanche. En 2016, ce facteur était déjà élevé… mais à 2,2. Il a donc augmenté de plus de 25 % en huit ans.
- 2016 → risque multiplié par 2,2
- 2024 → risque multiplié par 2,8
- Progression → +27 % en moins d’une décennie
Concrètement ? Un CV avec un prénom à consonance maghrébine ou subsaharienne a beaucoup moins de chances d’aboutir à un entretien, même avec le même parcours qu’un autre candidat. On le sait depuis les testing des années 2000. Mais au lieu de reculer, le phénomène s’amplifie. Cherchez l’erreur.
Le plafond de verre toujours bien accroché, merci pour les femmes
Une fois en poste, les inégalités ne s’arrêtent pas. 21 % des actifs déclarent avoir subi une discrimination au cours de leur carrière. Et le premier motif ? Le sexe, pour 41 % d’entre eux.
Être une femme multiplie par deux le risque de discrimination en évolution de carrière. En 2016, ce facteur était à 1,6. Là encore, ça empire.
Et le plus rageant ? Plus on est diplômée, plus on semble gêner. Les femmes titulaire d’un master ou d’un doctorat déclarent plus de discriminations que celles qui ont un niveau inférieur. Comme si la compétence devenait suspecte quand elle est portée par une femme.
Salaire qui stagne, promotion refusée sous prétexte de « potentiel maternité », remarques sexistes en réunion… Le plafond de verre n’a pas pris une ride. Il s’est même renforcé.
Les jeunes perçoivent plus, et ils ont raison
Ce qui frappe aussi, c’est le fossé de perception entre générations. En 2016, l’âge ou l’orientation sexuelle ne changeaient rien à la façon dont on voyait les discriminations. En 2025, les jeunes (et les personnes non hétérosexuelles) sont beaucoup plus nombreux à considérer que les discriminations sont fréquentes.
Est-ce qu’ils sont plus « susceptibles » ? Non. Ils sont simplement plus lucides. Ils vivent ces situations au quotidien. Et ils savent reconnaître un comportement discriminant quand ils le subissent.
Pourquoi si peu de recours ?
Alors pourquoi on n’en parle pas plus ? Pourquoi si peu de plaintes ? La réponse est triste mais logique : la peur des représailles, l’ignorance des démarches, le sentiment que « de toute façon ça ne changera rien ».
Quand vous êtes précaire, en CDD ou en stage, vous fermez les yeux. Vous avez besoin du job. Point. Et les employeurs le savent très bien.
Et maintenant, on fait quoi ?
Les solutions existent, mais elles demandent du courage politique et entrepreneurial :
- Mesurer vraiment les discriminations (testing à grande échelle, statistiques ethniques encadrées)
- Former massivement les recruteurs et les managers (oui, même ceux qui jurent qu’ils sont « daltoniens »)
- Alourdir les sanctions (une amende ridicule ne fait peur à personne)
- Rendre les recours plus simples et protéger vraiment les lanceurs d’alerte
- Imposer la transparence sur les écarts de salaire et de promotion
Parce que laisser une génération entière démarrer sa vie pro avec le sentiment qu’elle n’est pas à sa place, c’est non seulement injuste, c’est dangereux pour toute la société.
J’ai croisé récemment une jeune ingénieure brillante qui m’a dit, mi-rieuse mi-amère : « J’ai appris à mettre une photo neutre sur mon CV et à franciser mon prénom sur LinkedIn. Sinon, zéro réponse. » Elle a 24 ans. Elle est française. Et elle doit déjà se bricoler une double identité pour espérer travailler.
Si ça, ce n’est pas un signal d’alarme, je ne sais pas ce qu’il vous faut.
Le monde du travail peut être un ascenseur social. Il est aujourd’hui, trop souvent, un tri sélectif déguisé. Et les jeunes paient l’addition. Il est temps que ça change. Vraiment.
