Il y a des histoires qui vous prennent aux tripes dès la première ligne. Celle-ci en fait partie. Imaginez : un bateau qui file à vive allure au milieu de l’océan Indien, toutes voiles gonflées, alors qu’un signal de détresse a retenti plusieurs heures auparavant. Personne ne répond à la radio. Et quand enfin une équipe monte à bord… deux corps sans vie.
C’est exactement ce qui s’est passé fin novembre dans le canal du Mozambique. Et franchement, depuis que j’ai lu les premiers éléments, je n’arrive pas à me sortir cette image de la tête.
Un voyage qui devait être le rêve d’une vie
Deirdre Sibly avait 67 ans. Australienne, passionnée de mer depuis quatre décennies. Le genre de femme qui n’avait pas peur de larguer les amarres pour traverser des océans entiers. En juin, elle rencontre Pascal Mahé, un Français tout aussi expérimenté. Coup de foudre maritime. Ils décident de vivre ensemble l’aventure ultime : longer les côtes africaines, de La Réunion jusqu’à Durban en Afrique du Sud.
Sa sœur, encore sous le choc, confiera plus tard qu’elle n’avait jamais vu Deirdre aussi heureuse. « Ils vivaient l’aventure de leur vie », répétait-elle, la voix brisée.
Ils étaient si heureux… Elle me disait que c’était le plus beau voyage de son existence.
– Proche de la navigatrice
Jeudi soir : l’appel qui glace le sang
Tout bascule un jeudi soir. Le voilier émet un signal de détresse automatique. Les cargos alentour captent l’alerte. Problème : le bateau ne s’arrête pas. Au contraire, il continue sa route plein gaz, comme si quelqu’un tenait encore la barre… ou comme s’il n’y avait plus personne pour la lâcher.
Plusieurs navires tentent d’établir le contact radio. Silence total. Les heures passent. L’inquiétude monte.
- Un porte-conteneurs change de cap pour intercepter le voilier
- Les communications restent sans réponse
- Le bateau navigue toujours à bonne vitesse, toutes voiles dehors
- La nuit tombe sur le canal du Mozambique
On imagine l’ambiance à bord des cargos : des marins qui scrutent l’horizon, qui se demandent ce qui a bien pu se passer. Un accident ? Une avarie ? Pire ?
La découverte macabre
Quand enfin une équipe d’intervention parvient à accoster le voilier, la scène est irréelle. Deux corps. Un homme et une femme. Allongés là, comme endormis pour toujours.
À l’heure où j’écris ces lignes, les identifications formelles ne sont pas encore terminées. Mais tout laisse penser qu’il s’agit bien de Deirdre Sibly et Pascal Mahé.
Et là, les questions fusent. Comment deux navigateurs ultra-expérimentés ont-ils pu finir ainsi ?
Le canal du Mozambique, une zone à risques
Il faut se remettre dans le contexte. Le canal du Mozambique, ce n’est pas la promenade de santé des Caraïbes. C’est une zone connue pour ses courants violents, ses tempêtes soudaines, et… oui, aussi pour la piraterie résiduelle.
Ces dernières années, plusieurs voiliers ont été abordés. Des marins ont disparu. D’autres ont été retrouvés morts. Les autorités parlent parfois d’accidents, parfois de crimes. Mais rarement on a des réponses claires.
Est-ce que c’est ce qui s’est passé ici ? Difficile à dire pour l’instant. Mais quand un bateau continue de naviguer seul après un SOS, ça fait froid dans le dos.
Les scénarios possibles (et glaçants)
Alors évidemment, on échafaude. C’est humain.
- Accident domestique : une chute, un malaise, une intoxication au monoxyde de carbone (fréquente sur les vieux bateaux)
- Problème médical brutal : crise cardiaque, AVC… l’un tombe, l’autre tente de porter secours et chute à son tour
- Tempête ou grosse mer : l’un passe par-dessus bord, l’autre tente de le récupérer et finit emporté
- Rencontre hostile : abordage par des pirates ou des trafiquants. Le bateau repart seul après le drame
Ce dernier scénario, même s’il est minoritaire, revient souvent dans les discussions entre marins. Parce que dans cette zone, ça arrive. Pas tous les jours, mais ça arrive.
Deux navigateurs de ce niveau-là ne disparaissent pas comme ça sans raison grave. Quelque chose de vraiment sérieux a dû se produire.
Le voilier fantôme : un phénomène plus fréquent qu’on ne croit
Ce qui est fascinant – et terrifiant – c’est que les « voiliers fantômes » existent bel et bien. Des bateaux qui continuent de naviguer seuls pendant des jours, parfois des semaines, après la disparition de leur équipage.
J’ai en mémoire l’histoire du catamaran Trashman en 1982, ou plus récemment celle du voilier Sayonara retrouvé au large de l’Australie avec un seul survivant devenu fou. La mer garde jalousement ses secrets.
Ici, le fait que le bateau ait continué sa route toutes voiles dehors pendant des heures après le SOS laisse les experts perplexes. Normalement, un pilote automatique ne maintient pas une telle allure dans ces conditions sans intervention humaine.
La douleur d’une famille à des milliers de kilomètres
De l’autre côté de la planète, la sœur de Deirdre attend. Elle a reçu l’appel qu’aucun proche ne devrait jamais recevoir. Deux corps. Peut-être ceux de sa sœur et de son compagnon.
Elle décrit Deirdre comme une femme généreuse, pleine de vie, qui avait trouvé en Pascal un partenaire de route idéal. « Elle était rayonnante », répète-t-elle.
Et maintenant ? L’attente insupportable des résultats d’identification. Les questions qui tournent en boucle. La mer qui ne rendra peut-être jamais tous ses secrets.
Ce que cette histoire nous dit de nos rêves d’aventure
Personnellement, cette affaire me renvoie à une réflexion plus large. On idéalise souvent la vie de navigant. Le vent, la liberté, l’infini bleu. Mais la mer reste un milieu impitoyable.
Deirdre et Pascal incarnaient ce rêve. Des sexagénaires qui disaient merde à la routine pour vivre pleinement. Et en quelques heures, tout bascule.
Ça donne à réfléchir. Sur la fragilité de l’existence. Sur le prix de la liberté absolue. Sur ce qu’on est prêt à risquer pour se sentir vivant.
Au moment où j’écris ces lignes, l’enquête se poursuit. Les autorités maritimes, les consulats, tout le monde est mobilisé. Mais dans ce genre d’histoire, la vérité met parfois des années à émerger. Ou n’émerge jamais.
Une chose est sûre : Deirdre Sibly et Pascal Mahé resteront dans les mémoires comme deux amoureux de la mer qui ont vécu leur passion jusqu’au bout. Tragiquement, peut-être. Mais pleinement.
Et quelque part, dans le canal du Mozambique, un voilier continue peut-être encore de glisser sur les vagues, portant avec lui le dernier chapitre d’une histoire que personne ne pourra jamais totalement raconter.
