Vous est-il déjà arrivé de voir un parti politique se déchirer en direct, presque en temps réel, sur un sujet aussi crucial que le budget de la Sécurité sociale ? Moi oui, mardi soir, et franchement, c’était quelque chose.
On nous avait vendu une ligne claire : le président du parti disait non, point barre. Et puis patatras, plus d’un tiers des députés du groupe ont décidé de faire exactement l’inverse. Dix-huit voix pour, vingt-huit abstentions, trois contre seulement. Le texte passe à treize voix près. Autant dire que sans ces « traîtres » (le mot a été prononcé dans les couloirs), le soir même), le gouvernement tombait dans le piège d’un nouveau 49.3 ou pire.
Une fracture qui ne date pas d’hier
Remettons les choses en perspective. Depuis plusieurs mois déjà, deux lignes cohabitent difficilement à droite. D’un côté, une aile plutôt « responsable », prête à voter certains textes budgétaires pour éviter le chaos. De l’autre, une ligne plus dure, incarnée par le président du parti, qui veut marquer sa différence et préparer le terrain pour 2027.
Le problème ? Quand vous êtes seulement 49 députés (sur 577), chaque voix compte. Et quand 18 d’entre eux décident de ne pas suivre la donner à leur chef, c’est tout l’édifice qui vacille.
« C’est un des pires budgets de la Sécu depuis des années, ce texte est désastreux. »
Le président du parti, quelques jours avant le vote
La phrase est claire, tranchante même. On imagine mal comment, après une telle sortie médiatique, on peut laisser plus d’un tiers de son groupe faire l’exact contraire sans que cela ressemble à une humiliation publique.
Retailleau, l’homme qui voulait dire non
Bruno Retailleau, revenu sur les bancs de l’Assemblée après son passage à Beauvau, s’est repositionné très vite comme le gardien du temple. Intransigeant, presque offensif contre le gouvernement dont il a pourtant fait partie il y a encore quelques mois. Logique, me direz-vous : il faut bien exister quand on brigue (plus ou moins discrètement) la tête du parti.
Mais voilà, une partie des députés n’a pas suivi. Pire : certains proches de Retailleau lui-même ont voté pour. Le coup est rude. Dans les couloirs, on n’hésite plus à parler d’un « liquidation politique » en règle.
Les 18 qui ont dit oui
Qui sont-ils, ces 18 ? Un mélange étonnant. Il y a les habituels « constructifs », ceux qui votent régulièrement avec la majorité quand il s’agit de finances publiques. Il y a aussi des élus de territoires où la pression des hôpitaux et des Ehpad est quotidienne – difficile de jouer les jusqu’au-boutistes quand vos administrés vous appellent en pleurs.
Et puis il y a les pragmatiques purs et durs. Ceux qui se disent : « Si on fait tomber le budget, on aura quoi derrière ? Un énième 49.3 et zéro influence. » Dur à entendre pour les puristes, mais difficile à contredire.
- Ils viennent de tous les coins de France : Oise, Yvelines, Loire-Atlantique, Hauts-de-Seine…
- Certains sont des poids lourds du groupe, d’autres des élus plus discrets
- Beaucoup ont déjà voté des textes budgétaires par le passé
- Presque tous justifient leur vote par « le sens des responsabilités »
Wauquiez face à son propre piège
Laurent Wauquiez, lui, voulait faire de ce vote un test de loyauté. Raté. En demandant une ligne dure, il pensait souder le parti autour de lui. Il a surtout révélé qu’une partie significative des députés ne le suit plus aveuglément.
Et le timing est terrible. À deux ans de la présidentielle, montrer une droite incapable de parler d’une seule voix sur un sujet aussi structurant que la Sécu, c’est offrir un boulevard aux concurrents – qu’ils viennent de la majorité ou de l’extrême droite.
J’ai discuté avec plusieurs députés ces derniers jours (sous couvert d’anonymat, bien sûr). Le sentiment dominant ? Une immense lassitude. « On passe notre temps à se déchirer pour savoir qui sera le chef en 2027, pendant ce temps le pays coule », me confiait l’un d’eux.
Et maintenant ?
Plusieurs scénarios se dessinent.
- La direction du parti tente de reprendre la main avec des sanctions internes (exclusion du groupe ?). Risque : faire exploser définitivement le groupe parlementaire.
- On laisse couler et on fait comme si de rien n’était. Risque : passer pour faible et désordonné.
- On organise une clarification rapide – genre primaire interne dès 2026. Mais qui pour l’organiser quand personne ne fait confiance à personne ?
Ce qui est sûr, c’est que ce vote laissera des traces. Longtemps. Les blessures d’ego, dans ce milieu, cicatrisent mal.
L’aspect le plus intéressant, à mon sens ? Cette fracture n’est pas seulement personnelle. Elle révèle une question de fond : quelle droite voulons-nous pour demain ? Une droite d’opposition systématique, ou une droite capable de gouverner à nouveau un jour ?
Pour l’instant, la réponse semble être : les deux à la fois. Et c’est précisément ça qui rend le parti ingouvernable.
À suivre, évidemment. Parce que si même sur un budget de budget de la Sécu on n’arrive plus à s’aligner, qu’est-ce que ça sera sur les retraites, l’immigration ou l’Europe ?
La droite française est peut-être à un tournant. Ou à un point de rupture. L’histoire nous le dira. Mais une chose est certaine : mardi soir, dans l’hémicycle, quelque chose s’est bel et bien cassé.
