Il y a quelques semaines, j’étais tranquillement installée dans le RER, écouteurs vissés aux oreilles, quand mon téléphone vibre. Pas un SMS, pas une notif Instagram. Non : une demande AirDrop. « Lucas » veut m’envoyer une photo. Je décline machinalement. Trente secondes plus tard, nouvelle tentative. Puis une troisième. Avec un message cette fois : « T’es trop belle quand tu lis ». J’ai levé les yeux : une dizaine d’hommes autour de moi, tous absorbés par leur écran. L’un d’eux souriait. J’ai changé de wagon à la station suivante.
Je ne suis clairement pas la seule. Depuis deux ans, ce genre d’histoire pullule sur les réseaux, dans les conversations entre copines, et même dans les témoignages anonymes qui fleurissent un peu partout. La drague par AirDrop (ou désormais par Quick Share sur Android) est devenue le nouveau fléau des espaces publics.
La drague invisible qui rend folle
Le principe est enfantin rend la chose d’autant plus insidieuse. Votre iPhone détecte tous les appareils à proximité en Bluetooth et Wi-Fi. Si votre AirDrop est réglé sur « Tout le monde » (ou même « Contacts uniquement » quand l’expéditeur est malin), n’importe qui peut vous envoyer photos, messages ou vidéos sans que vous ayez rien demandé. Et le pire ? Vous ne savez jamais exactement d’où ça vient.
Dans un train bondé, à la salle de sport entre deux séries de squats, ou même à la bibliothèque où on cherche juste un peu de calme, la notification tombe. Parfois c’est mignon (« Tu as un très joli sourire »). Souvent c’est lourd (« J’adore ton legging, ça te fait un cul d’enfer »). Et de plus en plus souvent, c’est carrément effrayant (photos intimes non sollicitées, insultes quand on refuse…).
« C’est comme si quelqu’un entrait chez vous sans frapper et vous criait dessus par la fenêtre. Vous vous sentez violée dans votre intimité, mais techniquement il n’a rien fait d’illégal. »
– Claire, 29 ans, victime régulière dans le métro parisien
Pourquoi ça explose maintenant ?
Plusieurs raisons se cumulent, et franchement, ça n’annonce rien de bon.
- La généralisation des iPhone chez les moins de 35 ans (plus de 60 % en France selon les dernières études).
- Le réglage par défaut d’AirDrop passé à « Tout le monde pendant 10 minutes » lors de certaines mises à jour, beaucoup oublient de le changer.
- La compatibilité récente entre AirDrop et Quick Share (Google) : désormais même les utilisateurs Android peuvent participer à la fête.
- La culture du « shoot your shot » importée des réseaux américains : on tente sa chance partout, tout le temps, sans filtre.
Résultat ? Ce qui était autrefois une pratique marginale devient un phénomène de masse. Et les femmes, principales cibles, saturent.
Les lieux les plus touchés (et c’est effrayant de régularité)
On pourrait croire que ça arrive au hasard. Non. Les témoignages dessinent une carte ultra-précise du harcèlement 2.0 :
- Les transports en commun (RER A, ligne 13, TER Bordeaux-Toulouse… les lignes les plus bondées).
- Les salles de sport low-cost (les mecs tournent autour des machines à fessiers, téléphone en main).
- Les bibliothèques universitaires et les cafés « coworking » (là où les filles sont concentrées et donc moins sur leurs gardes).
- Les files d’attente (concerts, musées, Apple Store ironiquement).
Dans certains lieux, c’est devenu tellement systématique que des groupes privés se créent pour prévenir : « AirDrop de pervers signalé à Beaugrenelle ce soir », « Évitez le wagon 5 du 20h14 Paris-Lyon »… Triste époque.
Ce que ça dit de notre société (et ce n’est pas joli)
Derrière la blague « Haha encore un AirDropper », il y a quelque chose de profondément dérangeant. Cette pratique repose sur l’idée que l’espace personnel d’une femme dans un lieu public est négociable. Qu’on peut l’interrompre, la jauger, la commenter sans son accord simplement parce que la technologie le permet.
Et le plus glaçant ? L’asymétrie totale. Les hommes reçoivent rarement ce genre de messages (sauf blagues entre potes). Les femmes, elles, collectionnent les notifications intrusives plusieurs fois par semaine. Certaines ont carrément désactivé la fonction. D’autres ont changé leur nom d’appareil pour « Arrêtez merci » ou « J’ai un copain » (ce qui en dit long sur le désespoir).
« J’ai mis mon AirDrop sur « Personne » depuis un an. Résultat ? Je ne peux plus recevoir les photos de mes amis en soirée. Mais au moins je respire dans le métro. »
– Sarah, 26 ans
Comment se protéger concrètement (le guide 2025)
Parce qu’on ne va pas se laisser faire, voici les solutions qui marchent vraiment :
- Désactivez AirDrop une bonne fois pour toutes
Réglages → Général → AirDrop → Réception désactivée. Point final. - Changez le nom de votre appareil
Allez dans Réglages → Général → Informations → Nom. Mettez quelque chose de neutre (« iPhone ») ou dissuasif (« Stop AirDrop »). - Activez le mode « Ne pas déranger » focus transports
Créez un mode Focus spécial qui bloque toutes les notifications sauf appels et messages. - Signalez et bloquez systématiquement
Quand quelqu’un abuse, prenez une capture d’écran et signalez à Apple (ou Google). Ça ne sert pas à grand-chose aujourd’hui, mais plus on sera nombreuses, plus ils seront obligés de réagir. - Parlez-en autour de vous
La honte doit changer de camp. Plus on normalisera le fait que c’est du harcèlement, moins ça sera accepté socialement.
Petit bonus qui marche étonnamment bien : répondez par une photo de votre grand-père en marcel ou un meme ultra-glauque. Certains témoignages affirment que ça calme instantanément 80 % des relous.
Et demain ? Vers une régulation ?
Pour l’instant, ni Apple ni Google n’ont pris de mesure forte. On parle d’un futur réglage « Autoriser uniquement les contacts vérifiés » ou d’une confirmation obligatoire avant réception, mais rien de concret.
En attendant, certaines associations poussent pour que le harcèlement par AirDrop soit reconnu comme une forme de cyberharcèlement sexiste. Parce que oui, envoyer une dickpic à une inconnue dans le métro à 360 km/h, c’est bien du harcèlement. La technologie ne devrait pas servir d’excuse.
Ce qui est sûr, c’est que ce phénomène ne va pas disparaître tout seul. Au contraire, avec l’arrivée de nouvelles fonctions de partage encore plus fluides, on risque de voir le problème s’amplifier.
Alors la prochaine fois que vous verrez une fille soupirer devant son téléphone dans le bus, souriez-lui. Elle vient probablement de recevoir son dixième « Salut ça va ? 😏 » de la journée.
Et vous, vous en pensez quoi ? Avez-vous déjà vécu ça ? Les commentaires sont ouverts (et cette fois, pas besoin d’AirDrop pour me parler).
