Imaginez : vous habitez un quartier officiellement classé « prioritaire », vos voisins à 8 minutes à pied bénéficient de classes moins chargées, de primes pour les profs et de moyens renforcés… mais pas vous. C’est exactement ce que vivent les familles du groupe scolaire du Gros-Caillou à Cergy. Et franchement, on comprend leur colère.
Une anomalie qui saute aux yeux
Dans le quartier de l’Axe Majeur-Horloge, tout le monde connaît tout le monde. Les enfants du Gros-Caillou, du Chat-Perché et de l’Escapade se croisent au parc, font du foot ensemble le mercredi, prennent le même bus. Pourtant, quand on regarde la carte officielle de l’Éducation nationale, c’est le choc : deux établissements sont en Réseau d’Éducation Prioritaire (REP), le troisième… non. Comme si on avait oublié une case en remplissant le dossier.
Et pourtant, le quartier est bien un Quartier Prioritaire de la Politique de la Ville (QPV). Logement social, taux de chômage élevé, familles monoparentales nombreuses… tous les critères sont là. Alors pourquoi cette différence de traitement ?
Qu’est-ce que le REP change concrètement ?
Beaucoup de gens pensent que REP, c’est juste une étiquette. En réalité, c’est une vraie bouffée d’oxygène pour une école :
- Effectifs par classe réduits (souvent 20-22 au lieu de 28-30)
- Prime annuelle de 1 700 € net pour les enseignants
- Plus de décharges horaires pour le directeur
- Accès privilégié aux formations et aux projets pédagogiques
- Dispositifs « plus de maîtres que de classes » ou « devoirs faits » renforcés
Autrement dit, ce n’est pas du luxe : c’est ce qui permet souvent d’éviter le décrochage dès le CP.
« Ma fille est en CP avec 28 enfants. À côté, au Chat-Perché, ils sont 21. Comment voulez-vous que l’enseignante suive tout le monde pareil ? »
– Une maman du Gros-Caillou, excédée
Comment on en est arrivé là ?
L’histoire est presque comique si elle n’était pas triste. Lors du dernier redécoupage de la carte des REP en 2014-2015, l’académie a découpé le quartier en « îlots » statistiques. Le Gros-Caillou s’est retrouvé juste à la frontière d’un îlot un peu plus favorisé (grâce à quelques résidences pavillonnaires toutes proches). Résultat : l’indice de difficulté sociale calculé par l’Éducation nationale était… 0,2 point en-dessous du seuil. Oui, 0,2 point.
Depuis, le quartier a continué de se précariser, mais la carte, elle, n’a pas bougé. Les seuils ont été relevés en 2021 pour créer les REP+, mais le Gros-Caillou est resté coincé dans la catégorie « presque mais pas assez ».
J’ai moi-même regardé les chiffres INSEE du quartier : le revenu médian est inférieur à celui des deux autres écoles, le taux de familles monoparentales plus élevé, le pourcentage d’élèves boursiers équivalent. Sur le terrain, la réalité est la même. Sur le papier Excel de l’académie, non.
La mobilisation qui monte
Les parents n’ont pas attendu que la solution tombe du ciel. Une pétition en ligne tourne depuis plusieurs semaines et approche déjà des 800 signatures. Une manifestation est prévue mardi 2 décembre devant la mairie puis l’inspection académique.
Le collectif « Gros-Caillou en REP : égalité ! » a même créé un dossier de 40 pages avec cartes, statistiques, témoignages d’enseignants et photos des classes surchargées. Tout y est.
Ce qui frappe, c’est la diversité des parents mobilisés : mamans voilées côte à côte avec des parents cadres sup qui ont choisi le quartier pour ses valeurs de mixité, retraités engagés, jeunes papa en reconversion… Tout le monde a compris que l’école, c’est le premier rempart contre la reproduction sociale.
Et la mairie dans tout ça ?
La ville de Cergy-Pontoise soutient officiellement la demande. Le maire a écrit à l’académie, les élus écologistes et de gauche poussent aussi. Même certains élus de droite reconnaissent que « là, c’est vraiment pas logique ».
Malheureusement, la décision finale appartient à l’Éducation nationale et au ministère. Et là, c’est plus compliqué : budget serré, carte scolaire gelée jusqu’en 2027 au moins, crainte d’un « appel d’air » si on rouvre le dossier d’une seule école… Les arguments classiques.
Les enfants, grands perdants
En attendant, ce sont les enfants qui trinquent. Une enseignante (qui souhaite rester anonyme) m’a confié : « J’adore mon métier, mais avec 28 CP en zone prioritaire sans les moyens REP, je cours toute la journée. Je sais que certains décrocheurs, je ne les rattraperai pas. »
Et les chiffres lui donnent raison : dans les écoles REP du secteur, le taux de retard à l’entrée en 6e est deux fois plus faible que dans les établissements hors REP du même quartier.
Vers une issue possible ?
Plusieurs pistes circulent :
- Une dérogation exceptionnelle (ça s’est déjà vu ailleurs)
- Une révision de la carte scolaire locale pour 2026
- La création d’un « REP de quartier » expérimental regroupant les trois écoles (idée séduisante mais compliquée à monter)
En attendant, les parents ne lâchent rien. Et quelque part, on se dit que s’ils obtiennent gain de cause, ce sera aussi une victoire pour tous les quartiers où la carte scolaire joue à pile ou face avec l’avenir des enfants.
Parce qu’au fond, la question est simple : est-ce qu’on veut vraiment l’égalité des chances, ou juste une belle carte avec des jolies couleurs ?
(Article mis à jour après la manifestation du 2 décembre – à suivre…)
