Imaginez la scène : on est début décembre, les décorations de Noël commencent à peine à illuminer les vitrines, et au même moment, un ancien Premier ministre décide tranquillement de mettre le feu aux poudres budgétaires. C’est exactement ce qui vient de se passer. Édouard Philippe a annoncé à ses troupes qu’il ne pouvait tout simplement pas voter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale tel qu’il se présente aujourd’hui. Et quand on connaît le poids d’Horizons dans la majorité relative, cette phrase sonne comme un glas pour le gouvernement.
Je ne vais pas vous faire languir : sans les voix d’Horizons, le texte a très peu de chances de passer le 9 décembre. Point final. Alors oui, on parle beaucoup du bras de fer avec la gauche ces derniers jours, mais le vrai coup de théâtre vient de l’intérieur même du camp présidentiel. Drôle de manière de fêter l’approche des fêtes, non ?
Un « non » qui change toute la donne
Ce midi-là, juste avant que le texte ne revienne en deuxième lecture à l’Assemblée, le maire du Havre a été clair comme de l’eau de roche devant ses députés : « En l’état, on s’abstiendra, ou on votera contre. » Traduction : le gouvernement ne peut plus compter sur les 34 voix Horizons pour sauver son budget de la Sécu. C’est brutal, net, sans appel.
Et pourtant, personne ne s’y attendait vraiment. Enfin, pas à ce point-là. On pensait que le danger viendrait plutôt des négociations compliquées avec le Parti socialiste. Que le vrai risque pour Sébastien Lecornu, c’était de ne pas réussir à décrocher un accord à gauche. Eh bien non. Le coup le plus dur vient de la droite de la majorité. Ironique, quand on y pense.
« Il est impossible de voter pour. La priorité des priorités, c’est de ne pas laisser filer la dette. »
Un député Horizons, résumant la position officielle
Le message est limpide : pour Édouard Philippe et son parti, laisser le déficit dériver au-delà des 20 milliards d’euros, c’est tout simplement hors de question. Quitte à faire tomber le texte. Quitte à fragiliser très sérieusement le gouvernement à quelques semaines des vacances de Noël. C’est une forme de cohérence froide, presque chirurgicale.
Les deux points qui coincent vraiment
Alors concrètement, qu’est-ce qui bloque ? Deux sujets cristallisent toute la colère :
- La suspension, même partielle, de la réforme des retraites. Pour Horizons, c’est niet. On ne touche pas à ce totem.
- L’idée d’une hausse de la CSG, même ciblée. Là encore, c’est vu comme une ligne rouge absolue.
Ajoutez à cela un déficit qui s’emballe – on parle désormais de plus de 20 milliards au lieu des 17 initialement prévus – et vous avez la recette parfaite pour un refus catégorique. D’ailleurs, les intéressés ne s’en cachent même pas : « On a toujours été très clairs là-dessus », répètent-ils dans les couloirs.
Mais derrière cette posture de principe, beaucoup y voient autre chose. Une stratégie plus longue. Voire présidentielle. Parce qu’en se posant en gardien inflexible des comptes publics, Édouard Philippe marque des points auprès d’un électorat de droite qui rêve d’un retour à l’orthodoxie budgétaire. Et tant pis si ça fait mal à court terme.
À gauche, on crie au « troisième ingénieur du chaos »
La réaction ne s’est pas fait attendre. Du côté socialiste, on oscille entre colère et sidération. Le premier secrétaire du parti parle carrément d’un « troisième ingénieur du chaos », après LFI et le RN. Ambiance.
« Il y a des gens qui font passer leur ambition personnelle, présidentielle, avant toute considération pour ce que vont vivre les Français. »
Le message est violent. Et il dit beaucoup de la tension actuelle. Parce qu’au fond, tout le monde sait que sans compromis, c’est le pays tout entier qui risque de se retrouver sans budget de la Sécu voté avant la fin de l’année. Et ça, même les plus combatifs commencent à trouver ça inquiétant.
Tous les regards tournés vers Laurent Wauquiez
Et maintenant ? Eh bien, paradoxalement, l’avenir du texte repose peut-être sur… Les Républicains. Oui, vous avez bien lu. Ces mêmes LR qu’on donnait perdants il y a encore quelques semaines.
Avec 49 députés, le groupe de Laurent Wauquiez devient soudain l’arbitre du match. Si Horizons vote contre, il faudrait presque un miracle à gauche pour compenser. À moins que, à droite, quelques voix basculent. Et là, tout devient possible.
- Supprimer la suspension de la réforme des retraites ?
- Abandonner toute idée de hausse de la CSG ?
- Revenir sur le gel des pensions ou la hausse des franchises médicales ?
Ce sont les points de négociation que LR met sur la table. Et franchement, vu le contexte, ils ont une carte intéressante à jouer. On parle même dans certains couloirs d’un « coup politique » possible : apparaître comme les seuls responsables, ceux qui sauvent le pays du chaos, pendant qu’Édouard Philippe endosserait le costume du diviseur.
Le retour annoncé du 49.3 ?
Et puis il y a cette option que personne n’osait vraiment évoquer ces derniers jours : le 49.3. Oui, Sébastien Lecornu avait juré qu’il ne l’utiliserait pas. Mais quand votre survie politique est en jeu, les promesses…
Beaucoup, à droite comme au centre, verraient ça d’un bon œil. Parce qu’en cas de 49.3, il suffit de ne pas voter la motion de censure pour survivre. C’est plus simple que de devoir défendre un texte impopulaire devant ses électeurs. Cynique ? Peut-être. Réaliste ? Assurément.
« Lecornu s’est engagé à ne pas l’utiliser. Mais il a cet outil sous la main s’il veut éviter la chute. »
Un conseiller gouvernemental
Chez Horizons, on balaye ça d’un revers de main. « Voter contre, ce n’est pas provoquer le chaos. L’an dernier, on a fini l’année sans budget voté… et on est toujours là », ironisent certains. C’est vrai. Mais cette année, le contexte est différent. Beaucoup plus explosif.
Ce que ça dit de plus grand sur la majorité
Au-delà du budget de la Sécu, ce qui se joue là est immense. C’est la preuve, s’il en fallait encore une, que la majorité relative est un animal fragile. Qu’à tout moment, un partenaire peut décider de claquer la porte. Et que la stabilité promise en 2022 ressemble de plus en plus à un mirage.
Édouard Philippe, en posant ce veto, rappelle aussi qu’il existe. Qu’il n’est pas un simple faire-valoir. Qu’il a sa ligne, ses convictions, et surtout son agenda. On peut y voir de l’opportunisme. On peut aussi y voir de la cohérence. Les deux ne sont d’ailleurs pas incompatibles.
Ce qui est certain, c’est que le 9 décembre s’annonce comme un des jours les plus longs de la législature. Soit un compromis in extremis sort du chapeau – et là, tout le monde sauvera la face. Soit le texte tombe. Et dans ce cas, les conséquences politiques seront lourdes. Très lourdes.
En attendant, une chose est sûre : cette crise budgétaire n’est pas qu’une histoire de chiffres. C’est une histoire de pouvoir, d’ambitions, et de fidélité. Ou plutôt d’absence de fidélité. Et comme souvent en politique française, c’est quand tout semble calme que la tempête éclate le plus fort.
On suivra ça de très près. Parce que les prochains jours risquent de redessiner complètement la carte politique pour 2026 et au-delà. Et vous, vous pariez sur un accord de dernière minute ou sur un crash retentissant ? Les paris sont ouverts.
