Vous souvenez-vous de vos cours d’éducation sexuelle au collège ? Moi, à peine. Un diaporama un peu gênant, une intervenante extérieure qui parlait dans le vide, et puis plus rien. Vingt ans plus tard, on se dit que ça n’a pas beaucoup évolué… jusqu’à cette décision de justice qui tombe comme un couperet : l’État français est officiellement reconnu coupable d’avoir laissé des générations entières dans le flou sur des sujets aussi cruciaux que le consentement, les relations affectives ou la prévention des violences.
Un euro symbolique, certes. Mais derrière cette somme dérisoire, il y a une réalité bien plus lourde : des milliers d’élèves qui n’ont jamais bénéficié de l’enseignement pourtant rendu obligatoire il y a plus de vingt ans.
Une obligation légale enterrée pendant deux décennies
Retour en 2001. À l’époque, la loi est claire : trois séances annuelles d’éducation à la sexualité doivent être organisées dans tous les établissements, du primaire au lycée. L’objectif ? Donner aux jeunes les clés pour construire des relations saines, comprendre leur corps, se protéger des IST, et surtout apprendre le respect de soi et des autres.
Vingt-quatre ans plus tard, le constat est accablant. Selon les associations qui ont porté l’affaire devant la justice, moins d’un établissement sur cinq respectait réellement cette obligation avant début 2025. Le reste ? Du bricolage, des interventions ponctuelles, ou carrément rien.
« L’État a manqué à son obligation d’organiser ces séances » – c’est écrit noir sur blanc dans le jugement.
Et franchement, ça fait mal. Parce que pendant ce temps-là, les ados, eux, n’ont pas attendu l’Éducation nationale pour « s’éduquer ». Ils sont allés sur Internet. Sur des sites porno. Sur des forums. Avec tout ce que ça implique de visions déformées, de pression, de violence normalisée.
Pourquoi c’est grave, concrètement ?
On entend souvent dire « de mon temps, on se débrouillait très bien sans cours ». Peut-être. Mais « se débrouiller » voulait dire apprendre sur le tas, avec les copains, les magazines, les rumeurs. Aujourd’hui, l’accès à la pornographie hardcore dès 11 ans en moyenne change complètement la donne.
Les chiffres font froid dans le dos :
- 80 % des scènes pornographiques mainstream contiennent des actes de violence ou d’humiliation (étude universitaire récente)
- 1 adolescente sur 3 déclare avoir subi une pression pour envoyer des photos dénudées
- Le nombre de viols sur mineurs signalés a explosé ces dernières années
Et pendant ce temps, dans les établissements, on continuait à botter en touche. Par manque de moyens ? De formation des enseignants ? De courage politique ? Probablement un peu de tout ça.
Les profs abandonnés face à un sujet explosif
Je me souviens avoir discuté avec une prof de SVT il y a quelques années. Elle m’avait confié, un peu gênée : « On nous demande de faire ces séances, mais on n’a aucune formation. Et quand on aborde le consentement ou l’homosexualité, on a immédiatement des parents qui montent au créneau. »
Cette peur du scandale a paralysé tout le système. Résultat : on préfère ne rien faire plutôt que de mal faire. Sauf que ne rien faire, c’est déjà mal faire.
Les enseignants ne sont pas les seuls coupables, loin de là. Mais ils sont en première ligne, sans bouclier. Pas de programme clair, pas de supports validés, pas de protection hiérarchique en cas de polémique. Forcément, on esquive.
Et maintenant, ça change vraiment ?
La bonne nouvelle dans cette condamnation, c’est qu’elle semble avoir enfin fait bouger les choses. Depuis février 2025, les témoignages d’enseignants et de chefs d’établissement convergent : les instructions sont redevenues claires, les moyens (un peu) débloqués, les formations lancées.
Mais soyons honnêtes : on part de très loin. Rat-traper vingt ans de retard ne se fera pas en un claquement de doigts.
Ce qu’il faut maintenant, ce n’est pas juste cocher une case « trois séances par an ». C’est repenser complètement l’approche :
- Former massivement les enseignants (et pas juste une demi-journée en visio)
- Créer des ressources modernes, qui parlent le langage des ados d’aujourd’hui
- Impliquer les élèves eux-mêmes dans la construction des contenus
- Protéger les personnels qui osent aborder ces sujets sans tabou
- Et surtout, arrêter de considérer l’éducation sexuelle comme un « bonus » ou un risque, mais comme un pilier fondamental de l’école républicaine
L’éducation sexuelle, c’est aussi l’éducation à l’égalité
L’aspect peut-être le plus intéressant de cette affaire, c’est qu’elle dépasse largement la simple « plomberie ». Parler de sexualité à l’école, c’est parler d’égalité entre les filles et les garçons. De respect. De lutte contre les stéréotypes. De prévention des violences sexistes et sexuelles.
C’est apprendre à une gamine de 13 ans qu’elle a le droit de dire non. À un garçon du même âge que la virilité, ce n’est pas dominer ou posséder. Que le consentement enthousiaste, ce n’est pas un concept de bobos, mais la base même d’une relation saine.
Dans un pays où une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, prétendre que ces sujets peuvent attendre, c’est criminel.
Vers une école qui protège vraiment ses élèves
Cette condamnation, aussi symbolique soit-elle, pourrait bien marquer un tournant. Pour la première fois, l’État est mis face à ses responsabilités non pas par une circulaire oubliée dans un tiroir, mais par une décision de justice.
Et si c’était le début de quelque chose ? D’une école qui ne se contente plus d’enseigner les maths et le français, mais qui forme aussi des citoyens responsables de leur corps et de leurs relations ?
Il reste énormément à faire. Mais pour une fois, on a l’impression que le vent tourne. Que les associations qui se battent depuis des années ne crient plus dans le désert. Que les jeunes, eux aussi, commencent à faire entendre leur voix : « On veut qu’on nous parle franchement. On veut comprendre. On veut être protégés. »
Parce qu’au final, donner une éducation affective et sexuelle digne de ce nom à tous les élèves, ce n’est pas faire de la politique. C’est tout simplement faire son boulot d’État éducateur.
Et ça, même un euro symbolique ne devrait pas pouvoir l’acheter.
