Quand on m’a annoncé que la France était deuxième en Europe pour l’égalité entre femmes et hommes, j’ai d’abord eu un petit sourire fier. Puis j’ai ouvert le rapport complet… et là, la douche froide. Oui, on est sur le podium, juste derrière la Suède. Mais quand on gratte un peu, on se rend compte que ce classement cache des réalités bien plus contrastées. Et franchement, il y a de quoi rester songeur.
Ce n’est pas tous les jours qu’un indice européen nous place aussi haut. Pourtant, derrière les chiffres qui font plaisir, il y a des domaines où on stagne, voire où on régresse doucement. Alors oui, on peut se féliciter de certains progrès fulgurants. Mais non, on n’a clairement pas encore gagné la bataille. Allons voir ça de plus près.
Un indice qui mesure vraiment la vie des gens
Chaque année, un organisme européen passe au peigne fin six grands domaines : le travail, l’argent, le pouvoir, le savoir, le temps consacré aux autres et à soi, et la santé. L’idée n’est pas de savoir si les lois sont jolies sur le papier, mais de regarder ce qui se passe concrètement dans la vie des femmes et des hommes.
En 2025, la note globale de la France atteint 73,4 points sur 100. C’est mieux qu’il y a dix ans (+9,3 points). On fait mieux que la moyenne européenne (63,4) et on laisse loin derrière des pays comme l’Allemagne ou l’Italie. Mais 100, l’égalité parfaite, on en est encore très loin. Et certains chapitres du rapport font mal.
Le pouvoir : là où la France brille vraiment
Commençons par la bonne nouvelle, celle qui tire notre classement vers le haut. Dans la catégorie « pouvoir », la France décroche une excellente note : 72,5/100. Et les progrès sont impressionnants : presque +30 points en dix ans.
Concrètement ? Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les conseils d’administration des grandes entreprises, dans les instances sportives nationales et, bien sûr, au Parlement ou au gouvernement. Les lois sur la parité et les quotas ont clairement porté leurs fruits. On peut critiquer le principe des quotas autant qu’on veut, force est de constater que ça fonctionne.
Quand la loi impose, les mentalités finissent par suivre. Parfois, il faut forcer un peu la porte.
C’est peut-être le domaine où la volonté politique a été la plus nette et les résultats les plus visibles. Et ça, honnêtement, ça fait plaisir.
Le travail : onzième place, et ce n’est pas glorieux
Maintenant, passons aux choses qui fâchent. Quand on parle emploi, la France retombe à une triste 11ᵉ place. La note (72,8) est correcte, mais loin d’être exceptionnelle.
Quelques chiffres qui font grincer des dents :
- Seulement 19,3 % des spécialistes en technologies de l’information sont des femmes.
- À peine 40 % des postes de managers dans les entreprises.
- Et surtout : 28,7 % des femmes occupent des emplois très faiblement rémunérés, contre seulement 18,2 % des hommes.
Autrement dit, quand on est une femme, on a beaucoup plus de chances de se retrouver caissière, aide-soignante ou agente d’entretien que cadre supérieur ou ingénieure. Et ça, ce n’est pas nouveau, mais ça ne s’arrange pas assez vite.
J’ai une amie qui bosse dans la tech depuis quinze ans. Elle m’a confié un jour : « Dans certaines réunions, je suis encore la seule femme. Et on me demande toujours si je suis l’assistante. » Quinze ans après, ça continue. C’est dire.
L’argent : les écarts qui ne se réduisent presque plus
Conséquence logique : dans la catégorie « argent », la France est 15ᵉ. Les écarts de revenus restent importants, y compris au sein des couples.
Et là, le rapport pointe du doigt quelque chose de très français : des idées encore bien ancrées selon lesquelles l’homme serait « naturellement » celui qui gère l’argent et qui doit ramener le plus gros salaire. Près d’un tiers des femmes et plus d’un tiers des hommes pensent encore que le rôle principal de l’homme, c’est de gagner de l’argent. On croit rêver en 2025.
Résultat : les interruptions de carrière (souvent pour élever les enfants), le temps partiel imposé, les métiers moins valorisés… tout ça creuse un écart qui se ressent jusqu’à la retraite. Et là, les chiffres sont implacables.
Le temps : la charge mentale a un genre
On arrive à un chapitre qui me touche particulièrement : le temps. Combien d’heures passe-t-on à s’occuper des enfants, des parents âgés, à faire le ménage, à cuisiner ? Et combien à se reposer ou à faire du sport ? La réponse est cruelle.
La France est 9ᵉ, avec zéro progrès depuis 2015. Autrement dit, on stagne complètement. Près de la moitié des Européens pensent encore que les hommes sont « moins doués » pour les tâches domestiques. Et devinez quoi ? Ça se voit dans les chiffres.
Les femmes continuent de porter l’essentiel de la charge mentale et physique du foyer. Même quand elles travaillent autant (voire plus) que leur conjoint. Et ça, aucun congé parental mieux partagé n’a encore réussi à le faire vraiment bouger.
L’éducation : les filières scientifiques toujours aussi masculines
On pourrait croire que les jeunes générations vont tout changer. Eh bien pas encore. Dans les filières scientifiques et technologiques, les femmes ne représentent que 34 % des diplômés en France. Et ce chiffre bouge à peine.
Le rapport est clair : à ce rythme, il faudra plus de deux siècles pour atteindre une répartition équilibrée dans les choix d’orientation. Deux siècles. Laissez-moi vous dire que ça fait froid dans le dos.
Les stéréotypes commencent dès l’enfance : les petites filles reçoivent moins de jouets scientifiques, onent moins encouragées à « bricoler », et finissent par s’auto-censurer. Et on s’étonne ensuite qu’il y ait si peu de femmes ingénieures ?
La violence : le grand absent du classement
Il y a un domaine que le rapport ne peut pas noter faute de données comparables : la violence faite aux femmes. Mais les chiffres français existent. Et ils sont lourds : 35 % des femmes déclarent avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles depuis l’âge de 15 ans. C’est plus que la moyenne européenne.
On ne peut pas parler d’égalité sans parler de sécurité. Et sur ce terrain-là, on a encore énormément de pain sur la planche.
Alors, deuxième, vraiment ?
Oui, la France est deuxième. Et c’est une vraie performance, surtout grâce aux avancées dans la représentation politique et économique des femmes au sommet.
Mais non, on n’a pas le droit de s’en contenter. Parce que dans la vie quotidienne – au travail, à la maison, dans le porte-monnaie, dans les choix d’orientation – les inégalités restent béantes. Et parfois, elles ont même la vie dure.
Le plus inquiétant ? C’est que dans certains domaines (le temps, l’argent), on stagne complètement. Comme si on avait atteint un plafond de verre collectif. Et ça, c’est le vrai défi des années à venir.
On a prouvé qu’avec de la volonté politique, on pouvait faire bouger les lignes rapidement (regardez le pouvoir). Il suffit donc de décider que les autres domaines méritent la même énergie. Ni plus, ni moins.
Parce qu’au fond, l’égalité, ce n’est pas une médaille qu’on accroche au mur. C’est un quotidien où personne ne doit choisir entre sa carrière et sa famille, où personne ne gagne moins parce qu’elle est une femme, où personne n’a peur de rentrer chez elle le soir.
On est deuxième. C’est bien. Mais on peut – et on doit – viser la première place. Pas pour la gloire. Pour que nos filles, nos sœurs, nos collègues, nos amies, vivent enfin dans un pays où le genre ne détermine plus rien.
Et ça, ça vaut tous les classements du monde.
