Imaginez-vous dans un pays où l’écart entre deux candidats à la présidence tient à quelques centaines de voix sur des millions. Et soudain, le président des États-Unis débarque dans la campagne, menace, promet des grâces et conditionne l’aide financière du pays à l’issue du scrutin. C’est exactement ce qui se passe en ce moment au Honduras. Et franchement, on n’avait pas vu un tel mélodrame électoral depuis longtemps.
Un scrutin qui se joue à un cheveu
Lundi matin, après le vote de dimanche, le Conseil national électoral a publié les premiers chiffres sérieux. Sur 57 % des procès-verbaux dépouillés numériquement, Nasry Asfura, l’ancien maire de Tegucigalpa et candidat du Parti national (droite conservatrice), devance Salvador Nasralla, animateur télé devenu politicien et porte-étendard du Parti libéral (droite aussi, mais plus centriste), de… 515 voix seulement.
La présidente du CNE a parlé d’« égalité technique ». Traduction : avec la marge d’erreur habituelle, personne ne peut encore crier victoire. Le comptage manuel des bulletins restants peut durer plusieurs jours, voire une semaine. Autant dire que le pays retient son souffle.
« Les chiffres parleront d’eux-mêmes »
Nasry Asfura, depuis son QG de campagne
De son côté, Nasralla jure qu’il est devant de cinq points selon ses propres calculs. Classique dans ce genre de situation ultra-tendue : chacun brandit ses chiffres parallèles.
Deux droites qui se détestent
Ce qui rend l’histoire encore plus savoureuse, c’est que les deux favoris viennent du même camp idéologique. Aucun des deux ne veut d’une gauche qu’ils accusent, à longueur de meetings, de transformer le Honduras en « nouveau Venezuela ».
Leur cible commune ? La présidente sortante Xiomara Castro et sa candidate officielle de la gauche, Rixi Moncada, qui s’effondre dans les sondages et dans les premiers résultats. Les Honduriens semblent avoir sanctionné lourdement quatre ans de pouvoir marqué par la pauvreté persistante, la violence des maras et une corruption endémique.
- Nasry Asfura, 67 ans, homme d’affaires, maire de la capitale pendant douze ans, déjà candidat en 2021 (perdant face à Xiomara Castro).
- Salvador Nasralla, 72 ans, star de la télé, langage cash, troisième tentative à la présidence.
En gros, le pays a choisi de tourner la page de la gauche… mais ne sait pas encore quelle droite il veut à la place.
Et là, Donald Trump entre en scène
Alors que tout le monde attend sagement la suite du dépouillement, bam ! Message sur Truth Social lundi soir :
« On dirait que le Honduras essaye de voler l’élection. S’ils le font, ils le paieront très cher ! »
Donald Trump
Le milliardaire républicain, qui reprend ses fonctions en janvier, a clairement choisi son camp : Nasry Asfura, surnommé « Tito », qu’il présente comme le seul capable de « lutter contre les narco-communistes ».
Il va même plus loin : il annonce qu’il graciera dès son arrivée à la Maison Blanche l’ancien président Juan Orlando Hernández (2014-2022), membre du même parti qu’Asfura, actuellement en prison à vie aux États-Unis pour avoir facilité l’entrée de centaines de tonnes de cocaïne sur le sol américain.
Cette promesse fait bondir tout le monde. D’un côté, elle flatte une partie de l’électorat hondurien qui voit en Hernández un martyr de « l’impérialisme yankee ». De l’autre, elle scandalise ceux qui luttent depuis des années contre l’impunité et le narco-pouvoir.
L’aide américaine mise sur la table
Trump n’y va pas par quatre chemins : si Asfura ne gagne pas, « les États-Unis ne gaspilleront pas leur argent » avec le Honduras. Comprendre : adieu les centaines de millions de dollars d’aide annuelle, essentielle pour un pays où deux habitants sur trois vivent sous le seuil de pauvreté.
Il ajoute qu’il « ne pourrait pas travailler » avec Rixi Moncada et les « communistes », et qu’il n’a « pas confiance » en Salvador Nasralla. En une phrase, il vient de transformer une élection locale en enjeu géopolitique majeur.
Personne n’est dupe : Washington a toujours eu une influence énorme au Honduras (bases militaires, accords migratoires, lutte anti-drogue). Mais là, on passe à un interventionnisme décomplexé, presque caricatural.
Un parfum de déjà-vu
Les plus anciens se souviennent du coup d’État de 2009 contre Manuel Zelaya (mari de l’actuelle présidente Xiomara Castro), soutenu à l’époque par Washington. Seize ans plus tard, les rôles sont inversés, mais la méthode reste la même : téléphones depuis la Maison Blanche, tweets incendiaires, pressions économiques.
Ce qui change ? Les réseaux sociaux amplifient tout. Un post de Trump fait le tour du Honduras en quelques minutes et met instantanément les partisans d’Asfura dans la rue pour « défendre le vote ».
Et maintenant ?
Le dépouillement se poursuit dans un climat électrique. Des observateurs internationaux sont sur place, mais leur présence n’empêche pas les rumeurs de fraude de circuler des deux côtés.
Ce qui est certain, c’est que le prochain président héritera d’un pays fracturé, avec :
- Une pauvreté qui touche 65 % de la population
- Un taux d’homicides parmi les plus élevés d’Amérique latine
- Des caravanes de migrants qui continuent de partir vers le nord
- Une dette extérieure écrasante
Et surtout, une épée de Damoclès américaine au-dessus de la tête. Car quel que soit le vainqueur, il devra composer avec un Donald Trump qui a déjà montré qu’il n’hésiterait pas à couper les vivres.
Personnellement, je trouve cette séquence à la fois fascinante et inquiétante. Fascinante parce qu’elle montre à quel point les élections dans un petit pays d’Amérique centrale peuvent devenir un enjeu mondial en un tweet. Inquiétante parce qu’elle rappelle que la souveraineté électorale reste, dans certaines régions, un concept… relatif.
On attend la suite du dépouillement. Et croyez-moi, on risque de ne pas être déçus du spectacle.
(Article mis à jour au 2 décembre 2025 – les résultats définitifs ne sont toujours pas connus à l’heure où j’écris ces lignes)
