Vous souvenez-vous de ces courbes impressionnantes qui montraient la consommation électrique française exploser jusqu’à 650 TWh en 2035 ? On nous promettait une France tout électrique, avec des millions de voitures branchées et des usines tournées à l’électricité verte. Eh bien, oubliez ça. Le gestionnaire du réseau haute tension vient de publier son nouveau bilan et, comment dire… c’est la douche froide.
Une cure d’austérité électrique inattendue
En 2023, tout le monde voyait la France devenir un ogre électrique. Aujourd’hui, les chiffres tombent comme un couperet : on parle désormais d’une fourchette entre 505 et 580 TWh à l’horizon 2035, contre 450 TWh en moyenne actuellement. Autrement dit, on ajoute seulement 55 à 130 TWh en dix ans. C’est énorme en valeur absolue, mais c’est peanuts par rapport à ce qu’on imaginait.
Et le plus surprenant ? Ce n’est pas parce qu’on devient plus sobre par vertu écologique. Non, c’est simplement que l’électrification promise ne décolle pas aussi vite qu’espéré. Les Français achètent moins de voitures électriques qu’on le pensait, les pompes à chaleur ne remplacent pas les chaudières gaz aussi rapidement, et l’industrie, elle, reste fidèle au gaz pour l’instant.
« La transition des énergies fossiles vers l’électricité est encore trop lente pour atteindre nos objectifs de décarbonation et de réindustrialisation. »
Extrait du dernier bilan prévisionnel
Pourquoi cette électrification cale-t-elle ?
Plusieurs raisons se cumulent, et elles sont assez logiques quand on y réfléchit deux minutes.
- Le prix des véhicules électriques reste élevé malgré les baisses récentes. Le bonus écologique a été réduit, et l’offre en modèles abordables reste limitée.
- Les pompes à chaleur ? Oui, elles sont efficaces, mais l’installation coûte cher, les artisans sont débordés, et beaucoup de logements anciens sont difficiles à équiper correctement.
- Dans l’industrie, les projets d’électrification (fours électriques, électrolyseurs pour hydrogène vert) prennent un retard fou à cause des coûts et des incertitudes réglementaires.
- Le ralentissement économique n’aide pas non plus : moins de croissance, moins d’investissements, moins de nouvelles usines gourmandes en électricité.
Résultat : on se retrouve avec un paradoxe. On a peur de manquer d’électricité l’hiver, et en même temps on prévoit une surcapacité de production dans les années à venir. Drôle d’époque.
Le nucléaire, grand gagnant par défaut ?
Là où ça devient politique, c’est que cette baisse des prévisions change complètement la donne pour les investissements à venir.
Le programme de six nouveaux réacteurs EPR2 ? Il reste intact. Le gouvernement ne veut pas en démordre, même si les coûts explosent (on parle déjà de passer de 67 à plus de 100 milliards d’euros). Parce que, justement, avec une consommation plus faible, on a besoin de cette production pilotable pour remplacer les vieux réacteurs qui fermeront.
Mais pour les renouvelables ? C’est une autre histoire. Les objectifs ambitieux d’éolien en mer (18 GW annoncés en grande pompe en 2022) risquent de fondre comme neige au soleil. On devrait plutôt tourner autour de 10-12 GW, selon plusieurs experts. Le solaire aussi pourrait voir ses objectifs doucement rabotés.
« Une consommation revue à la baisse, ça devrait pousser l’État à réfléchir, surtout quand les grands chantiers nucléaires dérivent systématiquement. »
Un spécialiste du secteur énergétique
Et nous, dans tout ça ?
Pour le consommateur lambda, cette nouvelle donne a du bon et du moins bon.
Le bon : avec une surcapacité prévue, les prix de gros de l’électricité pourraient rester bas pendant plusieurs années. On a vu cet automne des prix négatifs certains week-ends, quand le soleil et le vent produisent à fond et que la demande est faible. Cela pourrait limiter la hausse des factures… si les pouvoirs publics jouent le jeu.
Le moins bon : si on n’électrifie pas plus vite, on reste dépendants du gaz importé (Russie, États-Unis, Qatar, Norvège…). Or, c’est exactement ce qu’on voulait éviter avec la transition. Et on rate aussi les économies d’énergie promises : une pompe à chaleur bien installée divise par trois la facture de chauffage, une voiture électrique coûte beaucoup moins cher à l’usage. En restant au fioul ou au diesel, on continue à envoyer des milliards à l’étranger chaque année.
Un réseau à moderniser quand même
Paradoxalement, même avec une consommation plus modérée, les investissements dans le réseau restent colossaux.
Le gestionnaire du réseau haute tension prévoit 100 milliards d’euros sur dix ans pour renforcer et moderniser ses lignes. Le distributeur (celui qui amène l’électricité jusqu’à chez vous) en prévoit autant. Soit 200 milliards au total. Pourquoi autant ? Parce que même si on consomme moins en volume, on consomme différemment : plus de pointes, plus de production décentralisée (solaire sur les toits), plus de véhicules qui se rechargent en même temps le soir. Le réseau doit devenir plus intelligent, plus flexible.
Alors, faut-il s’inquiéter ou se réjouir ?
Personnellement, je trouve cette révision plutôt saine. Les précédentes prévisions sentaient un peu l’excès d’optimisme politique. On nous vendait un futur 100 % électrique sans se poser la question du « comment on paye ? » et du « est-ce que les Français suivent ? ». Là, on revient sur terre.
Mais attention : ralentir les renouvelables sous prétexte qu’on a moins besoin d’électricité serait une grossière erreur. Parce que l’objectif n’est pas seulement de produire plus ou moins, mais de produire propre. Et pour l’instant, chaque kilowattheure renouvelable évite d’importer du gaz ou du pétrole. C’est bon pour le climat, bon pour le portefeuille du pays, et bon pour notre indépendance.
Le vrai défi, maintenant, va être de relancer l’électrification sans tout miser uniquement sur le nucléaire. Parce que si on rate ce virage, dans dix ans, on risque de se retrouver avec de beaux réacteurs tout neufs… et toujours dépendants des énergies fossiles pour tout le reste.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Allez-vous franchir le pas du véhicule électrique ou de la pompe à chaleur ces prochaines années ? Ou préférez-vous attendre que les prix baissent encore ?
En attendant, une chose est sûre : la transition énergétique française prend un tournant inattendu. Moins flamboyante que prévu, mais peut-être plus réaliste. Et parfois, le réalisme, c’est déjà un grand pas.
