Vous souvenez-vous de ce soir de janvier 2019 où le football a retenu son souffle ? Un petit Piper Malibu qui décolle de Nantes, direction Cardiff, avec à son bord un attaquant argentin de 28 ans plein de rêves. Quelques heures plus tard, plus rien. Juste un silence assourdissant et une carcasse d’avion reposant par 67 mètres de fond dans la Manche. Emiliano Sala n’a jamais foulé la pelouse de Cardiff City. Sept ans après, l’histoire est loin d’être terminée.
Un dossier qui refuse de se refermer
Ce lundi 8 décembre 2025, le tribunal de commerce de Nantes va vivre une audience pas comme les autres. D’un côté, Cardiff City, club gallois relégué en Championship peu après le drame. De l’autre, le FC Nantes, toujours dirigé par Waldemar Kita. Au milieu, une addition qui donne le vertige : plus de 120 millions d’euros de préjudice réclamés par les Gallois. Et au centre de tout ça, la mémoire d’un joueur qui n’a jamais pu porter le maillot bleu ciel.
Franchement, quand on voit la durée de cette bataille judiciaire, on se dit que le football professionnel a parfois des airs de série à rebondissements sans fin. TAS, FIFA, tribunal de commerce… On a l’impression que chaque instance y va de sa petite couche, et le dossier grossit, grossit, jusqu’à devenir monstrueux.
Retour sur les faits : une soirée qui a tout fait basculer
21 janvier 2019. Emiliano Sala vient de signer à Cardiff pour 17 millions d’euros, un record pour le club. Il fait l’aller-retour express à Nantes pour saluer ses anciens coéquipiers et récupérer ses affaires. L’agent Willie McKay, très impliqué dans le transfert, propose d’affréter un vol privé. Le pilote David Ibbotson accepte la mission. L’avion décolle à 19 h 15. À 20 h 30, plus de nouvelles. Le lendemain, les recherches commencent. Le 3 février, l’épave est localisée. Le 7 février, le corps d’Emiliano est retrouvé. Celui du pilote, jamais.
L’enquête révélera plus tard que le pilote n’avait pas la licence pour voler de nuit ni pour du transport commercial. L’avion lui-même n’était pas forcément en règle. Des détails qui font froid dans le dos quand on y repense.
Ce que Cardiff reproche exactement à Nantes
Pour le club gallois, tout est clair : le FC Nantes, via Willie McKay présenté comme son intermédiaire, a organisé un vol dangereux. Résultat ? La mort du joueur, l’impossibilité de l’aligner, la relégation en fin de saison et des pertes financières colossales.
- Perte de revenus sportifs (pas de maintien en Premier League)
- Préjudice d’image et de réputation
- Manque à gagner sur les droits TV pendant plusieurs années
- Coûts liés aux recherches et à l’après-drame
Ils ont même fait réaliser une expertise indépendante qui chiffre le tout à plus de 120 millions d’euros. Autant dire que si le tribunal leur donne raison, ce serait le plus gros dommage et intérêts jamais vu dans une affaire de football.
« Cette procédure ne vise pas à nuire au football mais à protéger son intégrité et à garantir des standards plus élevés, surtout en matière de transferts. »
Communiqué officiel de Cardiff City
La défense du FC Nantes : « Aucune faute, aucun lien »
De l’autre côté de la barre, l’entourage du président nantais est formel : le club n’a rien à se reprocher. Willie McKay ? Un agent indépendant, pas un salarié du club. Le vol ? Proposé à titre amical, pas commandité. Le transfert ? Validé par toutes les instances, et l’argent (11 millions sur 17) a fini par être payé après décision de la FIFA en 2023.
Le discours est rodé : pas de faute, pas de lien de causalité, et surtout pas de préjudice direct imputable au club. En résumé : Cardiff a déjà eu gain de cause sur le paiement du transfert, qu’ils arrêtent de pleurer.
Entre nous, on sent quand même une certaine lassitude du côté des Canaris. Comme si cette affaire collait à la peau du club depuis trop longtemps.
Le parcours judiciaire : un vrai marathon
Pour bien comprendre où on en est, petit flashback nécessaire :
- 2019-2022 : Cardiff refuse de payer les échéances du transfert, arguant que le contrat n’était pas totalement valide au moment du décès.
- 2022 : Le TAS tranche : le transfert était bien effectif. Cardiff doit payer.
- 2023 : La chambre de résolution des litiges de la FIFA confirme et condamne Cardiff à verser 11 M€ immédiatement.
- 2023 : Cardiff contre-attaque en saisissant le tribunal de commerce de Nantes pour « responsabilité délictuelle ».
- 2025 : Audience sur le fond ce lundi 8 décembre.
Autant dire que les deux instances suprêmes du sport ont déjà donné raison à Nantes sur le fond du transfert. Mais Cardiff joue sur un autre tableau : la responsabilité civile hors contrat.
Les zones d’ombre qui restent
Même sept ans après, certaines questions continuent de tarauder les observateurs :
- Pourquoi avoir choisi ce pilote et cet avion alors que des vols commerciaux existaient ?
- Willie McKay était-il vraiment un simple « facilitateur » ou un mandataire officieux de Nantes ?
- Cardiff a-t-il vraiment tout fait pour sécuriser l’arrivée de son joueur vedette ?
- Et surtout : est-ce que cette audience va enfin permettre de tourner la page ?
Ce qui est sûr, c’est que le football professionnel sort rarement grandi de ce genre de feuilleton. On parle d’argent, de responsabilités diluées, d’agents tout-puissants… Tout ce que les supporters détestent.
Et la famille Sala dans tout ça ?
On en parle peu, mais la famille d’Emiliano suit le dossier de très près. Ils ont déjà obtenu des indemnisations de l’assurance et de certaines parties impliquées dans l’organisation du vol. Mais chaque nouvelle audience ravive la douleur. On imagine facilement ce qu’ils peuvent ressentir en voyant deux clubs se déchirer autour du prix du sang de leur fils et frère.
Parfois, dans ce genre d’histoire, on oublie un peu trop l’humain derrière le maillot.
Ce qui pourrait se passer après lundi
Plusieurs scénarios sont possibles :
- Le tribunal rejette la demande de Cardiff → fin (provisoire) du dossier civil.
- Le tribunal donne partiellement raison à Cardiff → Nantes condamné à verser plusieurs dizaines de millions et probable appel.
- Report ou renvoi pour expertise complémentaire → le dossier traîne encore des années.
Personnellement, je penche pour un rejet ou un renvoi. Les juges consulaires n’aiment pas trop créer des précédents aussi explosifs dans le monde du foot.
Quoi qu’il arrive, cette audience marquera un tournant. Sept ans, c’est long. Trop long pour une plaie qui ne cicatrise pas.
Le football a repris ses droits, les pelouses sont toujours vertes, les supporters chantent encore. Mais quelque part au-dessus de la Manche, il y a toujours ce petit avion qui n’est jamais arrivé à destination. Et ça, aucune décision de justice ne pourra l’effacer.
Alors oui, on parlera encore longtemps d’Emiliano Sala. Pas seulement pour ses buts avec Nantes ou ses promesses non tenues à Cardiff. Mais parce que son histoire nous rappelle cruellement que derrière les millions et les contrats, il y a des vies. Et que parfois, le prix du football est bien trop élevé.
