Il y a des phrases qui font tilt dès qu’on les entend. Quand un chef trois étoiles Michelin vous balance tranquillement qu’il préfère la cuisine de campagne à celle des palaces, on tend l’oreille. Surtout quand ce chef, c’est Emmanuel Renaut, l’un des plus grands noms de la gastronomie française actuelle. L’homme derrière Flocons de Sel à Megève ne fait pas semblant : pour lui, le vrai luxe, c’est ailleurs.
Un retour très attendu après quinze mois d’attente
Le 6 décembre 2025, c’est une date que beaucoup de gourmets avaient entourée en rouge. Après quinze longs mois de fermeture pour cause de malfaçon structurelle – la montagne, la montagne littéralement, se dérobait sous le bâtiment – Flocons de Sel a enfin rouvert ses portes. Kristine et Emmanuel Renaut peuvent de nouveau accueillir leurs hôtes dans ce chalet-relais qui surplombe Megève.
Quinze mois, c’est énorme quand on tient un trois-étoiles. Beaucoup auraient baissé les bras. Lui non. Il en a profité pour tout repenser, renforcer, embellir. Et surtout, pour se poser les bonnes questions sur le sens de son métier.
« J’ai toujours eu la passion de manger, mais pas de faire la cuisine. L’envie est venue bien plus tard. »
Emmanuel Renaut
De Soisy-sous-Montmorency aux sommets savoyards
Né dans le Val-d’Oise, rien ne prédestinait ce gamin de banlieue parisienne à devenir l’ambassadeur de la cuisine de montagne. Pourtant, c’est bien là qu’il a choisi de poser ses valises il y a plus de vingt ans. Un choix de cœur, avant tout.
Formé chez les plus grands – Crillon, Taillevent, Auberge de l’Eridan auprès de Marc Veyrat dont il fut le second pendant huit ans –, il aurait pu viser les plus beaux palaces parisiens ou la Côte d’Azur. Il a préféré les alpages.
Pourquoi ? Parce que là-haut, il respire. Parce que les produits parlent. Parce que quand il sort du restaurant, il peut aller cueillir lui-même les herbes sauvages qui finiront dans l’assiette du soir.
La cuisine de campagne, c’est quoi pour lui ?
Quand il dit préférer la cuisine de campagne, il ne parle pas de la tambouille rustique qu’on imagine parfois. Non, il parle d’une cuisine vivante, ancrée dans un terroir, qui raconte une histoire à chaque bouchée.
- Des produits ramassés le matin même dans la montagne
- Des fromages affinés par des amis producteurs à quelques kilomètres
- Du gibier chassé dans le respect des saisons
- Des herbes aromatiques qui poussent à l’état sauvage
- Une relation directe, presque charnelle, avec la nature
Dans un palace, tout est millimétré, luxueux, parfois un peu lointain. Ici, il touche, il sent, il vit ses produits. Et ça change tout.
Flocons de Sel : plus qu’un restaurant, un univers
En deux décennies, Emmanuel Renaut a bâti un véritable petit empire gourmand autour de son vaisseau amiral. Flocons de Sel, c’est aujourd’hui :
- Le trois-étoiles historique
- Le bistrot Flocons Village, plus décontracté
- La table d’hôtes intimiste
- L’hôtel 5 étoiles Relais & Châteaux
- Une boulangerie qui fait rêver tout Megève
- Des cours de cuisine et des expériences immersives
Mais surtout, c’est une philosophie. Kristine, son épouse, accueille comme personne. L’équipe est fidèle – certains sont là depuis vingt ans. On sent la famille, la transmission, la passion qui dure.
Une cuisine qui parle à l’âme autant qu’au palais
Goûter un plat d’Emmanuel Renaut, c’est un peu comme faire une randonnée en haute montagne. Il y a l’effort (la technique est folle), la beauté brute, et puis cette émotion quand on arrive au sommet.
Ses signatures ? La truite des torrents juste saisie, les champignons cueillis à l’aube, le lait de vache abondance travaillé en mille textures, le miel des ruches du restaurant… Tout est local, tout est saisonnier, tout est cohérent.
Et pourtant, il ne tombe jamais dans le piège du folklore. Sa cuisine est moderne, précise, inventive. Mais elle reste humble. Elle ne crie pas, elle murmure. Et c’est pour ça qu’elle touche autant.
La montagne, source d’inspiration infinie
Ce qui frappe quand on discute avec lui, c’est cette connexion presque mystique avec la nature. Il connaît chaque sentier, chaque plante, chaque saison. L’hiver, il skie pour repérer les coins à champignons du printemps. L’été, il herborise dès 5 heures du matin.
Il me racontait récemment qu’un simple bouquet d’orties cueillies après la pluie pouvait lui inspirer tout un menu. C’est ça, la vraie liberté créative : ne pas être prisonnier d’un cahier des charges luxueux, mais pouvoir suivre son instinct et ce que la terre veut bien offrir.
Et demain ?
Après cette réouverture, il n’est pas du genre à se reposer. De nouveaux projets germent : plus de transmission, peut-être un livre, des collaborations avec des artisans, une réflexion encore plus poussée sur le zéro déchet et la durabilité.
Une chose est sûre : il continuera à défendre cette cuisine de montagne élégante et sincère qui fait vibrer autant les papilles que le cœur.
Parce qu’au fond, c’est peut-être ça le vrai luxe : pouvoir dire non aux sirènes des palaces pour rester fidèle à soi-même, à sa terre d’adoption, à ses convictions. Et réussir à toucher les étoiles en restant les gardant dans les yeux.
Si vous passez par Megève cet hiver, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Réservez (très) longtemps à l’avance, et préparez-vous à vivre une expérience qui va bien au-delà du simple repas. Une parenthèse hors du temps, entre sommets enneigés et assiettes qui racontent la montagne mieux que personne.
Et qui sait… peut-être que vous aussi, vous finirez par préférer la cuisine de campagne après ça.
