Il y a des histoires qu’on préférerait ne jamais lire. Et puis il y en a qui vous restent collées à la peau longtemps après avoir fermé l’ordinateur. Celle-ci en fait partie. Un gamin de huit ans, placé dans un foyer parce que la vie, parfois, ne laisse pas le choix. Et là, pour une bêtise – on ne sait même pas vraiment laquelle –, des adultes censés le protéger décident de le raser à blanc. Torse nu, sur une chaise, pendant qu’ils filment et balancent des blagues. « On va t’appeler Double Face ». La vidéo tourne ensuite dans un groupe d’éducateurs. Rires, moqueries. Bienvenue dans l’enfer de certains établissements qui, pourtant, sont supposés être des refuges.
Quand j’ai appris ça, j’ai d’abord cru à une rumeur sordide. Et puis les faits ont été confirmés, la plainte déposée, l’enquête ouverte. Et là, plus moyen de détourner le regard.
Une punition d’un autre âge dans un foyer d’aujourd’hui
On est en février 2025. L’enfant, huit ans à peine, est placé depuis un moment déjà. Les raisons précises du placement, on ne les connaît pas toujours – secret de l’instruction, vie privée – mais une chose est sûre : il n’a pas choisi d’être là. Ce jour-là, il fait une connerie. Comme tous les gosses du monde. Sauf que dans ce foyer du XIIIe arrondissement de Paris, la réponse n’est pas une sanction éducative classique. Non. C’est la tondeuse.
Ils le déshabillent jusqu’à la taille, le posent sur une chaise, et passent la tondeuse. Pas doucement, pas avec des mots apaisants. Avec des rires, des commentaires. La scène est filmée. Et le pire ? Cette vidéo est ensuite partagée sur un groupe WhatsApp réservé aux professionnels. Des dizaines de collègues la voient, certains commentent, rigolent. Personne, à ce moment-là, ne semble trouver ça anormal. C’est ça qui glace le sang.
« On va t’appeler Double Face » – l’une des phrases lancées pendant l’acte, selon les éléments révélés.
Double Face. Comme le méchant de Batman. Sauf qu’ici, le méchant, ce n’est pas l’enfant.
La mère brise le silence
La maman, elle, n’a appris les faits que bien plus tard. Quand la vidéo a fini par fuiter hors du cercle des initiés. Imaginez la violence du choc. Votre fils, huit ans, humilié de cette manière par ceux qui étaient censés veiller sur lui. Elle a d’abord pleuré, puis elle s’est battue. Direction le commissariat du XIIIe, ce vendredi 12 décembre 2025, pour déposer plainte pour violences volontaires sur mineur par personne ayant autorité.
Son avocat a confirmé l’information : elle veut que justice soit faite. Et elle n’est pas seule. Beaucoup de parents dans sa situation se reconnaissent dans ce combat.
Une enquête judiciaire et des investigations administratives
Dès la révélation publique, le parquet de Paris a réagi vite. Enquête ouverte pour violences sur mineur de moins de 15 ans par personne ayant autorité. Le commissariat du quartier est saisi. En parallèle, la mairie – qui gère l’aide sociale à l’enfance dans la capitale – parle de « manquements inacceptables » et lance des enquêtes internes. Des éducateurs ont été suspendus, paraît-il. Mais pour combien de temps ? Et surtout, combien d’autres vidéos dorment encore dans des téléphones ?
Parce que le plus terrifiant, c’est qu’on sent que ce n’est pas un cas totalement isolé. Des témoignages, anciens ou récents, remontent régulièrement. Des enfants qui racontent des punitions corporelles, des humiliations, des placements vécus comme des prisons. Bien sûr, tous les foyers ne sont pas comme ça. Loin de là. Il y a des professionnels formidables qui se battent tous les jours avec peu de moyens et beaucoup de cœur. Mais quand le système dérape, il dérape sévèrement.
L’Aide sociale à l’enfance : entre mission impossible et défaillances graves
Mettons les choses au clair : placer un enfant, ce n’est jamais anodin. C’est une décision lourde, prise quand les parents ne peuvent plus assurer la sécurité ou l’éducation. L’idée, c’est de protéger. Pas de punir l’enfant pour la situation de ses parents.
Pourtant, trop souvent, les gosses placés traînent une étiquette. On les regarde comme des « cas ». Et certains éducateurs – pas tous, heureusement – finissent par oublier que derrière le dossier, il y a un gamin avec des émotions, une dignité.
- Manque criant de personnels formés
- Turn-over infernal dans les équipes
- Surcharge de travail
- Budgets toujours plus serrés
- Absence de vrais contrôles réguliers
Tous ces ingrédients font un cocktail explosif. Et quand la fatigue, le mépris ou la bêtise prennent le dessus, des actes comme celui-ci deviennent possibles.
L’humiliation comme outil éducatif : une vieille rengaine qui ne meurt jamais
Raser la tête d’un enfant pour le punir, ça vous rappelle quelque chose ? Moi, ça me ramène direct aux pensionnats d’autrefois, aux colonies pénitentiaires, aux méthodes d’un autre siècle. On pensait ça révolu. Et pourtant.
L’humiliation n’éduque pas. Elle brise. Des études le montrent depuis des décennies : les punitions corporelles ou dégradantes augmentent les risques de troubles psychologiques, de décrochage scolaire, de violences futures. Un enfant qui subit ça ne devient pas « sage ». Il apprend la peur, la haine, le repli.
Et le pire, c’est quand les adultes filment et partagent. Là, on passe à un autre niveau de perversité. Comme si l’acte en lui-même ne suffisait pas, il faut l’immortaliser, le diffuser, s’en vanter auprès des collègues. C’est une forme de violence collective.
Que dit la loi, exactement ?
En France, depuis 2019, les violences éducatives ordinaires sont interdites. Fessée, gifle, humiliation verbale : tout ça, c’est fini légalement. Alors imaginez raser la tête d’un enfant… C’est évidemment constitutif de violences caractérisées. Et quand c’est fait par des personnes ayant autorité, les peines peuvent être lourdes.
Mais le problème, c’est l’application. Combien de signalements sont classés sans suite ? Combien de familles se heurtent à un mur quand elles tentent d’alerter ? L’omerta, ce n’est pas qu’un mot. Dans certains services, elle existe bel et bien.
Et maintenant ?
Cette affaire, espérons-le, va faire jurisprudence. Pas seulement pour punir les auteurs – même si c’est nécessaire –, mais pour forcer une vraie remise en question.
- Renforcer la formation continue des éducateurs
- Mettre en place des caméras dans les parties communes des foyers (avec respect de la vie privée)
- Instaurer des visites inopinées régulières par des inspecteurs indépendants
- Favoriser le placement en famille d’accueil plutôt qu’en institution quand c’est possible
- Donner plus de poids à la parole des enfants
Parce qu’un gosse de huit ans, ça ne devrait jamais avoir à subir ça. Jamais.
Ce soir, quelque part à Paris, un petit garçon dort avec la tête rasée. Peut-être qu’il a honte de se regarder dans la glace. Peut-être qu’il a peur des adultes. Et nous, on ne peut pas juste tourner la page en se disant « c’est un cas isolé ».
Non. C’est le moment de regarder en face les dysfonctionnements d’un système qui, trop souvent, protège mal ceux qu’il est censé sauver.
Et si cette histoire atroce pouvait, au moins, servir à ça : faire bouger les lignes. Vraiment.
Parce que l’enfance, ça mérite mieux que des tondeuses et des rires moqueurs.
