Et vous, vous vous souvenez de vos 8 ans ? Moi, je me rappelle surtout des goûters et des disputes pour une place sur le canapé. Pas de ce qu’on ressent quand des adultes qu’on ne connaît pas décident de vous arracher à votre maison pour vous « protéger ». Pourtant, en France, des milliers d’enfants vivent ça chaque année. Et jusqu’à présent, beaucoup n’avaient même pas quelqu’un pour leur expliquer ce qui leur arrivait.
Ce jeudi 11 décembre 2025, quelque chose a changé. Quelque chose d’énorme, même si ça ne fait pas encore la une partout. L’Assemblée nationale a voté à l’unanimité une mesure simple en apparence : chaque enfant placé, quel que soit son âge, aura droit à un avocat. Gratuitement. Dès le début de la procédure. Point final.
Dans l’hémicycle, des anciens enfants placés pleuraient dans les tribunes. Des députés de tous les bords se sont levés pour applaudir. Et franchement ? J’ai rarement vu une telle émotion dans ce lieu d’ordinaire si froid.
Une loi née sous le choc d’une vidéo insoutenable
Tout a basculé il y a quelques jours. Une vidéo a circulé : un petit garçon de 8 ans, tondu, humilié par des éducateurs dans un foyer. Le genre d’images qui vous collent une boule dans la gorge et vous empêchent de dormir. Deux jours plus tard, les députés se sont saisis du sujet. Et ils n’ont pas fait semblant.
La proposition de loi, portée par la députée socialiste Ayda Hadizadeh, était prête depuis longtemps. Mais c’est cette vidéo qui a tout accéléré. Parfois, il faut le pire pour que le meilleur devienne possible.
« Et si ce petit avait eu un avocat ? Peut-être que personne n’aurait osé lever la main sur lui. »
– Une députée, dans l’hémicycle, juste avant le vote
Que change concrètement cette loi ?
Jusqu’à présent, un enfant pouvait être représenté par un avocat… seulement si le juge estimait qu’il était « capable de discernement ». Autrement dit : si l’enfant semblait assez grand ou assez mature pour comprendre. Résultat ? Des bébés, des tout-petits, des enfants traumatisés passaient devant le juge sans personne pour parler vraiment en leur nom.
Désormais, c’est fini. L’avocat devient automatique et systématique. Et surtout, il est pris en charge à 100 % par l’aide juridictionnelle, sans condition de ressources des parents.
- L’avocat accompagne l’enfant dès la première audience
- Il peut préparer l’enfant, l’aider à s’exprimer (ou à se taire quand c’est trop dur)
- Il peut faire appel des décisions
- Il peut saisir le procureur en cas de maltraitance dans le lieu d’accueil
- Il devient, comme on l’a si bien dit, « la sentinelle » de l’enfant
Et croyez-moi, dans un système où l’on compte 380 000 enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance, cette sentinelle manquait cruellement.
L’aide sociale à l’enfance : un géant aux pieds d’argile
Parlons chiffres, parce que là, ça fait mal. Depuis juillet 2024, 12 enfants placés sont morts. Douze. En à peine dix-huit mois. Violences, suicides, négligences… la liste est longue et terrifiante.
On nous répète que l’ASE est débordée, sous-financée, que les éducateurs sont épuisés. C’est vrai. Mais ça n’excuse pas tout. Quand on sait que les personnes passées par un foyer ont une espérance de vie réduite de 20 ans en moyenne, on comprend que le problème n’est pas seulement budgétaire. Il est structurel.
J’ai discuté avec des anciens placés. L’un d’eux m’a dit, la voix tremblante : « Si j’avais su que j’avais des droits, j’aurais porté plainte contre mes parents… et contre le foyer aussi. » À 22 ans, il porte encore les cicatrices. Physiques et autres.
Un vote unanime : miracle ou simple bon sens ?
Ce qui m’a le plus marqué, c’est cette unanimité. Droite, gauche, centre, extrêmes… tout le monde a voté pour. Dans une Assemblée où on peine parfois à se mettre d’accord sur l’heure qu’il est, ça fait bizarre. Et en même temps, ça fait du bien.
Même la ministre, pourtant venue défendre le futur projet de loi du gouvernement (prévu pour 2026), a salué « l’attention louable » du texte. Elle a rappelé la loi Taquet de 2022, qui avait déjà ouvert la possibilité d’un avocat… mais en la laissant à la discrétion du juge. Autrement dit : beaucoup trop aléatoire.
« Avant, c’était du cas par cas. Désormais, c’est un droit universel. »
Et maintenant ? Le chemin vers le Sénat
Attention, rien n’est gagné. Le texte doit encore passer au Sénat. Et là-bas, la majorité est différente. Certains murmurent déjà que le coût pourrait freiner les ardeurs (on parle de plusieurs dizaines de millions d’euros par an). D’autres craignent une « judiciarisation excessive » de la protection de l’enfance.
Mais franchement ? Quand on voit la joie des associations et des anciens placés présents dans l’hémicycle, on a envie d’y croire. L’un des militants les plus connus du secteur a lâché, les larmes aux yeux : « On se bat depuis plus de dix ans. Aujourd’hui, on a gagné une bataille. Demain, on reprendra le combat. »
Pourquoi cette loi était urgente (et pourquoi elle ne suffira pas)
Donner un avocat à chaque enfant, c’est énorme. C’est une reconnaissance : oui, ces enfants sont des sujets de droit, pas des objets de mesures administratives.
Mais soyons lucides. Un avocat, aussi compétent soit-il, ne remplacera jamais :
- Des foyers mieux encadrés et moins surpeuplés
- Des éducateurs formés, payés décemment et en nombre suffisant
- Un vrai suivi psychologique systématique
- Des juges des enfants moins débordés
Cette loi est un pansement sur une plaie béante. Un pansement nécessaire, vital même. Mais la guérison demandera bien plus.
Ce que ça dit de notre société
Au fond, cette loi pose une question simple et brutale : pourquoi a-t-il fallu attendre 2025 pour considérer qu’un enfant de 4 ans mérite un défenseur quand on lui retire sa famille ?
On accepte qu’un adulte accusé du pire crime ait un avocat dès la garde à vue… mais un enfant qu’on place « pour son bien » pouvait jusqu’ici se débrouiller seul face à un système qu’il ne comprend pas. Il y a quelque chose qui cloche, non ?
Ce vote, c’est aussi une forme de mea culpa collectif. On reconnaît, enfin, que la protection de l’enfance a été le parent pauvre de nos politiques publiques pendant trop longtemps.
Alors oui, aujourd’hui, je suis ému. Ému de voir des députés applaudir des gens qui, enfants, n’avaient souvent personne pour les défendre. Ému de penser que, peut-être, un petit garçon ou une petite fille, quelque part en France, aura demain quelqu’un pour dire « stop » quand on voudra encore lui faire du mal au nom de son « intérêt supérieur ».
Mais je reste prudent. Parce que les lois les plus belles ne valent que par leur application. Et parce que, comme l’a dit l’une des porte-voix de ce combat : « La montagne est encore devant nous. »
En attendant, si vous croisez un jour un enfant placé, regardez-le dans les yeux. Et souvenez-vous qu’à partir de maintenant, il n’est plus tout seul.
