Il y a des matins où tout bascule. Un simple coup de téléphone, une poignée de main, et soudain la vie prend une autre couleur. J’ai vu ça de mes propres yeux il y a quelques jours : une salle banale en Seine-Saint-Denis, une quarantaine de personnes qui se lèvent d’un bond pour applaudir deux d’entre elles. Des cris de joie, des larmes, des embrassades. Rien d’extraordinaire en apparence… sauf que ces deux-là viennent de signer leur CDI après des mois, parfois des années, de galère.
Et le plus fou ? Tout ça s’est joué en à peine trois semaines.
Non, ce n’est pas un conte de fées. C’est le quotidien d’un dispositif qu’on appelle les entreprises éphémères. Un nom un peu barbare pour une idée géniale : recréer, le temps de quelques semaines, une vraie entreprise avec de vrais postes, de vrais objectifs… mais où tout le monde est là pour apprendre, se remettre en selle et, surtout, retrouver confiance.
Quand l’intérim devient une rampe de lancement
On entend souvent dire que le chômage longue durée abîme. Qu’après un an, deux ans, cinq ans sans activité, on perd le rythme, les codes, l’envie parfois. Eh bien ce programme part du principe inverse : il suffit de remettre les gens en situation réelle, très vite, pour que tout revienne. Un peu comme remonter sur un vélo après des années : les premières minutes sont hésitantes, puis le corps se souvient.
Concrètement ? Une promotion de 40 à 50 demandeurs d’emploi est constituée autour d’un secteur qui recrute massivement. En ce moment, par exemple, c’est souvent la restauration collective, la logistique ou le ménage industriel. Des métiers qu’on appelle parfois « en tension » – comprendre : il y a plus de postes que de candidats sérieux.
Pendant trois ou quatre semaines, ces futurs salariés deviennent de vrais collaborateurs d’une entreprise qui n’existe que pour eux. Ils ont un badge, un planning, des objectifs de production ou de service, des réunions d’équipe, des évaluations… Tout y est. Sauf que l’objectif n’est pas seulement de « faire », mais de réapprendre à être un professionnel.
La confiance, cette ressource qu’on oublie trop souvent
Ce qui frappe quand on assiste à une de ces sessions, c’est la métamorphose. Au premier jour, beaucoup arrivent tête baissée, voix timide, regard fuyant. Trois semaines plus tard, ils vous regardent dans les yeux, sourient, défendent leurs idées en réunion. La confiance, ça ne s’apprend pas dans un PowerPoint. Ça se cultive en réussissant des choses concrètes, même petites.
« Avant, je n’osais même plus postuler. Je me disais que de toute façon on ne me prendrait pas. Là, en quelques jours, j’ai vu que j’étais capable de tenir un poste, d’être à l’heure, de gérer la pression. Ça change tout. »
– Une participante de 47 ans, aujourd’hui en CDI
Et cette confiance retrouvée, elle ne reste pas dans la salle de formation. Elle suit la personne en entretien d’embauche. Résultat : les recruteurs, qui sont souvent partenaires du programme, voient arriver des candidats solides, motivés, déjà opérationnels. D’où ces taux de sortie positive qui donnent le vertige : parfois plus d’un tiers de la promotion signe un contrat durable avant même la fin du stage.
Un modèle qui coûte peu et rapporte beaucoup
On pourrait croire qu’un tel dispositif coûte une fortune. Eh bien non. L’entreprise éphémère est financée par les collectivités, les régions, parfois l’État, et surtout par les entreprises elles-mêmes qui y voient un vivier de talents déjà pré-formés. Tout le monde y gagne : le demandeur d’emploi retrouve un travail, l’entreprise recrute sans passer des mois à trier des CV, et la société réduit le poids du chômage longue durée.
Et ça marche depuis 2015. Des milliers de personnes sont passées par là. Certaines étaient sans activité depuis dix ans. D’autres sortaient de prison, de maladie longue, ou cumulaient les contrats précaires. Peu importe le passé : en quelques semaines, le présent reprend ses droits.
Pourquoi ça marche mieux que les formations classiques ?
- Parce que c’est concret. Pas de simulation sur papier, on fait vraiment le métier.
- Parce que c’est court et intense. Trois semaines, pas six mois où l’on décroche en route.
- Parce que l’enjeu est réel. Les entreprises partenaires viennent recruter sur place.
- Parce que le groupe joue un rôle énorme : on se soutient, on se motive, on rit ensemble.
- Et surtout, parce qu’on arrête de parler de « parcours » ou de « projet professionnel » dans le vide. On agit.
Franchement, quand on voit le nombre de formations classiques qui coûtent des fortunes pour des résultats souvent décevants, on se dit qu’il y a quelque chose à apprendre de ce modèle. L’immersion totale, l’accompagnement humain, la pression positive du collectif : c’est ça la recette.
Et demain ?
Le plus beau, c’est que le dispositif s’adapte. On le voit déjà se déployer dans d’autres secteurs : la sécurité, le bâtiment, le numérique même. Partout où il y a des besoins criants et des candidats qu’on n’arrive pas à attirer avec les méthodes traditionnelles.
Dans un pays où le chômage reste un sujet brûlant, où les discours sur « l’employabilité » masquent parfois une immense solitude, ces entreprises éphémères apportent une réponse simple et efficace. Elles ne résolvent pas tout, bien sûr. Mais elles prouvent qu’avec un peu d’audace et beaucoup d’humanité, on peut changer des vies en un temps record.
Alors la prochaine fois que vous entendrez parler d’un « dispositif innovant pour l’insertion », ne le rangez pas tout de suite dans la case « énième usine à gaz ». Parfois, derrière les mots un peu froids, il y a des histoires qui réchauffent le cœur. Des histoires de gens ordinaires qui, un matin de novembre, se sont levés en se disant que oui, c’était encore possible.
Et ça, franchement, ça vaut tous les discours du monde.
(Article basé sur des témoignages et observations directes de plusieurs promotions entre 2024 et 2025. Plus de 70 % des participants interrogés estiment que ce programme a été le déclencheur décisif de leur retour à l’emploi durable.)
