Imaginez-vous un instant à la place d’un haut dirigeant, hier encore reçu dans les salons présidentiels, aujourd’hui disparu des radars et condamné à passer le reste de sa vie derrière les barreaux. C’est exactement ce qui vient d’arriver à l’un des hommes les plus puissants de Cuba il y a encore quelques mois. Et le plus troublant ? On ignore toujours pour qui il aurait trahi son pays.
Quand un régime aussi fermé que celui de La Havane sort une peine aussi lourde, on sait que quelque chose de sérieux se trame. Mais là, le silence est assourdissant. Pas un mot sur le pays bénéficiaire, pas un détail sur les informations transmises. Juste une sentence : prison à perpétuité. Ça laisse songeur, non ?
Un verdict qui tombe comme un couperet
Le 8 décembre 2025, la nouvelle est tombée sans tambour ni trompette : Alejandro Gil, ancien ministre de l’Économie et de la Planification, écope de la prison à perpétuité. L’accusation principale ? Espionnage. À côté, une kyrielle de chefs de corruption, falsification de documents, trafic d’influence… La totale, ou presque.
Mais ce qui frappe, c’est le flou artistique entretenu autour du cœur du dossier. Dans n’importe quel autre pays, on aurait eu droit à des conférences de presse, des fuites savamment orchestrées, des noms. Ici ? Rien. Le procès s’est tenu à huis clos dans un tribunal de banlieue, sous haute surveillance, et les médias officiels ont gardé un silence de cathédrale jusqu’au verdict.
« Des délits d’espionnage et d’actes portant préjudice à l’activité économique »… Voilà tout ce qu’on daigne nous dire.
Franchement, c’est un peu court quand on condamne quelqu’un à ne plus jamais revoir la lumière du jour.
Qui était vraiment Alejandro Gil ?
Pour comprendre l’ampleur du choc, il faut remonter un peu le temps. Alejandro Gil, 61 ans, n’était pas n’importe qui. Nommé en 2018 vice-Premier ministre et ministre de l’Économie, il incarnait la nouvelle génération de technocrates censés sortir Cuba du marasme. Proche de Miguel Díaz-Canel, il était l’homme des réformes, celui qui devait accompagner l’ouverture timide au secteur privé et piloter le « réordonnancement » économique de 2021.
En clair : unification monétaire, fin du peso convertible, autorisation des PME, tentative de maîtriser une inflation galopante… Tout ça, c’était lui. On le voyait partout, à la télévision, en réunion avec les entrepreneurs, en première ligne pour expliquer que oui, ça allait être dur, mais que c’était nécessaire.
Et puis, paf. Février 2024 : destitution brutale. Plus de nouvelles. Plus d’images. Plus rien. Comme s’il n’avait jamais existé.
Une double condamnation qui en dit long
En réalité, il y a eu deux procédures distinctes. La première, celle qui fait le plus de bruit, aboutit à la perpétuité pour espionnage et atteintes à l’économie nationale. La seconde, parallèle, lui colle vingt années supplémentaires pour corruption continue, falsification et fraude fiscale.
- Corruption de caractère continu
- Trafic d’influence
- Falsification de documents bancaires et commerciaux
- Violation de scellés officiels
- Soustraction de documents classifiés
Autant dire que le dossier est lourd. Mais là encore, on reste sur notre faim. Quelles entreprises privées ont été favorisées ? Quels contrats ont été truqués ? Mystère.
Le grand absent du dossier : pour qui espionnait-il ?
C’est LA question que tout le monde se pose, à Cuba comme à l’étranger. Les États-Unis ? La Russie ? La Chine ? Un acteur privé ? Impossible de savoir. Le régime a choisi de garder cette carte dans sa manche.
Dans un contexte de crise économique sans précédent – pénuries, inflation à trois chiffres certains mois, exode massif – accuser un haut responsable d’avoir livré des secrets économiques à une puissance étrangère aurait pu servir de message fort. Pourtant, silence radio.
J’ai ma petite théorie : révéler le bénéficiaire risquerait de créer un incident diplomatique que La Havane ne peut pas se permettre en ce moment. Ou alors, plus prosaïquement, l’accusation d’espionnage sert surtout à justifier une peine maximale dans un dossier avant tout financier. À vous de voir.
Un contexte économique explosif
Il faut dire que le timing est terrible. Cuba traverse la pire crise depuis la « période spéciale » des années 90. L’électricité coupée plusieurs heures par jour, les files d’attente interminables, les salaires qui ne permettent plus de manger décemment… Et en parallèle, une ouverture forcée au privé que beaucoup, dans l’appareil, voient d’un très mauvais œil.
Alejandro Gil était précisément l’homme de cette ouverture. Autoriser les PME, laisser des Cubains devenir millionnaires en dollars pendant que l’État est en faillite virtuelle, ça passe mal auprès des historiques. Sa chute ressemble furieusement à un règlement de comptes entre réformateurs et conservateurs.
Une justice très… particulière
En Cuba, quand on juge un haut cadre, ce n’est jamais vraiment un procès ordinaire. Le huis clos est la règle, les avocats sont choisis avec soin, et l’issue rarement surprenante. Ici, pas d’images, pas de témoins cités, pas même de communiqué détaillé.
Seule certitude : la condamnation à perpétuité fera automatiquement l’objet d’un appel – c’est la loi. Quant à la peine de vingt ans, Gil a dix jours pour contester. Mais soyons réalistes : les chances de voir la sentence allégée sont quasi nulles.
Et maintenant ?
L’affaire Gil n’est probablement que la partie visible de l’iceberg. D’autres arrestations ont eu lieu ces derniers mois dans le secteur du tourisme, de l’import-export, des nouvelles entreprises privées. On parle d’une vague de purges qui viserait à reprendre la main sur une économie qui échappait dangereusement au contrôle de l’État.
En attendant, la population, elle, continue de faire la queue pour un peu de poulet ou d’huile. Et se demande, comme nous, ce que pouvait bien valoir la trahison d’un ministre pour mériter de mourir en prison.
Une chose est sûre : dans ce genre de régime, quand le rideau tombe aussi brutalement sur une carrière, c’est que les secrets emportés sont bien plus lourds que ce qu’on veut bien nous dire. Et quelque part, c’est peut-être ça le plus inquiétant.
(Article mis à jour le 9 décembre 2025 – l’affaire est en évolution)
