Imaginez-vous en vacances à Cancún, cocktail à la main, les pieds dans le sable chaud. À quelques tables de vous, un couple parle russe avec l’accent moscovite. Rien d’anormal, me direz-vous. Sauf que l’homme est peut-être en train de recevoir, via une oreillette dernier cri, les dernières consignes pour surveiller les mouvements de satellites américains depuis la côte. Bienvenue dans le nouveau visage de l’espionnage russe, version 2025, où le Mexique joue les hôtes malgré lui.
Le Mexique, nouvelle terre d’accueil des espions du Kremlin
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a vu ses réseaux traditionnels en Europe et aux États-Unis se faire démanteler les uns après les autres. Expulsions massives de « diplomates », surveillance accrue, coopération renforcée entre services occidentaux… Moscou a dû trouver une parade. Et cette parade s’appelle le Mexique.
Pourquoi le Mexique ? Trois raisons simples, presque évidentes quand on y pense.
- Une frontière de plus de 3 000 km avec les États-Unis, souvent poreuse.
- Une tradition historique d’antiaméricanisme dans certains cercles politiques et intellectuels.
- Une certaine… disons, lenteur des autorités locales à réagir face aux activités russes.
Résultat ? Le pays est devenu, presque par défaut, l’une des principales plateformes de renseignement russe en Amérique. Des agents chevronnés, parfois sous couverture diplomatique, parfois sous l’apparence de touristes ou d’hommes d’affaires, y opèrent en toute relative tranquillité.
Des « diplomates » qui n’en ont que le nom
Officiellement, l’ambassade russe à Mexico est l’une des plus importantes du continent américain. Plus de 100 personnes y travaillent. Dans le lot, une proportion non négligeable ne passe pas ses journées à tamponner des visas.
Des sources américaines estiment qu’au moins une trentaine d’entre eux sont des officiers de renseignement confirmés, appartenant au SVR (service extérieur) ou au GRU (renseignement militaire). Des profils expérimentés, souvent ayant servi en Europe avant d’être « brûlés » et réaffectés discrètement au Mexique.
« Le Mexique offre un environnement opérationnel idéal : proximité géographique, absence de contre-espionnage agressif et une couverture parfaite grâce au tourisme de masse russe. »
– Un ancien analyste du renseignement ayant travaillé sur le dossier
Et le plus fou ? Quand les Américains ont transmis, il y a quelques années, une liste précise d’une vingtaine d’agents opérant sous couverture diplomatique, la réponse mexicaine a été… le silence radio. Certains responsables locaux ont même prétendu ne jamais avoir reçu le document. Vraiment ?
Cancún, Playa del Carmen, Tulum : le triangle parfait
Le tourisme russe vers le Mexique a explosé depuis 2022. Plus de 500 000 visiteurs par an, souvent aisés, qui restent plusieurs semaines. Parfait pour justifier des séjours prolongés.
Mais derrière les selfies sur les plages de Riviera Maya se cachent parfois des activités bien moins innocentes :
- Location de villas isolées avec vue sur la mer des Caraïbes, idéales pour installer du matériel d’interception.
- Recrutement de sources locales (serveurs, chauffeurs, agents immobiliers) souvent pour quelques billets.
- Utilisation de stations balnéaires comme points de rencontre avec des agents venant d’Amérique du Sud ou même des États-Unis.
J’ai moi-même croisé, lors d’un reportage à Tulum il y a deux ans, un « touriste » russe qui passait ses journées à photographier… les installations portuaires de Cozumel. Curieux pour quelqu’un censé être en vacances, non ?
La passivité mexicaine : calcul ou négligence ?
C’est probablement la question qui agace le plus à Washington. Pourquoi Mexico ferme-t-il les yeux ?
Plusieurs explications circulent :
- Une vieille tradition de non-alignement et de souveraineté farouche. Accepter une liste américaine d’espions russes reviendrait à reconnaître une ingérence US sur le sol mexicain.
- Des sympathies historiques. Une partie de la gauche mexicaine a toujours vu en Moscou un contrepoids à l’hégémonie américaine.
- La realpolitik. La Russie est un partenaire commercial (engrais, acier) et un allié au sein des BRICS naissants.
- Et, soyons honnêtes, une certaine corruption ou incompétence dans les services de contre-espionnage locaux.
Résultat : les agents russes opèrent avec une liberté qu’ils n’ont plus nulle part ailleurs dans l’hémisphère occidental.
Quelles sont les cibles réelles des Russes ?
On pourrait croire qu’il s’agit surtout de collecte classique d’informations politiques. Erreur.
Les priorités du Kremlin au Mexique sont bien plus concrètes :
| Objectif principal | Méthodes utilisées | Exemples connus |
| Surveillance des bases militaires US | Drones civils, observation visuelle | San Diego, Corpus Christi |
| Interception de communications | Stations d’écoute mobiles | Frontière Texas-Nouveau León |
| Cybersurveillance | Serveurs relais au Mexique | Attaques contre infrastructures US |
| Recrutement d’informateurs | Approche directe ou via réseaux sociaux | Étudiants, militaires mexicains |
L’aspect le plus inquiétant ? L’utilisation croissante de technologies civiles à des fins militaires. Des drones de loisir modifiés pour survoler discrètement la frontière. Des antennes 5G détournées pour capter des communications. On est loin du cliché de l’espion au trench-coat.
Et les États-Unis dans tout ça ?
Washington n’est pas resté les bras croisés. Renforcement des patrouilles à la frontière, coopération accrue avec le Canada (oui, car certains agents russes transitent par le nord), et surtout une pression diplomatique constante sur Mexico.
Mais la marge de manœuvre est limitée. Impossible d’agir directement sur le sol mexicain sans créer un incident diplomatique majeur. Et avec l’arrivée possible d’une administration Trump 2.0, plus isolationniste, certains craignent que le sujet ne soit relégué au second plan.
Ce qui est sûr, c’est que la menace est prise très au sérieux dans les couloirs de Langley et du Pentagone. Un responsable américain confiait récemment que le Mexique représentait aujourd’hui « la plus grande vulnérabilité du flanc sud des États-Unis depuis la crise des missiles de Cuba ». Rien que ça.
Vers une nouvelle guerre froide en Amérique latine ?
Ce qui se passe au Mexique n’est que la partie visible de l’iceberg. La Russie a considérablement renforcé sa présence dans toute l’Amérique latine ces dernières années : Venezuela, Nicaragua, Cuba, Bolivie… Partout où l’antiaméricanisme fait recette, Moscou est là.
Et le Mexique, par sa taille, son poids économique et sa proximité avec les États-Unis, est la pièce maîtresse de cette stratégie. Un peu comme Berlin-Ouest pendant la Guerre froide, mais en version tropicale.
La grande question maintenant : jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer ? Jusqu’à un incident majeur ? Jusqu’à un changement de pouvoir à Mexico ? Ou jusqu’à ce que les Russes aillent trop loin ?
Une chose est sûre : la prochaine fois que vous croiserez un touriste russe un peu trop curieux sur une plage mexicaine, vous vous poserez peut-être la question. Et vous aurez probablement raison de le faire.
Parce que dans ce nouveau grand jeu géopolitique, les cartes se redistribuent sous le soleil des Caraïbes. Et personne ne sait vraiment qui bluffe.
