Vous souvenez-vous de votre première brasse coulée au collège ? Ce mélange d’appréhension et d’excitation quand le prof d’EPS vous poussait enfin dans le grand bain ? Pour beaucoup d’enfants en Essonne, cette étape pourtant banale risque de ne jamais avoir lieu cette année.
Plus d’un millier d’élèves de sixième se retrouvent purement et simplement privés de cours de natation. Pas par choix, pas par flemme, mais parce qu’il n’y a plus de bassin disponible près de chez eux. Et quand on sait que savoir nager est considéré comme une priorité absolue par l’État, on se demande franchement où l’on va.
Un département où l’eau manque cruellement… dans les piscines
L’Essonne, ce n’est pas le Sahara, mais niveau piscines scolaires, on n’est pas loin du désert. Le constat est brutal : une trentaine de bassins pour plus de cent collèges. Faites le calcul. Quand une seule piscine dessert parfois trois ou quatre établissements, ça coince dès le mois de septembre.
Et puis il y a les imprévus qui transforment le problème en crise ouverte.
Quand le toit menace de s’effondrer
Prenez une piscine toute bête, construite il y a quelques décennies. Un audit de routine révèle une structure fragilisée. Résultat ? Fermeture immédiate, travaux lourds, réouverture prévue… dans deux ans minimum. C’est exactement ce qui s’est passé à Grigny début octobre. Trois collèges se sont retrouvés du jour au lendemain sans solution.
Les autres piscines du secteur ? Complètes à 200 %. Les créneaux scolaires sont réservés des mois à l’avance, parfois dès la fin de l’année précédente. On ne déplace pas comme ça des classes entières dans des bassins déjà bondés.
« On nous parle de savoir-nager en sécurité dès le plus jeune âge, mais quand il n’y a plus d’eau, que veut-on qu’on fasse ? »
Un professeur d’EPS dépité
Dix collèges directement touchés, des milliers d’élèves impactés
Une enquête syndicale récente a mis le doigt là où ça fait mal : au moins dix établissements n’ont tout simplement pas pu programmer le moindre cours de natation cette année. Et on ne parle pas de deux ou trois classes. On parle de tous les niveaux sixième, parfois même cinquième.
Concrètement ? Des enfants qui, à 11-12 ans, ne sauront peut-être jamais nager correctement en sortant du collège. Dans un pays où la noyade reste l’une des premières causes de mortalité accidentelle chez les jeunes, ça fait froid dans le dos.
- 30 piscines pour 101 collèges → ratio complètement insuffisant
- Créneaux scolaires réservés parfois un an à l’avance
- Fermetures imprévues qui désorganisent tout le planning
- Transport scolaire compliqué et coûteux vers des bassins éloignés
- Manque cruel de maîtres-nageurs dans certaines structures
Le test du « savoir-nager » en péril
Depuis des années, l’Éducation nationale a fait du « savoir-nager en sécurité » un objectif prioritaire. Il y a même un test officiel, l’Attestation du Savoir-Nager en Sécurité (Asséna), que les élèves sont censés valider en fin de cycle 3 ou au collège.
Sauf que sans bassin, pas de test. Et sans test validé, pas mal d’activités futures deviennent compliquées : colonies de vacances, stages de voile, séjours sportifs… Certains parents découvrent ça au pire moment, quand leur enfant se voit refuser une activité à cause de ce fameux sésame manquant.
J’ai discuté avec une maman de Viry-Châtillon qui m’a confié, un peu amère : « On paie des impôts locaux, on nous parle de sécurité, et mon fils de 11 ans a peur de l’eau parce qu’il n’a jamais pu apprendre correctement. C’est aberrant. »
Des solutions qui tardent à arriver
Les collectivités le savent, le problème n’est pas nouveau. Des projets de construction ou de rénovation traînent depuis des années. Budgets serrés, priorités multiples, complexité administrative… les excuses ne manquent pas.
Certains maires promettent des bassins nouvelle génération, d’autres misent sur des partenariats avec des piscines privées (quand elles acceptent les scolaires). Mais en attendant, les enfants, eux, grandissent. Et le temps perdu dans l’eau ne se rattrape jamais vraiment.
« Un enfant qui apprend à nager à 15 ans, ce n’est pas la même chose qu’à 11 ans. La peur s’installe, le corps change, c’est plus dur. »
Un maître-nageur expérimenté
Et les inégalités territoriales dans tout ça ?
Ce qui frappe aussi, c’est la carte des collèges touchés. On retrouve souvent les mêmes secteurs : zones prioritaires, villes populaires, territoires où les familles ont déjà moins accès aux loisirs. Comme si le droit élémentaire de savoir nager devenait, lui aussi, une question de code postal.
Un professeur me confiait récemment : « Dans certains quartiers, les parents n’ont pas les moyens d’inscrire leurs enfants à des cours privés. Le collège, c’est souvent la seule chance. Quand même ça disparaît… » Il n’a pas terminé sa phrase. Pas besoin.
Que faire quand il n’y a plus d’eau dans le bassin ?
Certains enseignants refusent de baisser les bras. Ils bricolent des solutions : cours théoriques renforcés, vidéos, sorties exceptionnelles quand un créneau se libère miraculeusement à 50 km. D’autres ont carrément abandonné la natation au profit d’autres activités EPS.
Mais soyons honnêtes : on ne remplace pas l’eau par une salle de musculation ou un terrain de foot. Apprendre à flotter, à respirer, à se retourner sur le dos en cas de panique, ça ne s’enseigne pas sur un tableau.
Et puis il y a la question de la sécurité globale. Chaque été ramène son lot de drames dans les rivières, les lacs, à la mer. Des adolescents qui surestiment leurs forces parce qu’ils n’ont jamais vraiment appris les limites de leur corps dans l’eau.
Un problème national ou un cas isolé ?
L’Essonne n’est malheureusement pas une exception. D’autres départements franciliens, mais aussi en région, connaissent des situations similaires. Le parc de piscines vieillit, les normes de sécurité se durcissent, les coûts explosent. Et pendant ce temps, le nombre de collégiens augmente.
Ce qui se passe aujourd’hui dans ce département est presque un symptôme d’un malaise plus large : on fixe des objectifs ambitieux (100 % des enfants qui savent nager en sortant du primaire, puis du collège), mais on ne met pas toujours les moyens en face.
À l’heure où l’on parle de plus en plus de santé publique, d’activité physique obligatoire, de lutte contre l’obésité infantile, priver des enfants d’une discipline aussi fondamentale que la natation, c’est un non-sens complet.
Alors oui, on construira sans doute de nouvelles piscines. Oui, on trouvera peut-être des créneaux supplémentaires l’année prochaine. Mais pour ces élèves de sixième 2025-2026, il sera trop tard.
Ils passeront à côté d’un apprentissage vital, d’un moment de plaisir aussi, parce que des bassins sont fermés et que personne n’a anticipé assez loin.
Et ça, franchement, c’est difficile à avaler.
