Vous souvenez-vous de cette sensation, il y a quelques années, quand on comptait encore plus de quarante drapeaux qui s’agitaient dans la salle ? L’Eurovision, c’était la grande messe kitsch et fédératrice, un moment où l’Europe entière mettait ses différends de côté le temps de trois soirées. Et puis, patatras. Décembre 2025, cinq pays claquent la porte d’un coup. L’édition 2026, organisée à Vienne, risque de ressembler à tout sauf à la fête qu’on connaît. Franchement, ça fait un pincement au cœur.
Une édition 2026 historiquement pauvre en participants
34 pays. C’est le chiffre qui circule en ce moment, et il donne le vertige quand on sait qu’on a déjà frôlé les 44 il n’y a pas si longtemps. L’Espagne, les Pays-Bas, l’Irlande, la Slovénie et l’Islande ont tour à tour annoncé qu’ils ne viendraient pas, pointant du doigt la présence confirmée d’Israël. En face, la Bulgarie, la Roumanie et la Moldavie font leur grand retour, mais ça ne compense pas vraiment.
Pour la première fois depuis 2004 et l’instauration des demi-finales, on risque de tomber sous la barre symbolique des 35 participants. Et ça change tout : l’ambiance, le rythme, même la durée des soirées.
Comment on en est arrivé là ? Un petit retour en arrière s’impose
Avant 2004, l’Eurovision fonctionnait avec un système de relégation un peu brutal : les mauvais résultats vous envoyaient sur le banc de touche l’année suivante. Résultat, 24 ou 25 pays maximum en finale, et beaucoup de frustration. L’arrivée massive des pays de l’Est après l’élargissement de l’Union européenne a tout fait explosé. Il a fallu créer une demi-finale, puis deux en 2008 quand on a dépassé les 43 candidats.
Depuis, le format est resté figé : le pays hôte + les Big Five (France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne) directement en finale, et deux demi-finales qui distribuent chacune 10 places. Un équilibre fragile, mais qui a tenu quinze ans.
Le concours a toujours su rebondir, même dans les moments compliqués. Mais là, on touche à quelque chose de plus profond que de simples questions d’organisation.
Concrètement, à quoi va ressembler Vienne 2026 ?
Oubliez la grande finale à 26. Sans l’Espagne, on tombe à 25 finalistes. C’est déjà une première. Pour le reste :
- Autriche (pays hôte) + France + Allemagne + Royaume-Uni + Italie = 5 qualifiés d’office
- 29 pays répartis en deux demi-finales : une à 14, l’autre à 15 (les plus petits plateaux depuis 2004)
- 10 qualifiés par demi-finale, comme d’habitude
Des soirées plus courtes, donc. Moins de respirations entre les chansons, moins de cartes postales rigolotes, peut-être même moins de temps pour les interval acts. Certains y voient une opportunité : un rythme plus nerveux, plus de tension. Moi, j’y vois surtout une salle qui risque de sonner un peu creux.
Et si on revenait à une seule demi-finale ?
L’idée a circulé sur les forums de fans. Techniquement, ce serait possible. Mais en réalité ? Quasi impossible. Les règles 2026 sont déjà bouclées, les dates sont annoncées (12, 14 et 16 mai), la billetterie ouvre en janvier, et surtout : modifier le format nécessite l’accord de tous les diffuseurs membres. Autant dire que c’est mort pour cette année.
Et puis, soyons honnêtes, revenir à une seule demi-finale ferait hurler les pays de l’Est et les petits diffuseurs qui se battent chaque année pour exister. Ce serait perçu comme un retour en arrière élitiste.
Le Portugal, entre fierté nationale et malaise politique
Le cas portugais est fascinant. Le Festival da Canção, c’est une institution là-bas, un peu comme notre Destination Eurovision mais en plus roots et plus aimé. Cette année, onze des seize artistes en lice ont annoncé qu’ils refuseraient de partir à Vienne en cas de victoire. Imaginez l’ambiance.
Du coup, on risque d’avoir un vainqueur qui représentera le Portugal… sans vraiment le vouloir. Ou alors un désistement pur et simple en mars. Ce serait une première absolue.
Israël, au centre de toutes les tempêtes
De son côté, Israël sera bien là. La sélection HaKokhav HaBa tourne déjà, le représentant sera connu en février. L’an dernier, Yuval Raphael avait créé la surprise en terminant deuxième grâce à un vote public massif. Cette année, la pression sera encore plus forte.
Certains artistes israéliens, comme Noa en 2009, appellent même à un retrait volontaire. Pas par peur du boycott, mais par respect pour ceux qui souffrent encore. C’est rare qu’un ancien participant prenne une position aussi nuancée.
« Nous ne sommes pas encore prêts à faire la fête » – une phrase qui résume assez bien le malaise ambiant.
Les absents qui vont laisser un vide immense
Perdre l’Espagne, c’est perdre un Big Five, mais aussi des chansons souvent solaires et des délégations ultra chaleureuses. Les Pays-Bas, c’est la rigueur néerlandaise, les mises en scène léchées, et des tubes qui restent en tête (Duncan Laurence, anyone ?). L’Irlande, c’est sept victoires historiques et un humour so british. L’Islande, c’est les ovnis assumés, Daði Freyr et ses pulls pixellisés. La Slovénie, enfin, c’est souvent la surprise du chef.
Leur absence va forcément se ressentir dans la diversité musicale et dans l’ambiance backstage.
Ce que ça dit de notre Europe en 2025
Plus que jamais, l’Eurovision redevient politique. On l’avait un peu oublié ces dernières années, avec les victoires de la diversité, du queer, des messages d’amour universel. Là, on replonge dans les années 70-80, quand Grèce et Turquie se regardaient en chiens de faïence ou quand certains pays de l’Est boycottaient pour des raisons idéologiques.
L’Eurovision a toujours été un miroir grossissant de l’Europe. En 2026, le miroir est fêlé.
Et nous, public, on fait quoi ?
Regarder quand même ? Boycotter aussi ? Moi, j’ai du mal à imaginer zapper le concours. Parce qu’au-delà des polémiques, il y aura toujours 34 artistes qui vont tout donner sur scène, des chansons qui vont nous faire vibrer, des moments de grâce pure. Et puis, priver ces artistes de public sous prétexte qu’on n’est pas d’accord avec la liste des participants, est-ce vraiment la solution ?
Je crois qu’on va vivre une édition étrange, peut-être moins joyeuse, mais sûrement plus intense. Une édition qui marquera l’histoire, pas forcément pour les bonnes raisons, mais qui nous forcera à nous poser les bonnes questions.
Rendez-vous les 12, 14 et 16 mai à Vienne. Quel que soit le nombre de drapeaux, la musique, elle, sera toujours là.
