Vous souvenez-vous encore de cette époque, pas si lointaine, où l’Eurovision était juste une grande fête kitsch avec des plumes, des paillettes et des chansons qu’on oublie le lendemain ? Moi oui. Et pourtant, en cette fin 2025, le concours ressemble plus à une arène géopolitique qu’à un show familial du samedi soir. Quatre pays ont déjà annoncé qu’ils n’iront pas à Vienne en mai prochain tant qu’Israël sera de la partie. Et ce n’est probablement que le début.
Eurovision 2026 : quand la musique devient un champ de bataille
Jeudi soir, l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER) a tranché : Israël reste autorisé à concourir en 2026. Moins de vingt-quatre heures plus tard, les communiqués de boycott pleuvaient. L’Espagne d’abord – membre du Big 5, donc qualifiée d’office en finale –, puis l’Irlande, les Pays-Bas et la Slovénie. Quatre absences confirmées, d’autres en suspens. On parle déjà de la participation la plus faible depuis vingt ans.
Franchement, on pouvait sentir venir le coup. Mais l’ampleur surprend par sa rapidité et sa fermeté.
Qui boycotte et pourquoi ? Le point pays par pays
Commençons par le plus lourd symboliquement : l’Espagne. RTVE, la télévision publique, a publié un communiqué glacial où elle évoque « l’utilisation politique du concours par Israël » et la difficulté de « maintenir l’image d’un événement culturel neutre ». Traduction : on ne veut plus partager la scène avec un pays en guerre à Gaza, même si un cessez-le-feu fragile tient depuis quelques mois.
L’Irlande, elle, n’y est pas allée par quatre chemins. RTE a parlé carrément de « pertes humaines effroyables à Gaza ». Le ton est donné.
Les Pays-Bas ont choisi la formule « incompatibilité avec nos valeurs ». Avrotros, leur diffuseur, traîne depuis des années une image progressiste et pro-palestinienne ; ils ne pouvaient décemment pas faire autrement sans perdre toute crédibilité auprès de leur public.
Quant à la Slovénie, la directrice de la télévision publique a été la plus directe : « Nous ne pouvons pas monter sur scène avec le représentant d’un pays responsable du génocide des Palestiniens. » Le mot est lâché. On est loin du langage policé habituel.
- Espagne → boycott confirmé
- Irlande → boycott confirmé
- Pays-Bas → boycott confirmé
- Slovénie → boycott confirmé
- Islande → décision le 10 décembre (très probable boycott)
- Norvège, Suède, Finlande → débats internes intenses
- Belgique → participera finalement
- France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni → participeront
Le directeur de l’Eurovision, Martin Green, table sur « environ cinq absents ». Ce qui ferait autour de 35 participants – le plus bas depuis l’instauration des demi-finales.
L’argument de la « neutralité politique » a-t-il encore un sens ?
C’est là que ça devient intéressant. L’UER répète depuis des années que l’Eurovision est apolitique. Sauf que tout le monde sait que c’est faux depuis longtemps.
« La doctrine de neutralité politique a été battue en brèche en 2022 avec l’exclusion de la Russie après l’invasion de l’Ukraine. À partir de ce moment, la séparation entre l’artiste et son pays n’a plus tenu. »
— Florent Parmentier, spécialiste de la géopolitique de l’Eurovision
Et il a raison. En excluant la Russie (décision que presque personne n’a contestée, soyons honnêtes), l’UER a ouvert la boîte de Pandore. Pourquoi la Russie oui et Israël non ? La question est posée brutalement dans tous les forums de fans et dans les rédactions.
D’ailleurs, l’historique du concours est truffé de moments politiques :
- 1969 → l’Autriche boycotte à cause de la dictature de Franco en Espagne
- 1975 → la Grèce se retire à cause de l’invasion turque de Chypre
- 2005 → le Liban se retire quand il comprend qu’il devra diffuser la prestation israélienne
- 2019 → l’Islande brandit des drapeaux palestiniens en direct et écope d’une amende
- 2024 → des huées massives contre la candidate israélienne en répétition
L’Eurovision n’a jamais été neutre. Elle a juste réussi, pendant longtemps, à faire semblant.
La réaction israélienne : entre fierté et sentiment d’injustice
Côté israélien, on oscille entre colère et satisfaction d’avoir gagné la bataille à l’UER.
Le président Isaac Herzog s’est félicité publiquement de la décision et a remercié « les amis qui ont défendu le droit d’Israël de concourir ». Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, a lui été plus cash : il a écrit avoir « honte » pour les pays boycotteurs.
Dans les médias israéliens, on insiste sur le fait qu’Israël participe depuis 1973, a gagné quatre fois (1978, 1979, 1998, 2018) et que le pays a toujours respecté les règles – contrairement à certains qui ont changé les paroles ou affiché des messages politiques en direct.
Et la France dans tout ça ?
Paris a tranché rapidement : on y va. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot a même tweeté sa « réjouissance » que l’Eurovision n’ait « pas cédé aux pressions » et a rappelé que la France ne boycottera « jamais un peuple, ses artistes ou ses intellectuels ».
Position cohérente avec la diplomatie française actuelle, qui condamne les attaques du Hamas tout en appelant à la retenue israélienne, mais refuse clairement la logique du boycott culturel.
Le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie ont suivi la même ligne. Le Big 5 reste soudé… pour l’instant.
Quelles conséquences concrètes pour le concours ?
On peut déjà prévoir plusieurs scénarios :
- Scenario minimal → 5-6 boycotts, 35-36 participants. Le show reste faisable, mais l’Autriche absorbe le manque à gagner.
- Scenario médian → 8-10 absents (Scandinavie partielle, Portugal, peut-être Suisse). Là, ça commence à faire mal financièrement et en termes d’image.
- Scenario catastrophe → plus de 15 boycotts. Le concours perd sa légitimité d’« européen » et devient un petit événement entre pays alignés sur la même position diplomatique.
Et puis il y a la question du public. Les réseaux sociaux sont en feu. Les hashtags #BoycottEurovision2026 et #CancelIsrael trending dans plusieurs pays. Les fans historiques se déchirent entre ceux qui trouvent la décision de l’UER courageuse et ceux qui parlent de « deux poids, deux mesures ».
Je vous avoue que, personnellement, j’ai du mal à trancher. D’un côté, boycotter des artistes parce qu’on n’aime pas la politique de leur gouvernement, ça me gêne profondément. De l’autre, prétendre que l’art peut être totalement séparé du contexte dans lequel il émerge, c’est un peu naïf en 2025.
Et maintenant ?
Les prochaines semaines qui viennent vont être décisives. L’Islande rendra sa décision le 10 décembre. Si Reykjavik dit non, tout le bloc nordique pourrait basculer. La Norvège et la Finlande ont déjà des pétitions qui dépassent les 50 000 signatures.
L’UER, elle, campe sur ses positions : tant qu’Israël respecte le règlement (pas de message politique dans la chanson, pas de symbole interdit), le pays a le droit de participer. Point final.
Mais dans les couloirs, on murmure que des discussions ont lieu en urgence pour éviter la catastrophe. Certains proposent même de déplacer le concours hors d’Europe (Australie ? Canada ?). Rien n’est acté.
Une chose est sûre : en mai 2026 à Vienne, soit le concours aura retrouvé une forme d’unité bancale, soit il entrera dans une nouvelle ère, plus petite, plus clivante, mais peut-être plus honnête sur ce qu’il est réellement : un miroir grossissant des tensions européennes et mondiales.
Et vous, vous irez regarder ? Moi, je crois que oui. Parce que, même quand il dérape, l’Eurovision reste le meilleur reflet de ce que nous sommes. Kitsch, passionné, excessif et, surtout, incapable de faire semblant d’être neutre très longtemps.
Alors rendez-vous en mai. Avec ou sans paillettes palestiniennes dans le public. Avec ou sans drapeaux arc-en-ciel. Mais certainement avec beaucoup, beaucoup d’émotions.
