Vous souvenez-vous du temps où l’Eurovision, c’était juste des paillettes, des chansons entêtantes et des votes un peu douteux entre voisins ? Moi, j’ai encore en tête ces soirées où on riait des tenues improbables et des « twelve points » distribués comme des bonbons. Et puis, petit à petit, le concours est devenu un ring politique. Cette année, on atteint un niveau rarement vu : Israël sera bien là en mai 2026 à Vienne… et déjà quatre pays (au moins) ont décidé de rentrer chez eux.
Quand la musique devient un champ de bataille diplomatique
Franchement, on pouvait s’y attendre. Depuis des mois, la tension montait. Les appels au boycott pleuvaient, nourris par le contexte géopolitique explosif au Proche-Orient. Beaucoup estimaient qu’accueillir un pays en guerre ouverte, accusé de graves violations, revenait à blanchir sa politique. D’autres, au contraire, criaient à la censure culturelle et au deux poids deux mesures – rappelez-vous que la Russie a bien été exclue en 2022.
Et là, patatras : l’instance qui organise tout ça, l’Union européenne de radiodiffusion, a tranché. Pas de vote d’exclusion. Des nouvelles règles, oui. Un boycott officiel, non. Israël pourra envoyer son candidat s’il le souhaite. Fin de l’histoire ? Pas vraiment.
La position française, claire et sans détour
Le ministre français des Affaires étrangères n’a pas mâché ses mots. Sur les réseaux, il s’est félicité que « la France ait contribué à empêcher un boycott d’Israël ». Pour lui, hors de question de punir un peuple entier, ses artistes, ses intellectuels, sous prétexte de désaccord avec un gouvernement.
« Jamais la France ne s’engagera dans la voie du boycott d’un peuple, de ses artistes ou de ses intellectuels. Tout s’y oppose dans l’âme et la tradition de notre pays, celle de l’humanisme des Lumières. »
Il pousse le raisonnement plus loin : interdire un chanteur ou un musicien parce qu’on condamne la politique de son pays, c’est ouvrir la porte à tous les obscurantismes. Et il pose la question qui tue : faudrait-il, demain, bannir les romans de grands écrivains, les films de réalisateurs talentueux, les concerts de jazzmen exceptionnels, juste parce qu’on n’aime pas les décisions de leur gouvernement ?
Perso, je trouve l’argument solide. La culture, c’est souvent le dernier pont quand tout le reste a brûlé. On l’a vu mille fois dans l’histoire.
Ceux qui claquent la porte… et ceux qui pourraient suivre
Mais tout le monde n’est pas sur cette ligne. À peine l’annonce tombée, plusieurs diffuseurs nationaux ont réagi au quart de tour :
- L’Espagne : retrait immédiat annoncé
- Les Pays-Bas : même décision
- L’Irlande : boycott confirmé
- La Slovénie : sortie officielle
- L’Islande : décision attendue dans les prochains jours, mais ça sent le roussi
D’autres pourraient suivre. On parle déjà de la Norvège, de la Suède dans certains cercles militants. Bref, l’Eurovision 2026 risque de ressembler à un concours amputé d’une partie de sa famille habituelle.
Et ça, c’est un vrai problème. Parce que l’Eurovision, c’est avant tout un rassemblement populaire énorme. Des millions de téléspectateurs. Si une partie des pays traditionnellement très présents (et souvent très bien classés) se retire, l’équilibre du concours change complètement.
Des nouvelles règles pour calmer le jeu… ou pas
Pour éviter que la situation dégénère encore plus, l’organisation a sorti l’artillerie lourde côté règlement. On se souvient des soupçons d’ingérence massive lors des dernières éditions : campagnes de vote orchestrées, parfois avec le soutien plus ou moins discret d’institutions officielles.
Du coup, voilà ce qui change :
- Limitation stricte des votes par carte bancaire (10 au lieu de 20)
- Interdiction claire des campagnes promotionnelles disproportionnées, surtout si elles sont pilotées par des gouvernements
- Renforcement des outils de détection des votes frauduleux ou coordonnés
- Transparence accrue sur les opérations de vote
Est-ce que ça suffira ? Franchement, j’ai des doutes. Quand la passion politique se mêle au vote populaire, c’est rarement les algorithmes qui gagnent.
Le précédent russe et la question du deux poids deux mesures
C’est l’argument qui revient sans cesse dans le camp pro-boycott : pourquoi la Russie a été exclue dès 2022 et pas Israël aujourd’hui ? La situation est-elle si différente ?
En réalité, les cas ne sont pas totalement comparables. L’exclusion russe avait été décidée dans l’urgence, quelques jours après le début de l’invasion en Ukraine, avec une quasi-unanimité des membres. Là, le vote a montré une « large majorité » mais pas l’unanimité farouche qu’on avait vue à l’époque.
Et puis, il y a cette idée qui flotte : exclure un pays membre fondateur (Israël participe depuis 1973) sur la base de sa politique extérieure ouvrirait une boîte de Pandore. Demain, qui serait le prochain sur la liste ?
La musique peut-elle encore sauver le soldat paix ?
Le ministre français concluait son message par une phrase qui mérite qu’on s’y arrête :
« Par la culture, chacun apprend à comprendre l’autre et se retrouve dans ce qu’il y a de plus universel en lui, son humanité. Y a-t-il meilleur moyen de cultiver la paix ? »
C’est beau. C’est même touchant. Mais dans le climat actuel, ça sonne presque naïf. Parce que la culture, aujourd’hui, est aussi une arme. On le voit avec les appels au boycott culturel, les annulations de concerts, les pétitions contre tel ou tel artiste.
Pourtant, je reste convaincu qu’il a raison sur un point : punir des artistes pour les choix de leurs dirigeants, c’est toujours une défaite. On a vu des orchestres mixtes israélo-palestiniens continuer à jouer ensemble malgré tout. C’est ça, aussi, la force de la musique.
Et nous, spectateurs, on fait quoi maintenant ?
La vraie question, c’est peut-être celle-là. Est-ce qu’on regarde quand même ? Est-ce qu’on boycotte aussi, par solidarité ? Ou est-ce qu’on continue à voter pour la chanson qu’on aime, point barre ?
Personnellement, j’ai du mal à trancher. D’un côté, je déteste l’idée que la politique pourrisse tout, même un concours aussi kitsch et joyeux. De l’autre, je comprends parfaitement ceux qui ne veulent pas faire comme si de rien n’était.
Ce qui est sûr, c’est que l’Eurovision 2026 ne ressemblera à aucun autre. Plus politique, plus clivant, peut-être moins festif. Mais aussi, paradoxalement, plus révélateur de l’état du monde en 2026.
Alors, on regardera ? Probablement. Parce que, même quand ça fait mal, on a besoin de comprendre où on en est. Et parfois, une chanson de trois minutes dit plus long sur l’époque que des heures de débats.
Wait and see. Les premiers noms de candidats ne vont pas tarder à tomber. Et là, ça va vraiment commencer à chauffer.
