Vous souvenez-vous de l’ambiance électrique de la finale 2025 à Bâle ? Les lumières, les cris, et cette impression que, l’espace d’une soirée, l’Europe oublie tout pour chanter ensemble. Et pourtant, à peine six mois plus tard, le concours le plus kitsch et le plus politique du monde risque de se déchirer comme jamais. Cette fois, c’est la participation d’Israël qui fait trembler les fondations mêmes de l’Eurovision.
Un « non » allemand catégorique à l’exclusion
Quand j’ai lu les déclarations officielles venues d’Allemagne, j’avoue avoir été surpris par leur fermeté. On parle quand même du pays qui accueille chaque année des millions de téléspectateurs devant le concours et qui a remporté l’Eurovision à deux reprises seulement. Pourtant, là, le ton est sans appel.
Le ministre de la Culture a tranché : « Il ne peut pas y avoir d’Eurovision sans Israël ». Pas de demi-mesure, pas de « on va voir ». Une phrase courte, lourde de sens, qui résonne comme un ultimatum.
« Exclure des artistes simplement parce qu’ils sont israéliens, ou pire, parce qu’ils sont juifs, cela va profondément à l’encontre des valeurs fondamentales européennes. »
Ministre allemand de la Culture, décembre 2025
Et il n’est pas seul. Le diffuseur public chargé de la retransmission à partir de 2026 a immédiatement enfoncé le clou : la chaîne israélienne respecte toutes les règles d’admission. Point final. Même le chancelier sortant a laissé entendre, dès octobre, que l’Allemagne claquerait la porte si Israël était exclue.
Pourquoi l’Allemagne se mouille-t-elle autant ?
Il y a d’abord l’histoire. L’Allemagne porte depuis 1945 une responsabilité morale particulière vis-à-vis d’Israël. Ce n’est pas un secret : la phrase « en raison de la Shoah » revient souvent dans les discours officiels quand il s’agit de justifier un soutien indéfectible. Mais là, on sent que ça va plus loin.
Beaucoup d’observateurs allemands y voient une forme d’antisémitisme masqué. Exclure Israël du concours sous prétexte de la situation à Gaza, alors que d’autres pays aux bilans tout aussi controversés ont participé sans problème pendant des décennies ? Pour Berlin, l’argument ne tient pas.
- La Turquie a participé pendant des années malgré Chypre-Nord.
- L’Azerbaïdjan malgré le Haut-Karabagh.
- La Russie jusqu’en 2021 malgré la Crimée.
Du coup, beaucoup se demandent : pourquoi Israël serait-il le seul à payer l’addition politique ?
L’Union européenne de radiodiffusion dans la tempête
L’instance qui organise vraiment l’Eurovision – l’UER – se retrouve coincée entre deux feux. D’un côté, plusieurs pays nordiques et même certains pays de l’Est menacent ouvertement de boycott si Israël reste. De l’autre, l’Allemagne (et dans une moindre mesure l’Italie ou les Pays-Bas) brandit la carte du départ en cas d’exclusion.
Et financièrement, ce n’est pas anodin. L’Allemagne est l’un des plus gros contributeurs du concours. Sans elle, l’édition 2026 perdrait une partie de son audience et surtout une grosse partie de son budget.
Je me souviens encore de 2022 : quand la Russie a été exclue après l’invasion de l’Ukraine, presque tous les diffuseurs avaient applaudi. Là, c’est différent. Le consensus n’existe plus. On sent que l’UER marche sur des œufs.
Entre géopolitique et paillettes : l’âme de l’Eurovision en jeu
L’Eurovision a toujours été politique. On se moque souvent des votes de voisinage, des « 12 points » gréco-chypriotes à Chypre ou maltais à Malte, mais là on touche à quelque chose de plus profond.
Le concours a survécu à la guerre froide, aux guerres yougoslaves, au Brexit même. Mais jamais il n’a été aussi près de l’implosion. Parce que cette fois, le débat ne porte pas sur une chanson trop osée ou un drapeau arc-en-ciel, il porte sur la légitimité même de la présence d’un pays.
« L’Eurovision, c’est la célébration de la diversité à travers la musique. Exclure un pays pour des raisons politiques, c’est tuer l’esprit même du concours. »
Un responsable de diffuseur européen, sous couvert d’anonymat
Et les artistes dans tout ça ?
Ce qui me touche le plus, c’est de penser aux artistes israéliens. L’an dernier, Yuval Raphael avait réussi à se qualifier pour la finale malgré un contexte déjà très tendu. Cette année, le représentant sélectionné risque de ne même pas pouvoir monter sur scène.
Imaginez : vous travaillez des mois sur une chanson, vous passez les sélections nationales, et finalement on vous dit « désolé, ton pays n’a plus le droit de chanter ». C’est violent. Et ça pose une question simple : doit-on punir des artistes pour les choix de leur gouvernement ?
Scénarios possibles pour 2026
À l’heure où j’écris ces lignes, trois issues semblent possibles :
- Israël participe normalement → boycott d’une partie des pays nordiques et peut-être irlandais.
- Israël est exclu → l’Allemagne (et probablement d’autres) se retire, le concours perd en légitimité et en budget.
- Solution intermédiaire (la plus probable ?) : Israël participe mais avec une chanson « apolitique » imposée et sous très haute surveillance.
Franchement, aucune de ces options ne me réjouit. L’Eurovision sans les pays nordiques, ce n’est plus vraiment l’Eurovision. Mais l’Eurovision sans l’Allemagne non plus.
Ce que ça dit de l’Europe en 2025
Plus largement, cette crise révèle les fractures profondes qui traversent le continent. D’un côté, une Europe du Nord très sensible aux questions palestiniennes et pro-boycott. De l’autre, une Europe centrale et orientale (Allemagne en tête) qui refuse toute forme de sanction culturelle contre Israël.
On parle beaucoup de « valeurs européennes ». Mais quelles sont-elles exactement quand il s’agit d’Israël ? La liberté d’expression artistique ? La non-discrimination ? Ou le droit de sanctionner un État via la culture ?
Personnellement, je trouve que l’argument allemand tient la route : si on commence à exclure des pays pour leurs politiques étrangères, où s’arrête-t-on ? Demain ce sera qui ? La Hongrie d’Orbán ? La Pologne d’avant 2023 ? La Turquie si elle revenait ?
L’Eurovision a toujours su rester au-dessus de la mêlée. Espérons qu’elle y arrive encore une fois. Parce que sinon, les paillettes risquent de laisser place à un champ de ruines bien triste.
Et vous, qu’en pensez-vous ? L’Eurovision doit-elle rester un sanctuaire apolitique ou devenir un outil de pression géopolitique ? La question mérite d’être posée. Vivement mai 2026… ou pas.
