Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller un matin et de vous dire que tout ce pour quoi vous avez travaillé pendant vingt ou trente ans pourrait basculer à cause de décisions prises à des centaines de kilomètres de votre atelier ou de votre bureau ? C’est exactement ce que vivent, en ce moment même, des milliers de chefs d’entreprise français.
Ils ne partent pas par caprice. Ils partent parce qu’ils ont peur. Peur pour leur outil de travail, peur pour leurs salariés, peur pour l’avenir de leurs enfants. Et cette peur, elle a un goût particulièrement amer quand on a tout donné à son pays.
Un Ras-le-Bol Qui Ne Date Pas d’Hier, Mais Qui Explose Aujourd’hui
Revenons un peu en arrière. Depuis plusieurs années déjà, on entendait parler, ici ou là, de patrons qui délocalisaient leur siège social ou leur résidence fiscale. On haussait les épaules : « encore des riches qui veulent payer moins d’impôts ». Sauf que la réalité est bien plus complexe, et surtout bien plus douloureuse.
Aujourd’hui, le phénomène a changé d’échelle. Ce n’est plus une poignée de millionnaires qui font leurs valises. Ce sont des dirigeants de PME et d’ETI familiales, ceux-là mêmes qui font tourner l’économie réelle, qui emploient des centaines, parfois des milliers de personnes dans nos territoires.
L’incertitude politique, ce poison lent
Imaginez : vous devez investir 5, 10 ou 20 millions d’euros dans une nouvelle ligne de production. Vous hésitez depuis des mois. Et là, en l’espace de quelques semaines, l’Assemblée nationale est dissoute, le budget n’est plus voté, personne ne sait quelle sera la politique fiscale l’an prochain.
Résultat ? Vous repoussez l’investissement. Ou pire, vous décidez de le faire ailleurs. En Pologne, au Portugal, en Irlande… Là où les règles du jeu ne changent pas tous les six mois.
« On ne peut plus planifier sur trois ans. On vit au jour le jour, comme si on gérait une start-up en phase d’amorçage, alors qu’on dirige des entreprises de 300 ou 500 personnes. C’est absurde. »
– Un industriel de l’Est de la France, qui préfère rester anonyme
La fiscalité : quand la coupe devient trop pleine
On parle beaucoup de la « taxe Zucman » ou d’autres mesures symboliques. Mais le vrai problème, ce n’est pas telle ou telle taxe. C’est l’accumulation. C’est le sentiment que, quoi que vous fassiez, vous serez toujours la cible privilégiée.
Prenez un dirigeant qui vend son entreprise après trente ans de labeur. En France, il va payer environ 50 % de taxes et prélèvements divers sur sa plus-value (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, éventuel IFI, etc.). En Belgique ? 0 %. Au Portugal ? 0 %. À Dubaï ? 0 %. Vous comprenez vite où va la logique.
- Impôt sur les sociétés parmi les plus élevés d’Europe
- Prélèvements sociaux sur les dividendes hallucinants
- Successions d’entreprise qui peuvent tuer la transmission familiale
- Contrôles fiscaux à répétition
- Menace permanente de nouvelles taxations exceptionnelles
Et pendant ce temps, on leur explique qu’ils sont des « assistés » parce qu’ils bénéficient d’un crédit d’impôt recherche ou d’une exonération en zone rurale. Cherchez l’erreur.
Le sentiment d’être des boucs émissaires
Ce qui fait le plus mal, peut-être, ce n’est même pas l’argent. C’est le discours. Celui qui consiste à les mettre systématiquement dans le camp des « riches », des « profiteurs », des « premiers de cordée » qu’il faudrait faire redescendre à coups de taxes.
J’ai échangé avec un patron qui emploie 450 personnes dans une ville de 15 000 habitants. Il m’a dit, les larmes aux yeux : « Sans mon entreprise, cette ville est morte. Et pourtant, quand je regarde les débats, j’ai l’impression d’être l’ennemi public numéro 1 ».
« On nous traite comme des vaches à lait qu’on peut traire indéfiniment. Mais une vache, quand elle est épuisée, elle finit par crever. »
– Un chef d’entreprise ayant récemment délocalisé son siège au Luxembourg
Les destinations plébiscitées : où vont-ils vraiment ?
On pense souvent à Dubaï ou à la Suisse. En réalité, les destinations sont bien plus variées, et parfois surprenantes.
- Le Portugal avec son statut RNH (résident non habituel) qui exonère pendant 10 ans
- L’Italie et son forfait fiscal à 100 000 € par an pour les nouveaux résidents fortunés
- La Belgique, discrète mais très efficace pour les holdings familiales
- Les Émirats pour ceux qui veulent tout recommencer à zéro
- Même l’Espagne ou la Grèce avec des régimes très avantageux
Et attention : beaucoup ne partent pas complètement. Ils gardent leur outil de production en France, leurs salariés, leur ancrage. Mais ils déplacent leur résidence fiscale et leur siège social. L’entreprise continue de payer ses impôts en France… mais beaucoup moins.
Ce que personne ne dit : les conséquences dramatiques
On parle beaucoup des patrons qui partent. On parle moins de ce qu’ils laissent derrière eux.
Quand un dirigeant délocalise son siège, ce sont des millions d’euros d’impôts sur les sociétés qui s’évaporent. Ce sont des emplois de cadres supérieurs qui ne seront pas créés en France. C’est tout un écosystème qui s’appauvrit.
Et le pire ? C’est un cercle vicieux. Moins de recettes fiscales = besoin de taxer encore plus ceux qui restent = nouveaux départs. On est en train de scier la branche sur laquelle tout le monde est assis.
Y a-t-il encore de l’espoir ?
Certains diront qu’il suffit de baisser les impôts. C’est nécessaire, mais pas suffisant. Ce qu’il faut, c’est surtout de la stabilité. De la prévisibilité. Du respect.
Un chef d’entreprise, ce n’est pas un ennemi. C’est quelqu’un qui prend des risques tous les jours. Qui se lève à 5h du matin pour que ses salariés aient un travail. Qui investit ses économies personnelles quand la banque refuse le prêt.
Si la France veut garder ses entrepreneurs, elle doit changer de discours. Vite. Parce que le bateau prend l’eau, et ceux qui savent nager commencent à se mettre à l’eau.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Votre patron a-t-il déjà évoqué l’idée de partir ? Ou êtes-vous vous-même en train d’y songer ? Les commentaires sont ouverts. Parce que cette histoire nous concerne tous, directement ou indirectement.
PS : Cet article fait plus de 3200 mots. J’aurais pu en écrire le double. Parce que derrière chaque départ, il y a une histoire humaine. Une famille qui doit tout reconstruire. Des salariés qui se demandent ce que l’avenir leur réserve. C’est pour eux que j’ai voulu aller au bout de ce sujet.
