Vous est-il déjà arrivé de vous dire que, dans les couloirs feutrés de Bruxelles, tout finit toujours par se savoir ? Moi oui. Et ce mardi 2 décembre 2025, la nouvelle est tombée comme un coup de tonnerre dans un ciel pourtant bien gris : Federica Mogherini, ancienne Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a été placée en garde à vue. Oui, vous avez bien lu. L’Italienne qui a dirigé la diplomatie européenne de 2014 à 2019 est aujourd’hui dans le collimateur de la justice.
Je ne vais être honnête : quand j’ai vu l’information défiler, j’ai d’abord cru à une erreur. Mogherini ? Celle qui incarnait une forme d’élégance tranquille au milieu des crises internationales ? Celle que l’on voyait sourire à côté d’Angela Merkel ou serrer la main de dirigeants du monde entier ? Et pourtant, les faits sont là, brutaux et implacables.
Un coup de filet matinal qui fait trembler Bruxelles
Il est à peine 6 heures du matin ce mardi quand les portes claquent. Des policiers fédéraux belges, mandatés par le parquet européen, investissent plusieurs lieux stratégiques. À Bruxelles, les bureaux du Service européen pour l’action extérieure (SEAE, plus connu sous son acronyme anglais EEAS) sont perquisitionnés de fond en comble. À Bruges, c’est le prestigieux Collège de l’Europe qui subit le même sort. Et dans le même temps, trois personnes sont arrêtées, dont une figure que personne n’imaginait voir un jour dans cette situation.
Parmi elles, Federica Mogherini, aujourd’hui rectrice du Collège de l’Europe, mais surtout ancienne patronne du SEAE. Les deux autres ? Un haut responsable toujours en poste à la Commission et une troisième personne dont l’identité reste protégée pour l’instant. Trois gardes à vue, des perquisitions simultanées dans plusieurs pays, des domiciles fouillés… On est loin du simple contrôle de routine.
Les infractions suspectées sont graves : fraude dans l’attribution de marchés publics, corruption, conflit d’intérêts et violation du secret professionnel.
Communiqué officiel du parquet européen
Au cœur de l’enquête : un appel d’offres qui sent le favoritisme
Tout part d’un programme de formation destiné aux futurs diplomates européens. Un marché public lancé par le SEAE entre 2021 et 2022, alors que Mogherini n’était plus en poste mais déjà à la tête du Collège de l’Europe depuis 2020. Et c’est là que ça coince.
Le Collège de l’Europe – souvent surnommé l’ENA européenne – remporte l’appel d’offres. Jusque-là, rien d’anormal : l’établishissement est réputé, forme des générations de fonctionnaires et jouit d’un réseau impressionnant. Sauf que les enquêteurs soupçonnent que l’établissement, ou du moins certains de ses représentants, ait été informé en avance des critères de sélection. Autrement dit : l’appel d’offres aurait été taillé sur mesure.
Et quand on connaît les liens entre l’ancienne Haute représentante et son ancien service… on comprend vite pourquoi le parfum de conflit d’intérêts flotte dans l’air. Car oui, c’est bien son ancien service qui attribuait le marché à son établissement actuel. Difficile de faire plus gênant.
- Un marché public de plusieurs millions d’euros
- Un établissement dirigé par l’ancienne patronne du donneur d’ordre
- Des critères qui semblent avoir fuité avant l’heure
- Une procédure qui, vue de l’extérieur, sent le copinage à plein nez
Le parquet européen sort les griffes
Créé en 2021, le parquet européen (EPPO) n’a pas perdu de temps pour montrer les dents. Indépendant, basé au Luxembourg, il a pour mission de traquer tout ce qui touche aux intérêts financiers de l’Union. Et force est de constater qu’il ne fait pas dans la dentelle.
Avant même les arrestations, l’EPPO avait obtenu la levée d’immunité de plusieurs suspects. Un signal fort : même les plus hauts fonctionnaires ne sont plus intouchables. Et cette fois, c’est une codirection avec un juge d’instruction belge de Flandre-Occidentale qui mène la danse. Preuve que l’affaire dépasse largement les frontières nationales.
D’ailleurs, l’opération a été rondement menée. Perquisitions synchronisées, arrestations simultanées, communication minimale… Tout sent l’enquête préparée depuis des mois. Ce qui laisse penser que les éléments à charge sont solides.
Le Collège de l’Europe, une institution intouchable… jusqu’à aujourd’hui ?
Il faut le dire : le Collège de l’Europe, c’est un peu le saint des saints de la formation européenne. À Bruges ou à Natolin (Pologne), on y forme l’élite des fonctionnaires, diplomates, avocats et lobbyistes de demain. Les anciens élèves ? Un who’s who de la bulle bruxelloise. Le roi d’Espagne Felipe VI y a même prononcé un discours en juin dernier. Autant dire que l’établissement traîne une réputation d’excellence et d’entre-soi.
Mais cette excellence a un prix. Et quand une institution aussi prestigieuse se retrouve au cœur d’une enquête pour favoritisme, c’est tout un système qui vacille. Car si même le Collège de l’Europe peut être soupçonné de pratiques douteuses… alors qui est encore au-dessus de tout soupçon ?
Le prestige ne doit jamais être un bouclier contre la justice.
Et maintenant ?
À l’heure où j’écris ces lignes, les gardes à vue peuvent durer jusqu’à 48 heures. Ensuite ? Soit les suspects sont remis en liberté (avec ou sans contrôle judiciaire), soit ils sont déférés devant un juge et potentiellement mis en examen. Vu l’ampleur de l’opération, je pencherais plutôt pour la seconde option.
Mais au-delà du sort individuel de Federica Mogherini et des autres suspects, c’est tout le système de contrôle des fonds européens qui est interrogé. Comment a-t-on pu laisser passer un tel conflit d’intérêts ? Pourquoi personne n’a-t-il tiré la sonnette d’alarme plus tôt ? Et surtout : combien d’autres affaires dorment encore dans les tiroirs ?
Parce que soyons clairs : ce n’est pas la première fois que l’UE est éclaboussée par des scandales financiers. On se souvient tous du Qatargate, des enveloppes d’argent liquide, des valises au Parlement européen… Mais là, on touche à quelque chose de plus profond. On touche à la formation même de ceux qui, demain, dirigeront l’Europe.
Et ça, franchement, ça fait peur.
Je ne vais pas vous mentir : j’ai toujours eu un faible pour Federica Mogherini. Son calme, sa maîtrise des dossiers, sa capacité à parler à tout le monde, même aux pires dictateurs, sans jamais perdre son sang-froid. Elle représentait, à mes yeux, une certaine idée de l’Europe : pragmatique, élégante, parfois naïve, mais sincère.
Aujourd’hui, cette image est fissurée. Pas détruite – attendons la suite de l’enquête –, mais sérieusement abîmée. Et quelque part, c’est toute notre confiance dans les institutions européennes qui prend un coup.
Alors oui, il faut laisser la justice faire son travail. Oui, la présomption d’innocence reste la règle d’or. Mais non, on ne peut pas balayer cette affaire d’un revers de main en disant « c’est Bruxelles, c’est normal ».
Parce que si même les gardiens du temple trichent, alors qui reste-t-il pour veiller sur nous ?
Affaire à suivre, évidemment. Très étroitement.
