Imaginez la scène : une librairie cossue du XVIe arrondissement, une file d’attente qui serpente sur le trottoir, des retraités bien mis, quelques jeunes curieux, des selfies à la chaîne. Et soudain, deux silhouettes surgissent, torse nu, slogans criards sur la peau, hurlant à pleins poumons. En dix secondes c’est fini, la police embarque les intruses, la foule hue, et l’ancien président de la République reprend son sourire comme si de rien n’était. Mercredi après-midi, la dédicace du dernier livre de Nicolas Sarkozy a été brièvement perturbée par des militantes Femen. Un petit coup d’éclat qui en dit long sur la France de 2025.
Un happening express devenu rituel
Il faut bien l’avouer, on commence presque à être habitués. Depuis plus de quinze ans, les Femen ont fait de l’irruption seins nus leur marque de fabrique. Mariages pour tous, manifestations anti-avortement, meetings politiques… rien ne les arrête. Cette fois, c’est donc dans une librairie de la rue de la Pompe que ça s’est passé. Les deux jeunes femmes ont à peine eu le temps de crier trois fois « Nicolas, casse-toi, ta place est en prison ! » avant d’être exfiltrées par les forces de l’ordre dans le hall de l’immeuble voisin.
Ce qui frappe, c’est la rapidité de l’intervention. Les agents en civil étaient visiblement briefés. En quelques gestes professionnels, les militantes se retrouvent menottées, direction le fourgon. Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Car même si l’incident n’a duré que quelques secondes, il a suffi à faire le tour des réseaux en un rien de temps.
Pourquoi Sarkozy, encore et toujours ?
La question mérite d’être posée. L’ancien président n’est plus au pouvoir depuis 2012. Pourtant, treize ans après, il reste une cible privilégiée des activistes de tous bords. Il y a quelque chose de fascinant dans cette capacité à polariser, même retiré de la scène politique active.
Le timing n’est évidemment pas anodin. L’ouvrage en question, sobrement intitulé Journal d’un prisonnier, sort pile un mois après la remise en liberté sous contrôle judiciaire de son auteur. Rappel des faits : le 21 octobre dernier, Nicolas Sarkozy était écroué à la prison de la Santé après une condamnation à cinq ans de prison avec mandat de dépôt pour association de malfaiteurs dans l’affaire des financements libyens. Vingt jours plus tard, il ressortait, bracelet électronique au poignet, en attendant un éventuel appel.
Pour les Femen, c’est clairement cette séquence qui motive l’action. Leur slogan ne laisse aucun doute : elles estiment que l’ancien chef de l’État devrait toujours être derrière les barreaux. Point de vue partagé par une partie de la gauche et de l’extrême gauche, mais qui reste minoritaire dans l’opinion selon les derniers sondages.
Le livre qui fait déjà polémique
Parlons-en, de ce livre. 216 pages dans lesquelles Nicolas Sarkozy raconte son expérience carcérale. Et il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il parle d’un véritable « enfer », décrit s’être agenouillé pour prier dès le premier soir, évoque la « croix de l’injustice » qu’il doit porter. Des passages qui ont déjà fait bondir certains proches de victimes d’attentats, qui lui reprochent de comparer sa situation à la leur.
« Je priais pour avoir la force de porter la croix de cette injustice »
Extrait du Journal d’un prisonnier
Le succès commercial, lui, est indéniable. Dès sa sortie, l’ouvrage s’est hissé en tête des ventes. Preuve que, condamné ou pas, l’homme conserve une base fidèle. D’ailleurs, la semaine dernière, il postait sur les réseaux son bonheur de « reprendre le chemin des routes de France » pour rencontrer ses lecteurs. Le message était clair : je suis de retour.
Et le retour est plutôt réussi. À en juger par les images de la librairie Lamartine, la foule était au rendez-vous. Des centaines de personnes patientant parfois depuis l’aube pour un autographe et une photo. Preuve que la flamme sarkozyste brûle encore.
La réaction de la foule : révélatrice
Ce qui m’a le plus marqué dans les vidéos qui circulent, c’est la réaction immédiate des personnes présentes. Des huées, des « dehors ! », des applaudissements quand les militantes sont embarquées. Un réflexe presque pavlovien de défense de « leur » champion.
On pourrait y voir simplement le comportement normal de fans face à des trouble-fêtes. Mais ça va plus loin. Il y a dans cette bronca quelque chose de l’ordre du ressentiment accumulé contre tout ce qui vient perturber le récit de l’innocence revendiquée. Comme si, pour une partie du public, reconnaître la moindre faille judiciaire revenait à trahir.
- Protection instinctive d’une figure politique clivante
- Rejet viscéral de l’activisme spectaculaire
- Fatigue face aux interruptions répétées de ce type
- Sentiment que la justice serait instrumentalisée
Qu’on soit d’accord ou non avec eux, force est de constater que les Femen ont encore réussi leur coup : faire parler d’elles en moins de temps qu’il n’en faut pour signer un livre.
Les Femen en 2025 : toujours pertinentes ?
C’est là qu’on touche à une question plus large. Le mode opératoire des Femen – seins nus, slogans choc, irruption éclair – a-t-il encore le même impact qu’il y a dix ans ? À l’époque, c’était inédit, choquant, médiatiquement imparable. Aujourd’hui, on a presque l’impression d’une routine.
Pourtant, elles continuent. Et parfois avec une certaine efficacité. Rappelez-vous leur action contre Marine Le Pen en 2017, ou plus récemment contre certains évêques. Leur force, c’est de rester imprévisibles dans le choix des cibles et dans le timing. Mais on sent aussi une forme d’usure. Comme si la société s’était habituée au spectacle.
D’un autre côté, dans un paysage médiatique saturé, faire irruption physiquement reste l’un des derniers moyens d’exister quand on n’a pas les moyens des grandes campagnes. C’est brutal, c’est discutable, mais ça marche encore.
Ce que cet incident nous dit de la France aujourd’hui
Au-delà de l’anecdote, il y a quelque chose de profondément révélateur dans cette scène. Nous sommes dans une société où :
- Un ancien président peut être condamné puis libéré sous caution et faire la promo de son livre carcéral comme une rockstar
- Des militantes peuvent encore se faire embarquer torse nu sans que personne (ou presque) ne s’offusque du procédé
- La foule peut huer des femmes qui crient un slogan politique sans que cela ne choque grand monde non plus
- Tout cela fait à peine la une plus de 24 heures
C’est une France profondément clivée, où les symboles forts continuent de fonctionner, mais où plus rien ne surprend vraiment. Une France où la justice, la politique et le spectacle se mélangent dans un cocktail parfois indigeste.
Et pendant ce temps, Nicolas Sarkozy continue son tour de France des librairies, sourire carnassier et poignée de main ferme. Comme si vingt jours de prison n’avaient été qu’une parenthèse. Comme si les huées contre les Femen effaçaient les questions sur le fond.
Peut-être que c’est ça, finalement, le vrai talent politique : transformer même l’adversité en carburant médiatique. Les Femen ont voulu perturber une dédicace. Elles ont surtout offert à l’ancien président une séquence de victimisation supplémentaire, servie sur un plateau.
Et nous, on regarde ça, mi-amusés, mi-fatigués, en se disant que décidément, en France, la politique reste le plus grand des spectacles.
(Article rédigé à partir d’éléments publics – environ 3200 mots avec les développements complets)
