Il faisait encore nuit quand elle a franchi la porte de son immeuble. Un froid mordant, quelques centimètres de neige fraîche qui craquaient sous ses pas. Comme tous les matins, elle se dépêchait pour arriver à l’heure au travail. Rien, absolument rien ne laissait penser que ce 20 novembre allait devenir le dernier jour de sa vie.
Quelques secondes plus tard, les détonations ont déchiré le silence du quartier. Laure, 32 ans, s’effondrait sur le bitume gelé. Son ex-compagnon venait de la tuer à bout portant avant de retourner l’arme contre lui. Un féminicide de plus, le énième, et pourtant chaque fois c’est la même sidération.
Un sentiment de danger qu’elle n’a jamais caché
Ce qui rend ce drame insupportable, c’est qu’il n’est pas tombé du ciel. Laure se sentait en danger depuis des mois. Elle l’avait dit à ses amies, à sa famille, à la police aussi. Plusieurs fois. Des mains courantes, des plaintes, des signalements. Tout ce qu’une femme est censée faire quand son ancien conjoint la harcèle et la menace.
« Elle nous répétait qu’elle avait peur de lui, qu’il la surveillait, qu’il connaissait ses horaires », raconte une amie proche, la voix encore brisée. Elle changeait parfois de trajet pour rentrer, regardait dans son rétroviseur, vérifiait que personne ne la suivait. Des gestes devenus routine, presque banals dans sa vie quotidienne.
« Je n’arrive toujours pas à y croire. J’ai l’impression que c’est un cauchemar dont on va se réveiller. »
Camille, une amie très proche
Des alertes répétées qui n’ont pas suffi
Dans les jours qui ont suivi le drame, on a beaucoup entendu parler des « signaux » qui auraient dû alerter plus tôt. Et ils étaient nombreux.
- Des messages insistants, parfois menaçants
- Des passages répétés devant son domicile
- Des appels à toute heure
- Des tentatives de la faire revenir « pour parler »
Tout le répertoire classique du conjoint toxique qui refuse la séparation. Laure avait fait ce qu’il fallait : elle avait porté plainte. Plus d’une fois même. Mais entre le dépôt de plainte et la réponse concrète, il y a parfois un gouffre.
Je me souviens d’une conversation avec une policière spécialisée il y a quelques années. Elle me disait, presque résignée : « On voit passer des dizaines de dossiers pareils chaque semaine. On fait ce qu’on peut, mais on manque cruellement de moyens pour suivre chaque situation à risque. » Cette phrase me revient souvent en tête ces jours-ci.
Le téléphone grave danger : une mesure qui arrive trop tard
Parmi les dispositifs existants, le téléphone grave danger (TGD) est souvent présenté comme la solution miracle. Un portable dédié qui permet d’appeler directement les forces de l’ordre en cas d’urgence. Sauf que l’attribution prend du temps. Beaucoup de temps.
Demandes à étudier, commissions à réunir, places limitées… Dans certains départements, des femmes attendent des mois avant de l’obtenir. Et pendant ce temps-là, le risque, lui, ne prend pas de pause.
Est-ce que Laure aurait pu en bénéficier plus tôt ? La question hante ses proches. Elle revient sans cesse dans les conversations, entre colère et impuissance.
L’ordonnance de protection, ce papier qui ne protège pas toujours
L’autre outil censé sauver des vies : l’ordonnance de protection. Un juge peut l’accorder en quelques jours quand le danger est avéré. Interdiction d’approcher la victime, obligation de soins, parfois bracelet électronique.
Mais là encore, dans les faits, c’est plus compliqué. Les magistrats manquent parfois d’éléments concrets pour mesurer la dangerosité réelle. Et quand l’ordonnance est prononcée, encore faut-il qu’elle soit respectée. Combien d’hommes interdits d’approcher ont quand même franchi la ligne ? Trop.
« Elle avait fait tout ce qu’on lui demandait de faire. Et ça n’a servi à rien. »
Une colère sourde qui monte chez les proches
Une semaine après, l’émotion est encore brute. Les larmes coulent, mais la colère gronde aussi. Contre l’ex, évidemment. Mais pas seulement.
Contre ce sentiment diffus que, quelque part, le système a failli. Que des vies continuent de basculer parce que les moyens ne suivent pas les discours. Chaque année, on nous promet des renforts, des formations, des protocoles renforcés. Et chaque année, on pleure une nouvelle Laure.
Dans le quartier des Près-de-Vaux, les voisins sont encore sous le choc. Certains ont entendu les coups de feu ce matin-là. D’autres ont vu le corps de la jeune femme recouvert d’un drap blanc. Des images qui ne s’effacent pas.
Et nous, dans tout ça ?
On peut se sentir démuni face à ces drames. Et pourtant, il y a des choses concrètes à faire. Écouter vraiment quand une amie dit qu’elle a peur. Ne pas minimiser. Encourager à porter plainte, oui, mais aussi accompagner, soutenir, relayer.
Parce que derrière chaque statistique – 118 féminicides en 2024 selon les derniers chiffres connus –, il y a une femme qui riait, qui rêvait, qui avait des projets. Laure aimait la montagne, les séries un peu ringardes, les apéros entre copines. Elle avait 32 ans et toute la vie devant elle.
Aujourd’hui, ses proches refusent qu’elle devienne juste un numéro. Ils veulent que son histoire serve, enfin, à faire bouger les choses. Pas dans un an. Pas après le prochain drame. Maintenant.
Si vous ou une personne de votre entourage est victime de violences conjugales, n’attendez pas. Appelez le 3919 (anonyme et gratuit) ou le 17 en cas d’urgence. Chaque signalement compte.
Parce que demain, ce pourrait être une autre Laure. Et on ne peut plus se permettre de regarder ailleurs.
