Vous êtes déjà passé devant un city-stade parisien un soir d’été et vous vous êtes dit : « Tiens, que des mecs » ? Moi aussi. Pendant des années, c’était presque une évidence. Le bitume appartenait aux garçons, les filles restaient sur le banc ou jouaient entre elles dans des gymnases loin des regards. Et puis, petit à petit, quelque chose a bougé. Un dribble plus assuré, un cri de victoire féminin qui claque, un cercle de joueuses qui refuse de céder le terrain. Aujourd’hui, on ne demande plus la permission. On prend la place.
Le réveil des playgrounds parisiens
Il y a encore cinq ou six ans, voir plus de deux filles sur un playground relevait du miracle. Aujourd’hui, certains soirs, les ratios s’inversent complètement. Ce n’est pas un hasard. C’est le fruit d’une mobilisation discrète mais obstinée : des collectifs qui organisent des sessions 100 % féminines, des créneaux réservés, des événements ouverts à toutes qui font parler d’eux sur les réseaux. Le message est clair : le city-stade n’est plus un territoire masculin par défaut.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est la diversité des profils. Il y a la lycéenne qui découvre le basket de rue, la trentenaire qui reprend après dix ans sans toucher un ballon, la joueuse de club qui vient chercher l’intensité du 3×3, et même la quinquagénaire qui shoote mieux que la moitié des gars présents. Toutes ont un point commun : elles refusent de se contenter des miettes.
Des collectifs qui changent la donne
Parmi les pionnières, il y a ces groupes qui se sont créés presque en même temps, comme si l’air du temps portait la même idée. Certaines ont commencé avec dix copines sur un terrain du 19e, d’autres ont lancé des sessions le dimanche matin pour éviter la foule masculine du samedi soir. Le principe est toujours le même : on réserve le terrain (mentalement ou réellement), on vient nombreuses, on joue, on fait du bruit, on reste.
« Le plus dur, ce n’est pas de jouer bien, c’est d’oser arriver seule sur un playground où tu ne connais personne et où tout le monde te regarde comme une intruse. Une fois qu’on est trente, plus personne n’ose nous dire de partir. »
– Une joueuse régulière du quai de Jemmapes
Et ça marche. Les habitués finissent par intégrer les filles dans leurs runs, les plus sympas proposent même des mixtes. Les autres… ben ils attendent leur tour, tout simplement.
Les chiffres qui ne mentent pas
Difficile d’avoir des statistiques officielles – la ville ne compte pas le genre des joueurs sur ses équipements libres d’accès – mais les retours de terrain sont éloquents. Sur certains playgrounds phares (Duperré, Jemmapes, place des Fêtes, Crémieux), la présence féminine est passée de quasi nulle à 30-40 % certains soirs. Et quand un événement féminin est organisé, c’est souvent 100 % de filles pendant plusieurs heures.
- Sessions régulières chaque semaine dans au moins 8 arrondissements
- Plus de 500 joueuses recensées dans les principaux groupes WhatsApp parisiens
- Des tournois 100 % féminins qui rassemblent jusqu’à 80 participantes
- Des partenariats avec des marques qui commencent à flairer le filon
C’est énorme quand on sait qu’il y a cinq ans, il n’y avait pratiquement rien.
Le rôle décisif des réseaux sociaux
Insta et TikTok ont tout accéléré. Une vidéo d’une fille qui plante un gros dunk à Duperré fait 200 000 vues en deux jours après. Une story « Qui vient jouer ce soir ? » rassemble trente réponses en dix minutes. Les comptes dédiés au basket féminin de rue explosent. Résultat : les nouvelles arrivantes savent exactement où et quand elles seront bien accueillies.
Et là, magie du numérique : une joueuse de Lyon voit une session parisienne, crée la même chose chez elle, et ainsi de suite. Le mouvement s’est propagé à Marseille, Lille, Bordeaux, Strasbourg… Paris a allumé la mèche, mais le feu prend partout.
Les freins qui subsistent (parce qu’on n’est pas au pays des bisounours)
Évidemment, tout n’est pas rose. Il y a encore des remarques sexistes (« T’es mignonne quand tu joues »), des mecs qui refusent de passer le ballon, des terrains où il faut se battre pour avoir ne serait-ce qu’un panier libre. Sans parler de l’éclairage parfois déficient le soir – un vrai sujet de sécurité pour les filles qui rentrent seules.
Mais le plus frustrant, c’est l’invisibilité persistante. Les médias sportifs parlent encore trop peu de ces initiatives. Comme si le basket de rue féminin de rue n’existait pas. Pourtant, il y a plus de filles qui jouent en extérieur à Paris aujourd’hui qu’il n’y en a jamais eu dans l’histoire de la ville. C’est historique, bordel.
Et la mairie dans tout ça ?
La Ville de Paris a compris qu’il se passait quelque chose. Des créneaux horaires réservés aux femmes commencent à apparaître sur certains équipements (salle et extérieur). Des subventions sont débloquées pour des événements féminins. Des terrains sont rénovés avec un vrai projet de mixité en tête. C’est encore timide, mais c’est un début.
Ce que demandent les principales concernées ? Pas la charité. Juste des terrains en bon état, un éclairage correct, et qu’on arrête de considérer que le sport en espace public est naturellement masculin.
Ce que ça dit de notre société
Au-delà du basket, c’est toute la question de l’occupation de l’espace public qui est posée. Les filles qui investissent les city-stades ne font pas que jouer au basket. Elles reprennent possession d’un espace dont elles ont été longtemps exclues par habitude, par peur, par injonctions. Chaque dribble est un acte politique.
Et le plus beau dans tout ça ? C’est contagieux. Quand une gamine de 12 ans voit trente femmes jouer ensemble sur son terrain de quartier, elle se dit que c’est normal. Que c’est possible. Et ça, ça change tout pour les générations futures.
« Dans dix ans, on se demandera pourquoi on a mis autant de temps à laisser les filles jouer où elles veulent, quand elles veulent. »
Je suis prêt à parier qu’elle a raison.
Alors la prochaine fois que vous passerez devant un city-stade parisien, regardez bien. Vous verrez peut-être une révolution en train de se jouer, un panier à la fois.
Et vous, vous avez déjà vu ce changement autour de chez vous ? Dites-moi tout en commentaire, j’ai envie de savoir jusqu’où ça va.
