Vous êtes-vous déjà promené dans un grand magasin en sachant que c’était pour la dernière fois ? Cette sensation bizarre, un mélange de nostalgie et d’opportunisme, où l’on cherche la bonne affaire tout en sentant que quelque chose d’important s’efface. C’est exactement ce que j’ai ressenti en poussant les portes des Galeries Lafayette à Rosny-sous-Bois, un samedi de décembre, juste avant la fermeture définitive.
Les lieux ont changé d’atmosphère en quelques semaines à peine. Là où d’habitude ça grouillait de monde, surtout à l’approche des fêtes, on n’entend plus que le bruit discret des pas et quelques murmures. Les grandes affiches orange criardes annoncent la couleur dès l’entrée : tout doit partir. Et pourtant, malgré les réductions alléchantes, les clients ne se bousculent pas.
La Fin d’un Symbole en Seine-Saint-Denis
Ce magasin représentait bien plus qu’un simple endroit pour acheter des vêtements. Pour beaucoup d’habitants du département, c’était le seul grand magasin de luxe accessible sans prendre le métro jusqu’à Paris. Une sorte de porte d’entrée vers un univers un peu plus chic, même si, comme certains le disent avec un sourire en coin, ce n’était pas vraiment pour toutes les bourses.
Installé dans le vaste centre commercial Westfield Rosny 2, il occupait une place centrale depuis des décennies. Des générations y ont fait leurs achats de Noël, leurs tenues de rentrée ou simplement flâné le samedi après-midi. Sa disparition, programmée pour le 23 décembre, laisse un vide que l’on ressent déjà physiquement dans les allées.
Une Liquidation qui ne fait pas recette
En théorie, une liquidation totale devrait attirer les foules. Des réductions de 30 %, 50 %, parfois plus… Pourtant, ce dernier week-end, l’ambiance était étrangement calme. Quelques familles, des habitués du quartier, des personnes âgées qui prenaient leur temps entre les rayons.
J’ai discuté avec une dame qui tenait dans ses mains un manteau en laine marqué -60 %. Elle hésitait encore. « Avant, je venais ici pour le plaisir de regarder, confiait-elle. Maintenant, ça fait presque mal de voir tout ça partir. » Ce genre de témoignage, on l’entend souvent dans ces moments-là. L’attrait des prix bas se heurte à une forme de tristesse collective.
« Ce magasin, c’était un peu notre Haussmann à nous. Pas aussi grandiose, mais on s’y sentait bien. »
– Une cliente fidèle, la soixantaine
Cette phrase résume assez bien le sentiment général. Le grand magasin parisien du boulevard Haussmann reste une référence incontournable, mais en banlieue, les versions locales avaient leur propre charme. Moins bling-bling, plus accessibles, elles permettaient à beaucoup de toucher du doigt un certain art de vivre à la française.
Pourquoi cette fermeture maintenant ?
La question revient sans cesse chez les clients et les employés. Bien sûr, il y a les raisons officielles : évolution du commerce, concurrence accrue, changements dans les habitudes de consommation. Mais quand on gratte un peu, on sent que c’est plus profond que ça.
Le commerce de détail traverse une crise depuis plusieurs années. Entre la montée en puissance des achats en ligne, l’arrivée de géants du fast-fashion ultra-compétitifs et la pression sur les centres commerciaux de périphérie, les grands magasins traditionnels souffrent. Celui de Rosny n’est pas le premier à baisser le rideau, et malheureusement, il ne sera pas le dernier.
- Explosion des ventes en ligne, surtout depuis la pandémie
- Concurrence des enseignes low-cost très agressives sur les prix
- Baisse de fréquentation dans certains centres commerciaux de banlieue
- Coûts d’exploitation élevés pour des surfaces aussi grandes
Ces facteurs se combinent et rendent la survie difficile pour un modèle qui repose sur l’expérience en magasin, le conseil client, la qualité des produits. Quand les marges se compriment et que le trafic diminue, la décision devient inévitable.
L’impact sur le centre commercial et le quartier
Westfield Rosny 2 reste l’un des plus grands centres commerciaux d’Île-de-France. Sa fréquentation globale reste correcte, portée par les enseignes plus populaires et les loisirs. Mais perdre un locomotive comme ce grand magasin change forcément la donne.
Les clients que j’ai croisés s’inquiètent pour l’avenir du centre. « Si même eux partent, qu’est-ce qui va arriver ensuite ? » demande un père de famille en poussant un caddie presque vide. La peur du déclin, de la désertification commerciale, plane sur ces lieux qui structurent la vie locale depuis si longtemps.
Et puis il y a les emplois. Des dizaines de personnes travaillaient ici, certaines depuis des années. Leur reclassement n’est pas toujours garanti, même si des efforts sont faits. C’est un aspect humain qu’on oublie parfois derrière les annonces corporate.
Un positionnement trop haut de gamme pour la clientèle locale ?
C’est peut-être l’aspect le plus intéressant de cette histoire. Plusieurs clients m’ont glissé que le magasin s’était progressivement éloigné de sa clientèle historique. Les collections devenaient plus mode, plus pointues, mais aussi plus chères.
« Avant, on trouvait des basiques sympas à prix raisonnables. Maintenant, c’est devenu trop cher pour ce qu’on gagne ici. »
– Un habitant du quartier
En Seine-Saint-Denis, le pouvoir d’achat moyen n’est pas le même qu’à Paris intra-muros ou dans les quartiers ouest. Le positionnement luxe accessible fonctionne bien boulevard Haussmann, mais en périphérie, il peut créer une distance avec les habitants. D’un côté l’image prestigieuse, de l’autre la réalité économique locale.
Cette déconnexion progressive a sans doute joué un rôle. Quand les clientes fidèles se tournent vers d’autres enseignes plus abordables au sein du même centre, le modèle vacille.
Les dernières bonnes affaires : que reste-t-il vraiment ?
En arpentant les rayons, on voit que la marchandise a déjà beaucoup diminué. Les portants sont espacés, certains espaces totalement vides. Le rayon homme semble particulièrement touché, tout comme la lingerie de marque.
Pourtant, il reste des pépites pour qui sait chercher. Des pulls en cachemire à prix cassés, des chaussures de belle facture, quelques accessoires qui font envie. Les clientes les plus avisées remplissent leur panier méthodiquement, presque avec une pointe de culpabilité.
- Commencer par le rayon femme : encore le plus fourni
- Regarder les corners de marques partenaires : souvent les meilleures réductions
- N’hésiter pas à demander aux vendeuses : elles connaissent les arrivages
- Vérifier les cabines : parfois des articles oubliés à prix imbattables
Même en liquidation, le service reste professionnel. Les employés, malgré l’incertitude sur leur avenir, gardent le sourire et conseillent avec patience. C’est touchant de voir cette dignité jusqu’au bout.
Que va devenir l’espace libéré ?
C’est la grande question que tout le monde se pose. Plusieurs milliers de mètres carrés en plein cœur du centre commercial. Les rumeurs vont bon train : nouvelle enseigne populaire ? Concept mixte avec loisirs ? Espace événementiel ?
La direction du centre reste discrète pour l’instant. Mais une chose est sûre : l’emplacement est stratégique. Il attirera forcément un nouvel occupant majeur. Reste à savoir si ce sera quelque chose qui correspondra mieux aux attentes des habitants.
Certains rêvent d’un grand espace culturel, d’autres d’un food court élargi, d’autres encore d’une enseigne plus grand public. L’avenir nous le dira, mais cette transformation marquera forcément un tournant pour Rosny 2.
Une évolution inéluctable du commerce ?
En observant cette fermeture, on ne peut s’empêcher de réfléchir à plus grande échelle. Le commerce physique est-il condamné à disparaître au profit du tout numérique ? Bien sûr que non. Mais il doit se réinventer constamment.
Les centres commerciaux qui réussissent aujourd’hui misent sur l’expérience : restaurants variés, animations, loisirs, services. Le shopping pur et dur n’est plus suffisant. Les grands magasins traditionnels, avec leur modèle historique, peinent à suivre cette mutation rapide.
D’après mon expérience, les lieux qui survivent sont ceux qui créent du lien social, qui deviennent des destinations à part entière. Un simple magasin, même prestigieux, ne suffit plus. Il faut une raison supplémentaire de venir, de passer du temps, de vivre quelque chose.
Le mot de la fin, ou presque
En quittant le magasin ce samedi-là, j’ai jeté un dernier regard aux grandes vitrines. L’enseigne lumineuse avait déjà disparu, remplacée par ces affiches orange un peu criardes. Dans quelques jours, tout sera fini.
Cette fermeture n’est pas qu’une anecdote locale. Elle raconte une histoire plus large sur nos habitudes, notre rapport à la consommation, à la proximité. Et peut-être aussi sur la difficulté de maintenir un certain niveau d’élégance dans des territoires où le quotidien est parfois plus rude.
Les derniers clients repartent avec leurs sacs, un peu de nostalgie et quelques bonnes affaires. Le magasin, lui, s’efface doucement. Mais qui sait, peut-être que dans quelques années, on regrettera cette parenthèse chic en Seine-Saint-Denis. L’histoire du commerce est pleine de ces cycles : disparitions, réinventions, retours sous d’autres formes.
En attendant, si vous passez par Rosny avant le 23 décembre, poussez la porte une dernière fois. Juste pour voir. Juste pour se souvenir.
