Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez marché dans les rues de Lyon un 8 décembre ? Ces milliers de petites flammes posées sur les rebords de fenêtres, cette odeur de vin chaud, ce sentiment presque enfantin que la ville entière se transforme en conte de fées lumineux. Moi oui. Et c’est précisément pour ça que l’annonce d’une installation financée par une plateforme de streaming à plus de 150 000 euros me fait hausser le sourcil.
Cette année, du 5 au 8 décembre 2025, la Fête des Lumières propose quelque chose d’inédit – ou plutôt, quelque chose qui divise déjà. Une œuvre baptisée Stranger Lights, hommage assumé à une série culte des années 2010-2020, s’installera place Sathonay. Et derrière les ampoules, on trouve un géant du streaming qui a sorti le chéquier.
Quand la tradition lyonnaise rencontre le marketing mondialisé
Il y a des moments où l’on sent que quelque chose bascule. Pas forcément dans le bruit et la fureur, mais dans un détail qui révèle une tendance plus large. L’arrivée de cette installation lumineuse thématisée série télé en est un, à mon sens.
Reprenons depuis le début. La Fête des Lumières, ce n’est pas juste un joli spectacle. C’est une histoire de foi, de peur et de gratitude. En 1852, les Lyonnais remercient la Vierge d’avoir épargné la ville du choléra en illuminant leurs fenêtres. Depuis, chaque 8 décembre, la tradition perdure – même quand elle s’est transformée en événement artistique contemporain.
Aujourd’hui, l’événement attire plus de deux millions de visiteurs. Un succès phénoménal qui coûte cher. Très cher. Et c’est là que le bât blesse.
Un budget en baisse, des œuvres en moins
Cette année, le budget total frôle les 3,4 millions d’euros – soit 400 000 euros de moins qu’en 2024. Conséquence directe : seulement 23 installations au lieu de 32 l’an passé, et vingt lieux activés au lieu de trente. Même la place Bellecour, cœur battant historique de la fête, reste dans l’ombre cette année.
Dans ce contexte d’austérité, l’arrivée d’un partenaire privé qui injecte 152 000 euros pour une seule œuvre fait figure de bouffée d’oxygène. Sauf que ce partenaire n’est pas une fondation philanthropique anonyme. C’est une plateforme qui a tout intérêt à faire parler d’elle au moment où elle diffuse la saison finale de sa série phare.
« L’espace public ne doit pas devenir un espace publicitaire. Sinon, il faudrait facturer très cher ce type d’opération. »
Une voix de l’opposition lyonnaise
Mécénat ou placement de produit géant ?
La mairie parle de mécénat culturel. Le mot est joli. Il évoque des entreprises qui soutiennent l’art par pure générosité. Mais quand l’œuvre reproduit fidèlement l’univers d’une série, avec ses codes visuels reconnaissables entre mille, et que cette série bat son plein au même moment… on peut légitimement parler de sponsoring déguisé.
L’artiste choisi n’est pas un inconnu : Stéphane Durand est un habitué de la Fête des Lumières. Son installation est décrite comme « un portail entre les mondes » où les visiteurs revivront les scènes cultes. Le problème ? Le nom de la plateforme n’apparaîtra même pas sur l’œuvre. Tout le monde comprendra quand même. C’est ça, la vraie force du marketing moderne.
- 152 000 € investis pour une seule installation
- Aucun logo visible, mais un univers immédiatement identifiable
- Diffusion de la saison finale au même moment
- Visiteurs transformés en ambassadeurs involontaires sur les réseaux sociaux
Le calcul est presque trop parfait.
Ce n’est pas vraiment la première fois
Il faut être honnête : la Fête des Lumières a déjà accueilli des partenariats privés. En 2017, une projection interactive inspirée d’un célèbre jeu vidéo des années 80 avait été financée par son éditeur japonais – qui possède justement son siège européen à Lyon. À l’époque, peu de voix s’étaient élevées.
Alors pourquoi tant de bruit aujourd’hui ?
Le contexte a changé. D’abord, la série en question est un phénomène mondial, pas un jeu de niche. Ensuite, la réduction drastique du nombre d’œuvres cette année rend le poids de cette installation unique encore plus visible. Et surtout, les Lyonnais sont particulièrement chatouilleux quand on touche à leur fête. C’est un peu comme si on mettait un sponsor sur la basilique de Fourvière.
L’art contemporain a toujours flirté avec la marque
Remettons les choses en perspective. L’art et l’argent ont toujours fait bon ménage – ou du moins, ont toujours cohabité. Des Médicis à nos jours, les grands mécènes ont souvent voulu voir leur nom associé à la beauté.
La différence, c’est la discrétion. Quand une marque de luxe finance une exposition, elle le fait généralement avec élégance. Ici, on a l’impression que l’œuvre entière est la publicité. Pas de distance, pas de second degré apparent. Juste l’univers d’une série reproduit en grand format dans l’espace public.
L’aspect le plus intéressant, c’est peut-être que personne ne s’offusque quand une marque de voiture finance une installation abstraite. Mais dès qu’il s’agit de culture populaire, on crie au scandale.
Il y a sans doute une forme d’élitisme culturel là-dedans. La culture populaire serait moins digne que l’art conceptuel ? C’est une question qu’on pourrait se poser longtemps.
Et les visiteurs dans tout ça ?
Le plus drôle – ou le plus triste, selon le point de vue – c’est que le public s’en moque probablement. Deux millions de personnes viendront admirer les lumières, prendre des photos, partager sur les réseaux. Beaucoup reconnaîtront l’univers de la série et trouveront ça génial. D’autres passeront sans même faire le lien.
À la fin, c’est peut-être ça le vrai sujet : est-ce qu’une tradition peut survivre quand elle devient un événement touristique mondial ? Quand elle doit faire des compromis pour exister ? Quand les subventions publiques baissent et que le privé prend le relais ?
La Fête des Lumières n’est plus seulement lyonnaise. Elle appartient au monde. Et le monde, lui, fonctionne avec l’argent des grandes plateformes.
Un avenir déjà écrit ?
Si cette opération fonctionne – et elle fonctionnera, parce que les photos seront magnifiques et que les réseaux sociaux feront le reste –, d’autres suivront. Pourquoi pas une installation inspirée d’un jeu vidéo l’an prochain ? Ou d’une autre série à succès ? Les possibilités sont infinies.
La question n’est plus de savoir si c’est bien ou mal. Elle est de savoir jusqu’où on accepte d’aller. Où trace-t-on la ligne entre mécénat et publicité ? Entre culture et divertissement ? Entre tradition et modernité ?
Personnellement, j’irai voir l’installation. Parce que je suis curieux. Parce que les lumières, même sponsorisées, restent des lumières. Et parce que, quelque part, cette polémique dit surtout à quel point les Lyonnais tiennent à leur fête – même quand ils râlent.
La Fête des Lumières 2025 ne sera pas la plus belle de l’histoire. Peut-être pas la plus pure non plus. Mais elle sera sûrement celle dont on se souviendra comme le moment où la tradition a dû choisir entre disparaître doucement ou se réinventer. Même maladroitement.
Et vous, vous en pensez quoi ? Dites-le-moi en commentaire. Parce que finalement, c’est aussi ça la magie de cette fête : elle nous fait encore débattre, vibrer, espérer. Même quand une plateforme de streaming tente de s’inviter à la table.
