Imaginez un peu la scène : un homme de 45 ans, costume impeccable même en détention, regarde le juge droit dans les yeux et lâche calmement : « Quelle infraction ai-je commise ? » Derrière cette question presque théâtrale se cache l’une des figures les plus inquiétantes de la criminalité organisée balkanique. Filip Korać n’est pas un voyou de quartier. Dans certains pays d’Europe de l’Est, prononcer son nom fait encore baisser la voix. Et pourtant, en France, il était totalement inconnu du grand public… jusqu’à ce qu’il pose le pied sur le sol français il y a deux ans.
Je vais vous raconter son histoire, pas comme un simple fait divers, mais comme on raconte parfois ces sagas sombres venues des Balkans, où la réalité dépasse souvent la fiction. Car oui, il y a quelque chose de fascinant et de terrifiant à la fois dans ces guerres de clans qui ensanglantent encore la région vingt ans après la fin des conflits yougoslaves.
Un nom qui fait trembler les Balkans
Dans les rues de Belgrade, Podgorica ou Sarajevo, tout le monde connaît le « clan Korać ». Et quand je dis tout le monde, c’est presque littéralement vrai. Des chauffeurs de taxi aux hauts fonctionnaires, chacun sait qu’il vaut mieux ne pas parler trop fort quand ce nom est prononcé. Pourquoi ? Parce que derrière ce patronyme se cache une organisation accusée d’à peu près tous les crimes qui rapportent gros : narcotrafic à l’échelle industrielle, trafic d’armes, assassinats sur commande, extorsion, blanchiment… La totale, quoi.
Ce qui frappe d’abord, c’est l’absence totale de condamnation. L’homme est propre sur le papier. Aucun casier judiciaire, ni en Serbie, ni ailleurs. Et pourtant, les autorités le placent tout en haut de leur liste des individus les plus dangereux. Un peu comme si Pablo Escobar n’avait jamais été inquiété avant Medellín. Sauf qu’ici, on est en Europe, en 2025, et que les méthodes ont évolué.
La guerre des clans : un bain de sang sans fin
Pour comprendre qui est vraiment Filip Korać, il faut remonter à cette période chaotique qu’ont vécu les Balkans après les années 2000. Les empires criminels nés pendant les guerres yougoslaves ne se sont pas éteints avec la paix. Ils se sont professionnalisés. Le clan Zemun, le clan Škaljari, le clan Kavac… Des noms qui évoquent des règlements de comptes dignes des meilleurs thrillers.
Et dans cette guerre sans merci, Korać serait l’un des derniers grands parrains encore debout. Des dizaines de morts en quelques années. Des exécutions en pleine rue, des corps retrouvés dans des valises, parfois découpés. Des méthodes qui rappellent les pires heures de la mafia italienne des années 80, mais avec une sauvagerie balkanique en plus.
« Quand deux clans se font la guerre au Monténégro ou en Serbie, c’est toute l’Europe qui tremble, parce que ce sont eux qui contrôlent une partie du trafic de cocaïne vers le Vieux Continent. »
– Un enquêteur européen spécialisé
Pourquoi la France ? Les intérêts financiers d’un parrain
Maintenant, vous vous demandez sûrement ce qu’un chef de clan serbe vient faire dans l’Hexagone. La réponse est à la fois simple et terrifiante : l’argent. Beaucoup d’argent. Des investissements dans l’immobilier de luxe, des sociétés écrans, des comptes offshore… La France, avec son marché immobilier attractif et ses failles parfois dans le contrôle du blanchiment, est devenue une destination prisée pour recycler les fortunes du crime organisé.
Et Korać, selon les investigations, aurait placé des dizaines de millions d’euros en France. Des appartements à Paris, des villas sur la Côte d’Azur, des parts dans des entreprises… Tout cela bien sûr sous des prête-noms. Le genre de montage qui prend des années à démêler. Et pendant ce temps, l’argent continue de couler.
- Immobilier haut de gamme dans plusieurs grandes villes
- Sociétés dans le BTP et la restauration
- Placements via des paradis fiscaux
- Réseaux de blanchiment via des restaurants et bars
Ce n’est pas un hasard si les enquêteurs français ont fini par mettre la main dessus. Il ne venait pas juste en touriste. Il venait gérer ses affaires.
Vendin-le-Vieil : la prison des « intouchables »
Depuis l’été dernier, Filip Korać fait partie d’un club très fermé : le quartier de lutte contre la criminalité organisée (QLCO) de la prison de Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais. Ceux qui connaissent un peu le milieu carcéral français savent que ce n’est pas n’importe quelle prison. On y place les détenus considérés comme les plus dangereux ou les plus influents. Isolation quasi totale, surveillance renforcée, contacts limités… Un endroit où même les plus puissants se retrouvent réduits à néant.
Et pourtant, même là, il continue de se battre. Jeudi 27 novembre, il comparaissait devant le juge des libertés et de la détention pour demander sa remise en liberté. Sa ligne de défense ? « Je n’ai rien fait. Prouvez-le. » Une stratégie classique quand on a les moyens de payer les meilleurs avocats.
Un dossier judiciaire qui donne le vertige
Mais quand on ouvre le dossier, c’est autre chose. Des écoutes téléphoniques, des témoignages de repentis, des mouvements financiers suspects, des liens avec des assassinats… Tout y est. Et surtout, cette affaire macabre qui a marqué les esprits : un corps retrouvé découpé, lié à la guerre entre son clan et un autre groupe rival. Même si rien ne le désigne directement, les enquêteurs sont persuadés qu’il était dans la boucle.
Ce qui est fou, c’est que malgré tout ça, il continue de nier. Et il n’est pas seul. Toute une partie de la communauté serbe en France le présente comme une victime d’acharnement politique. Parce qu’en Serbie même, il est parfois vu comme un « businessman » plutôt qu’un criminel. Une vision qui fait bondir les policiers européens.
« Ces gens-là ont réussi à faire croire à une partie de la population qu’ils sont des Robin des Bois modernes. C’est terrifiant. »
Et maintenant ? Une bataille judiciaire sans fin
La justice française a refusé sa remise en liberté. Et ce n’est probablement que le début. Entre la procédure en cours à Paris et les demandes d’extradition qui fusent de plusieurs pays, Filip Korać n’est pas près de revoir la lumière du jour. À moins d’un incroyable rebondissement, bien sûr. Car dans ce genre d’affaires, rien n’est jamais totalement prévisible.
Ce qui est sûr, c’est que cette histoire nous rappelle une chose essentielle : la grande criminalité n’a pas de frontières. Elle s’adapte, se mondialise, et trouve toujours de nouveaux terrains de jeu. La France, avec son attractivité économique, en fait partie. Et tant que l’argent sale coulera, des hommes comme Korać continueront d’exister.
Moi, ce qui me glace le plus dans tout ça, c’est cette capacité à rester propre sur le papier tout en étant accusé des pires choses. C’est le propre des parrains modernes : ils ne salissent plus leurs mains directement. Ils délèguent. Ils structurent. Ils deviennent des PDG du crime. Et c’est peut-être ça, le plus effrayant.
En attendant, quelque part dans le nord de la France, un homme aux yeux noirs attend son prochain round judiciaire. Et quelque part dans les Balkans, la guerre des clans continue. Parce que tant qu’il y aura de la cocaïne à faire rentrer en Europe, il y aura des hommes prêts à tout pour contrôler le marché.
Et nous, on regarde ça de loin. Jusqu’au jour où ça nous touche directement.
