Quand j’étais au collège, personne ne m’avait jamais dit que je pouvais devenir ingénieure. À vrai dire, on ne m’avait même jamais montré une femme qui faisait des maths autrement que comme prof. Et pourtant, trente ans plus tard, les choses bougent enfin, même dans les coins les plus reculés de France.
Imaginez une classe de quatrième, quelque part dans l’Aube, où une gamine lève la main et lâche : « Moi j’ai toujours cru que les garçons étaient plus forts en maths ». Silence. Et puis, quelques semaines plus tard, la même gamine passe ses récrés à coder un escape game en cryptologie avec ses copines. C’est exactement ce qui se passe dans un collège de Bar-sur-Aube, et franchement, ça redonne foi en l’éducation.
Un collège qui refuse de laisser les stéréotypes gagner
Dans cet établissement rural, on a décidé que la mixité dans les filières scientifiques, ce n’était pas une option : c’était une priorité. Et quand je dis priorité, ce n’est pas juste un affichage sur un mur. C’est du concret, du quotidien, des heures dédiées, des intervenantes qui viennent parler de leur parcours et, surtout, des résultats qui commencent à se voir.
La journée qui a tout changé
Un lundi de décembre, une jeune docteure tout juste diplômée débarque dans l’amphi du collège. Elle a 28 ans, un doctorat en cryptologie qui fait tourner la tête rien qu’à lire le titre, et surtout une envie folle de raconter son histoire à des adolescentes qui pourraient être sa petite sœur.
Elle commence par Jules César et ses messages codés, passe par WhatsApp et la sécurité de nos conversations, et termine par son propre parcours : bac S, université, thèse, promotions où elle était parfois la seule fille. Le tout avec des mots simples, des blagues, des exemples qui parlent aux jeunes. Résultat ? Les collégiennes boivent ses paroles. Certaines découvrent qu’on peut faire des maths… et que c’est cool.
« Quand j’avais leur âge, je n’ai pas eu la chance d’avoir quelqu’un qui vienne nous dire que c’était possible. »
Une jeune docteure en cryptologie venue témoigner
Des chiffres qui font mal… mais qui motivent
Avant de lancer la journée, l’inspecteur académique a balancé les stats, et elles sont brutales :
- Seulement 42 % des filles choisissent la spécialité mathématiques en terminale
- À peine 25 % des étudiants en écoles d’ingénieurs ou filières numériques sont des femmes
- Cette proportion stagne depuis vingt ans
Et le pire ? À l’entrée en CP, filles et garçons aiment autant les maths. L’écart se creuse dès le premier trimestre. Autrement dit, ce n’est pas une question de capacité. C’est une question de regard des adultes, de jouets roses et bleus, de remarques qu’on croit anodines.
Quand on sait que le numérique et l’ingénierie vont être les métiers les plus porteurs des prochaines décennies, laisser la moitié de la population sur le banc de touche, c’est tout simplement se tirer une balle dans le pied économiquement.
La cryptologie comme porte d’entrée
Dans ce collège, ils ont eu une idée de génie : proposer une heure hebdomadaire de sensibilisation à la cryptologie à une classe de quatrième. Oui, vous avez bien lu. Des quatrièmes qui apprennent à chiffrer des messages, à comprendre les bases de la cybersécurité, à coder.
À la fin de l’année, elles devront créer un escape game entier basé sur ces notions. Autant vous dire que la motivation est au plafond.
« C’est motivant et intéressant. On a même eu quelqu’un qui est venu nous expliquer la cryptologie dans la finance. »
Mélissa, élève de quatrième
Et le plus beau, c’est que ça marche. Des filles qui se découvrent une passion, qui osent dire « moi aussi je peux », qui voient enfin des modèles féminins dans des domaines où on leur avait toujours dit que c’était « pour les garçons ».
Former aussi les profs : la clé oubliée
Ce qui m’a le plus impressionné, c’est qu’ils n’ont pas seulement agi sur les élèves. Ils ont aussi formé les enseignants. Parce que oui, même avec les meilleures intentions du monde, on peut avoir des réflexes sexistes sans s’en rendre compte.
Un prof qui félicite un garçon en disant « bravo, t’as l’esprit logique » et une fille en disant « bravo, t’as bien travaillé », c’est une micro-différence qui, répétée des milliers de fois, finit par construire des plafonds de verre.
L’académie a donc mis en place des formations spécifiques pour déconstruire ces biais. Et ça, c’est énorme.
Des figures historiques pour inspirer l’avenir
Pendant la journée, on a aussi parlé des femmes qui ont marqué l’histoire des sciences, souvent oubliées des manuels :
- Ada Lovelace, première programmeuse de l’histoire au XIXe siècle
- Margaret Hamilton, dont le code a permis à Apollo 11 d’alunir
- Et tant d’autres qui ont dû se battre deux fois plus pour exister
Montrer à ces collégiennes que des femmes ont déjà changé le monde avec des équations et des lignes de code, c’est leur dire : vous avez votre place. Point final.
Et demain ? Des classes dédiées dans tout le pays
Le mouvement ne s’arrête pas là. Dès la prochaine rentrée, chaque département devra proposer au moins une classe à horaires aménagés maths/sciences en quatrième-troisième, avec un vrai focus sur la mixité.
Le collège de Bar-sur-Aube fait partie des pionniers qui ont déposé leur candidature. Avec tout ce qu’ils ont déjà mis en place, ils ont clairement une longueur d’avance.
Et si c’était le début d’une vraie révolution tranquille ? Celle où on arrête de perdre la moitié des talents parce qu’on leur a dit trop tôt que « ce n’était pas pour elles » ?
Ce que ça nous dit de notre société
Au-delà de l’anecdote touchante, il y a une question de fond. Pourquoi, en 2025, faut-il encore organiser des journées spéciales pour que des filles osent s’intéresser aux sciences ? Pourquoi les stéréotypes ont la peau aussi dure ?
J’ai discuté avec des parents, des profs, des élèves. Et ce qui ressort, c’est que le problème n’est pas que les filles « n’aiment pas » les maths. C’est qu’on leur a appris, parfois dès la maternelle, que ce n’était pas leur place.
Alors oui, des initiatives comme celle-ci sont une goutte d’eau. Mais quand on voit les yeux qui pétillent de ces collégiennes, on se dit que c’est peut-être le début d’un raz-de-marée.
Parce qu’une société qui laisse la moitié de ses cerveaux sur le banc de touche n’est pas une société qui va loin. Et franchement, on a les moyens de faire mieux. On a même déjà commencé.
Quelque part dans l’Aube, des gamines sont en train de coder leur avenir. Et ça, ça vaut tous les discours du monde.
