Vous êtes-vous déjà demandé ce qui se passe quand un adulte devient, presque sans s’en rendre compte, une figure incontournable dans la vie d’un enfant ? Pas un parent, pas un professeur, mais cet animateur qui sait calmer les bagarres avec un sourire, organiser un jeu en deux minutes et écouter les petits drames du jour. À Domont, dans le Val-d’Oise, c’est exactement ce qui arrive en ce moment. Et ça fait mal.
Un homme de 54 ans, trois ans de bons et loyaux services dans les écoles de la commune, se retrouve soudain sans poste à la fin du mois. Les enfants pleurent, les parents s’indignent, des pétitions circulent. Et la mairie, elle, parle chiffres et organisation. Une histoire banale ? Peut-être. Mais quand on gratte un peu, elle dit énormément de choses sur la façon dont on traite ceux qui s’occupent de nos gosses au quotidien.
Un animateur devenu « pilier » de l’école
Imaginez la scène. Vous rentrez de l’école avec votre enfant et il vous tend, les yeux rougis, un petit mot écrit au feutre : « Lhoucine tu vas nous manquer ». Puis un deuxième. Puis dix. C’est ce qui arrive en ce moment à des dizaines de familles de l’école élémentaire Jean-Moulin.
L’homme en question a 54 ans. Ancien conseiller client dans l’automobile pendant vingt ans, il a tout plaqué pour passer son BAFA et devenir animateur périscolaire. Pourquoi ? Parce qu’il avait envie de sens, tout simplement. Arrivé en 2022 dans la commune, il passe rapidement d’une école à l’autre avant d’atterrir à Jean-Moulin. Très vite, on lui reconnaît un relationnel exceptionnel et une capacité à gérer les groupes avec calme et bonne humeur.
« C’est celui qui gère, celui qui ramène de la joie quand tout part en vrille »
Le directeur de l’école, dans un courrier à la mairie
Des mots qui pèsent, quand on sait que les directeurs d’école ne se mouillent pas facilement. Même les collègues lancent une pétition en ligne. Les enfants, eux, écrivent des lettres. Il y en a une pile impressionnante sur la table du salon de l’animateur. Des cœurs, des « on t’aime », des soleils maladroits. Ça serre le cœur.
Un temps partiel pour s’occuper de son épouse malade
Mais alors, pourquoi cette fin de contrat ? L’histoire prend une tournure plus personnelle.
Depuis plusieurs années, l’animateur est reconnu aidant familial. Son épouse souffre d’une polyarthrite rhumatoïde sévère qui la rend invalide à 80 %. Il est celui qui l’aide à se lever, à s’habiller, à préparer les repas. Une présence indispensable. Avec le temps, l’état de santé de sa femme s’est aggravé. Continuer à travailler à temps plein, avec les allers-retours entre Domont et son domicile à Maffliers, devenait trop lourd.
En mars dernier, il demande donc un passage à 80 % – autrement dit un temps partiel. Pas de révolution : juste ne plus travailler le mercredi ni pendant certaines vacances scolaires. Une organisation qui lui permettrait de continuer à être là pour son épouse tout en gardant son poste qu’il adore.
La mairie refuse. Selon elle, ces exigences sont « incompatibles avec l’organisation des centres ». Traduction : si un animateur n’est pas là le mercredi et pendant les vacances, cela déséquilibre toute l’équipe. Et surtout, il y a « une réalité budgétaire ». Le secteur périscolaire serait un « vrai casse-tête » financièrement.
Le paradoxe qui fait grincer des dents
Le plus rageant dans l’histoire ? Quelques jours après l’annonce de la fin de contrat, la commune publie une annonce pour recruter… un animateur périscolaire. À temps plein, évidemment.
Les parents, eux, n’en reviennent pas.
Ils cherchent des animateurs partout, et ils se séparent de quelqu’un qui connaît parfaitement les enfants, qui n’a jamais posé problème…
L’épouse de l’animateur
Et franchement, on les comprend. Dans un contexte où les communes peinent à recruter du personnel qualifié pour l’enfance, virer un élément expérimenté et apprécié pour refus de temps partiel, ça laisse perplexe.
Un problème bien plus large qu’une simple histoire locale
Ce qui se passe à Domont n’est pas isolé. Partout en France, les animateurs périscolaires sont souvent en contrats précaires – CDD, vacations, temps non complets. Et quand ils demandent un aménagement pour raisons familiales ou de santé, la réponse est rarement souple.
Pourtant, la loi existe. L’article L. 3131-1 du Code du travail prévoit que le salarié aidant familial peut demander un temps partiel ou un télétravail. Mais dans la fonction publique territoriale, tout dépend… du bon vouloir de l’employeur. Et surtout du budget.
- Manque chronique d’animateurs qualifiés dans de nombreuses communes
- Turn-over important à cause des faibles salaires et des conditions difficiles
- Difficulté à accorder des temps partiels sans désorganiser les services
- Pression budgétaire constante sur les collectivités
Le résultat ? Des situations humainement compliquées, où l’on doit choisir entre son travail qu’on aime et sa vie personnelle qui vacille.
Et les enfants dans tout ça ?
Parce que oui, il y a aussi eux. Ces petits qui, à 6 ou 8 ans, perdent leur repère. Celui qui savait leur prénom dès le premier jour, qui organisait les meilleurs jeux, qui écoutait quand ça n’allait pas.
On sous-estime souvent l’impact des animateurs sur le bien-être des enfants. Pourtant, dans une journée d’école, ils représentent parfois plus d’heures passées avec l’enfant que les professeurs eux-mêmes – cantine, étude, garderie, activités. Ils sont une continuité éducative essentielle.
Là, certains pleurent en apprenant la nouvelle. D’autres demandent à leurs parents si « Lhoucine va revenir l’année prochaine ». C’est pas juste des larmes de crocodile. C’est la preuve qu’un lien fort s’est créé.
Une décision irréversible ?
Pour l’instant, la mairie semble camper sur ses positions. Le contrat s’arrête au 31 décembre 2025. Point final.
Mais les parents ne lâchent pas l’affaire. Une pétition manuscrite circule dans la cour de récré, une autre en ligne récolte des signatures. Certains parlent même d’interpeller le conseil municipal.
Et l’animateur, lui ? Il cherche déjà ailleurs. Avec le sentiment d’un énorme gâchis. « J’ai tout donné pour ce métier, confie-t-il. Voir les enfants grandir, les accompagner, c’était ma fierté. »
On ne sait pas encore comment cette histoire va se terminer. Peut-être que la pression des familles fera bouger les choses. Peut-être pas. Mais une chose est sûre : elle met en lumière un sujet dont on parle trop peu – la reconnaissance et la protection de ceux qui, discrètement, font tourner la machine de l’enfance.
Parce qu’au final, derrière les tableaux Excel et les « réalités budgétaires », il y a des visages. Des enfants qui souviendront longtemps de leur animateur préféré. Et un homme de 54 ans qui se demande pourquoi on ne peut pas simplement trouver une solution humaine.
Et vous, qu’en pensez-vous ? A-t-on le droit de sacrifier des liens humains aussi forts au nom de l’organisation ou du budget ? Dans vos écoles, avez-vous déjà vu des situations similaires ? Les commentaires sont ouverts.
