Imaginez la scène : il est 19 heures, la nuit tombe sur Paris, et soudain plus de quatre-vingt-dix personnes en tenue sombre envahissent les couloirs d’un bâtiment historique du XIVe arrondissement. Pas de braquage, pas de prise d’otages. Juste une opération coup de poing dans l’un des endroits les plus surveillés de France. J’ai eu la chance – ou le privilège, c’est selon – d’être au cœur de cette « fouille XXL » dans la célèbre prison de la Santé. Et franchement, ce que j’y ai vu dépasse parfois l’imagination.
Quand l’État décide de tout retourner
Ces derniers mois, le sujet des téléphones portables en détention est devenu une véritable obsession politique. Les chiffres circulent, parfois gonflés, parfois minimisés, mais une chose est sûre : les détenus communiquent. Beaucoup. Trop, selon les autorités. D’où cette vague nationale d’opérations baptisées « fouilles XXL », lancées tambour battant pour reprendre la main sur ce qui se passe derrière les murs.
À la Santé, l’une des prisons les plus emblématiques du pays, l’exercice a eu lieu un jeudi soir de décembre. Pourquoi le soir ? Tout simplement parce que c’est le moment où la plupart des détenus sont dans leur cellule. Effet de surprise maximal. Quand les clés tournent dans les serrures à 19 h 30 précises, plus personne ne peut cacher quoi que ce soit dans les parties communes.
L’œil du surveillant qui fait toute la différence
Je marche derrière Michel – prénom d’emprunt, évidemment. Une trentaine d’années de maison, le regard perçant et cette capacité rare à lire le langage corporel en une fraction de seconde. À peine la porte de la cellule ouverte, il me glisse à voix basse : « Celui-là n’est pas tranquille. Regarde comme il se baisse pour attraper sa chaussette. »
Dix secondes plus tard, bingo. Derrière la paroi en plastique qui sépare les toilettes du reste de la cellule (on appelle ça un « rideau de pudeur » –, une poche cousue main abrite un téléphone, trois cartes SIM et, cerise sur le gâteau, un petit routeur Wi-Fi. Oui, un routeur. Parce que les brouilleurs installés par l’administration, aussi sophistiqués soient-ils, ont leurs limites face à l’imagination humaine.
« Les détenus sont d’une ingéniosité à nulle autre pareille. On se doit d’être vigilant et de faire attention au moindre détail. »
Un surveillant expérimenté croisé ce soir-là
Cette phrase, je l’ai entendue au moins cinq fois dans la soirée. Et à chaque fois, elle sonnait juste. Parce que ce n’est pas seulement une question de flair. C’est une guerre d’usure entre ceux qui cachent et ceux qui cherchent.
Les cachettes les plus folles que j’ai vues
Je pourrais vous faire une liste interminable, mais voici les « classiques revisités » qui m’ont le plus marqué :
- Le téléphone scotché sous le rebord du lavabo, enveloppé dans du film plastique alimentaire pour l’étanchéité.
- La barrette de cannabis dissimulée dans le tube creux d’un balai-brosse des toilettes (oui, ils vident le manche).
- Le chargeur découpé et recollé dans la semelle d’une basket de sport – la semelle avait été recrée avec du silicone.
- Le mini-routeur planqué dans une boîte de conserve vide, étiquette d’origine conservée pour faire illusion dans le placard.
- Les cartes SIM glissées dans la reliure d’un Coran ou d’une Bible – sacrilège ou pas, ils n’hésitent pas.
Et puis il y a les techniques de pointe. Un détenu avait carrément fabriqué une fausse prise électrique. Vous dévissez la plaque, et derrière, un espace aménagé accueillait deux téléphones en charge permanente. Le tout branché sur le circuit officiel. Ingénieur, ce garçon ? Probablement.
130 grammes de cannabis et 27 téléphones : le bilan chiffré
À minuit passé, le décompte est tombé. Vingt-sept téléphones portables, plusieurs dizaines de cartes SIM, des chargeurs bricolés, des clés USB, et surtout 130 grammes de résine de cannabis. Sans parler des lames de cutter, des aiguilles et autres objets dangereux.
Est-ce beaucoup ? Est-ce peu ? Pour une seule prison, en une seule soirée, c’est énorme. Surtout quand on sait que la Santé n’est pas réputée pour être la plus « chaude » de France. Cela donne une idée de ce qui peut se passer dans d’autres établissements plus sensibles.
Ce qui m’a frappé, c’est que les surveillants ne triomphaient pas vraiment. Ils savent très bien que demain, ou après-demain, de nouveaux téléphones franchiront les portes. Par drone, par projection par-dessus le mur, via le personnel corrompu ou lors des parloirs, ou tout simplement lors des transferts médicaux. Le trafic ne s’arrête jamais complètement.
Comment tout cela arrive-t-il à l’intérieur ?
C’est la grande question. Et les réponses sont multiples.
Le parloir reste le canal numéro un. Un baiser un peu trop long, une étreinte un peu trop serrée, et hop, le « ballon » (petit paquet entouré de scotch et de film plastique) change de propriétaire. Les fouilles au retour de parloir existent, mais elles ne sont pas toujours aussi poussées qu’on l’imagine – question de droits et de dignité.
Ensuite, il y a les « yoyos » : un système de cordelette qui permet de faire passer des objets d’une fenêtre à l’autre pendant la promenade. Très pratique quand on a des cellules qui donnent sur la même cour.
Les drones, enfin, sont devenus un vrai fléau. Petits, discrets, capables de larguer un paquet de 200 grammes en pleine nuit. Certaines prisons ont installé des filets au-dessus des cours, mais à la Santé, le bâti historique rend la chose compliquée.
Les brouilleurs : solution miracle ou cautère sur jambe de bois ?
Depuis des années, l’administration installe des brouilleurs de fréquences dans les prisons. Théoriquement, plus aucun téléphone ne devrait capter. Sauf que… la réalité est tout autre.
Les nouveaux modèles de portables, surtout les chinois bon marché, arrivent à capter des fréquences que les brouilleurs anciens ne couvrent pas. D’où l’apparition des petits routeurs Wi-Fi saisis ce soir-là : ils créent un mini-réseau local qui permet de passer par la 4G/5G d’un téléphone extérieur tout en restant indétectable par les brouilleurs classiques.
Et puis il y a la guerre électronique permanente. Dès qu’un nouveau brouilleur est installé, les réseaux de trafiquants trouvent la parade en quelques semaines. C’est sans fin.
Et les détenus dans tout ça ?
Certains étaient résignés. « Vous en trouverez toujours, de toute façon », m’a lancé un jeune homme en me regardant vider sa cellule. D’autres étaient furieux, presque insultants. Quelques-uns jouaient la carte de l’humour : « Vous cherchez le trésor ? Il est pas là aujourd’hui ! »
Mais derrière la façade, il y a une réalité plus dure. Pour beaucoup, le téléphone, c’est le dernier lien avec l’extérieur. La voix d’une mère, d’une compagne, d’un enfant. Quand on vous le retire, c’est un peu comme si on vous coupait un membre.
Je ne justificatifs pas le trafic, loin de là. Mais passer une soirée entière dans ces cellules minuscules, avec l’odeur, le bruit, l’humidité, ça aide à comprendre pourquoi certains sont prêts à prendre tous les risques pour garder un bout de liberté.
Que va-t-il se passer maintenant ?
L’opération « fouille XXL » va continuer dans toute la France jusqu’à la fin de l’année. D’autres établissements vont être retournés, d’autres téléphones saisis, d’autres surveillants épuisés.
Mais la vraie question reste posée : peut-on vraiment gagner cette guerre d’usure avec les méthodes actuelles ? Ou faut-il imaginer autre chose – cabines téléphoniques sécurisées en plus grand nombre, tablettes contrôlées, meilleure formation du personnel ?
Ce soir-là, en quittant la Santé vers 1 heure du matin, j’étais partagé. Impressionné par le professionnalisme des agents. Sidéré par l’ingéniosité des détenus. Et finalement assez pessimiste sur l’issue d’un combat qui semble sans fin.
Parce qu’aussi longtemps qu’il y aura des hommes privés de liberté, il y aura des hommes qui chercheront à la reconquérir, même par un petit bout de plastique et de circuits électroniques.
Et ça, aucune fouille XXL ne pourra jamais complètement l’empêcher.
