Vous êtes-vous déjà demandé ce que ça fait de préparer pendant des années son départ pour étudier en France, d’économiser sou par sou, de batailler avec les visas… et de découvrir, quelques mois avant la rentrée, que les frais d’inscription viennent d’être multipliés par vingt ?
C’est exactement ce qui arrive en ce moment à des milliers d’étudiants originaires d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie. Et le symbole est lourd : c’est l’une des universités les plus prestigieuses du pays qui vient de franchir le pas.
Une décision votée à regret, mais votée quand même
Lundi soir, le conseil d’administration d’une grande université parisienne a adopté, par 18 voix pour, 15 contre et 3 abstentions, la fin partielle des exonérations de droits différenciés pour les étudiants extra-européens. Concrètement ? Les tarifs passent de quelques centaines d’euros à plusieurs milliers.
Pour être précis :
- En licence : de 178 € à 2 895 € par an
- En master : de 254 € à 3 941 € par an
- En doctorat : de 391 € à 3 941 €
Autant dire que pour beaucoup, c’est tout simplement rédhibitoire.
L’établissement a beau répéter que cette mesure a été prise « à regret » et « sous la contrainte budgétaire », le message est clair : une partie des étudiants internationaux ne sera plus la bienvenue si elle ne peut pas payer.
Un contexte budgétaire explosif que personne ne veut vraiment assumer
Depuis des années, les universités françaises répètent la même antienne : l’État nous laisse mourir à petit feu. Gel des dotations, hausse des charges, explosion des frais énergétiques, salaires qui ne suivent plus l’inflation… Le cocktail est violent.
Et quand on regarde les chiffres, on comprend mieux la panique. Certaines facs affichent des déficits abyssaux, d’autres sont obligées de piocher dans leurs réserves pour payer l’électricité. Alors oui, augmenter les frais des étudiants étrangers apparaît comme une solution rapide. Rapide, mais terriblement injuste.
« C’est une rustine discriminatoire sur un pneu crevé. On sait tous que ça ne résoudra rien sur le long terme, mais on n’a plus le choix. »
Un enseignant-chercheur ayant requis l’anonymat
J’ai discuté avec plusieurs collègues ces derniers jours. Beaucoup ont voté oui la mort dans l’âme. Certains ont même pleuré après le vote. C’est dire le climat.
Qui est vraiment concerné (et qui ne l’est pas)
Attention, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. L’université a prévu des exceptions :
- Les étudiants en situation d’exil (réfugiés, bénéficiaires de la protection subsidiaire)
- Les ressortissants des 44 pays les moins avancés selon l’ONU (Haïti, Madagascar, Burkina Faso…)
- Les doctorants financés sur contrats de recherche (mais seulement une partie)
Mais pour un étudiant marocain, tunisien, camerounais, vietnamien ou brésilien issu de la classe moyenne ? C’est la douche froide. Et c’est justement cette catégorie qui représente une large partie des inscrits dans les filières littéraires, juridiques ou économiques.
Résultat : on risque d’assister à une sélection par l’argent déguisée. Ceux qui pourront payer resteront. Les autres devront renoncer à leur rêve français.
Une mesure légale depuis 2019… mais que beaucoup refusaient d’appliquer
Petit retour en arrière nécessaire. En 2019, le gouvernement avait lancé la stratégie « Bienvenue en France » (le nom fait sourire aujourd’hui) qui autorisait les universités à appliquer des droits différenciés pour les étudiants extra-communautaires.
À l’époque, la mesure avait déclenché une bronca monumentale. Des présidents d’université avaient publiquement refusé de l’appliquer. Certains établissements continuaient même à exonérer totalement ou partiellement les étudiants concernés.
C’était une forme de résistance discrète, mais réelle.
Six ans plus tard, la résistance craque les uns après les autres. Et quand une université aussi symbolique cède, c’est tout l’édifice qui vacille.
Les étudiants et enseignants promettent déjà la guerre
Dès le lendemain du vote, les réactions à chaud.
« On ne laissera pas la Sorbonne devenir une université pour riches étrangers ou pour pauvres Européens. »
Une étudiante élue au CA
Une centaine d’enseignants-chercheurs ont signé une tribune très dure, parlant de « ligne rouge franchie » et de conséquences « catastrophiques ». Des assemblées générales se multiplient. On parle déjà de blocage, de grève des cours, de recours juridiques.
Et franchement, on les comprend. Quand on sait le parcours du combattant que représente déjà une inscription en France pour un étudiant étranger (dossier Campus France, caution financière, visa, caution logement…), rajouter 4 000 euros par an, c’est souvent l’obstacle de trop.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
À court terme, plusieurs hypothèses se dessinent :
- Le pourvoi en justice – Des associations étudiantes préparent déjà des recours devant le Conseil d’État. Elles estiment que la mesure viole le principe d’égalité.
- La mobilisation dure – Blocus, occupation, grève des enseignants solidaires… L’hiver pourrait être chaud dans les facs parisiennes.
- Le rétropédalage discret – L’université a déjà dit qu’elle « espère revenir sur la décision dès que la situation budgétaire le permettra ». Traduisez : si l’État met la main à la poche, on annulera tout.
Mais en attendant, ce sont des milliers de projets de vie qui sont mis entre parenthèses.
Ce que cette affaire dit de la France en 2025
Au-delà du cas particulier, c’est tout un modèle qui craque sous nos yeux. Celui d’une université publique gratuite et ouverte au monde.
On nous avait vendu la France comme une terre d’accueil pour les talents internationaux. On nous parlait de soft power, de rayonnement culturel, de diversité dans les amphis. Et voilà qu’on ferme la porte à ceux qui n’ont pas les moyens.
Il y a quelque chose de profondément triste là-dedans.
Triste, et surtout dangereux. Car pendant qu’on sélectionne nos étudiants à la portefeuille, d’autres pays (Canada, Allemagne, Pays-Bas…) continuent d’attirer les meilleurs profils avec des tarifs raisonnables et des bourses généreuses.
À force de se tirer des balles dans le pied, on risque de se retrouver avec des amphithéâtres vides… ou remplis uniquement d’étudiants qui ont les moyens.
Et ça, ce n’est pas vraiment la vision qu’on avait de l’université républicaine.
Alors oui, les universités sont en crise. Oui, il faut trouver des solutions. Mais est-ce vraiment en faisant payer les plus précaires qu’on va s’en sortir ?
J’ai comme un doute.
Affaire à suivre, très clairement. Et quelque chose me dit qu’on n’a pas fini d’en entendre parler.
