Il y a des soirs où tout semble écrit d’avance… et d’autres où le handball vous rappelle qu’il ne respecte rien ni personne. Vendredi à Rotterdam, l’équipe de France féminine a vécu la seconde option. Tenante du titre, favorite logique pour beaucoup, elle s’est pris un mur germanique de plein fouet : 29-23. Rideau. Plus de finale, plus de triplé historique en vue. Juste ce sentiment étrange, presque irréel, de voir un règne s’achever brutalement.
Je ne vais pas vous refaire le match minute par minute – d’autres l’ont déjà fait très bien. Non, ce qui m’intéresse, c’est de comprendre comment on en est arrivé là. Comment une équipe qui venait d’écraser le Danemark en quarts a pu tomber aussi bas, aussi vite, face à une Allemagne pourtant loin d’être invincible sur le papier.
Une entame catastrophique qui a tout plombé
Dès les premières minutes, quelque chose clochait. On sentait les Bleues crispées, presque paralysées. Les Allemandes, elles, jouaient libérées, comme si elles n’avaient rien à perdre – ce qui est exactement le cas quand on est outsider. Résultat ? 5-1 après huit minutes. Huit. Minutes. Autant dire une éternité dans un sport aussi rapide.
Ce départ canon des Allemandes n’était pas seulement dû à leur enthousiasme. Il y avait surtout cette Katharina Filter dans les cages. La gardienne du Bietigheim a tout simplement réalisé le match de sa vie : 16 arrêts, dont plusieurs à 7 mètres, et une présence qui a fini par pesser sur chaque tir français. À un moment, on avait l’impression que les Bleues tiraient directement dans ses gants, comme aimantées.
« On n’a pas réussi à stopper leur jeu, elles ont eu beaucoup plus de pénaltys que nous. On n’a pas été à la hauteur en défense, on n’a pas aidé nos gardiennes… »
Lucie Granier, ailère de l’équipe de France, juste après le match
Une défense française aux abonnés absents
Parlons-en, justement, de cette défense. Habituellement le point fort des Bleues, elle a complètement volé en éclats. Les bases arrières allemandes – je pense notamment à Alina Grijseels ou Antje Döll – ont trouvé des espaces béants à 9-10 mètres. Elles ont « canardé », comme disait Sébastien Gardillou, et presque tout est rentré.
Le pire ? Les pertes de balle en attaque placée qui ont offert des contre-attaques faciles. Quand tu perds 14 ballons (chiffre officiel) face à une équipe aussi rapide en transition, tu signes toi-même ta condamnation. Point.
- 14 pertes de balle françaises (contre 8 seulement côté allemand)
- Seulement 43 % de tirs réussis pour les Bleues
- 16 arrêts pour Filter (meilleure performance du tournoi à ce stade)
- 11 pénaltys obtenus par l’Allemagne contre 4 pour la France
Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils racontent une soirée où rien n’a fonctionné, où chaque secteur a lâché au pire moment.
Sébastien Gardillou : « On tombe contre plus fortes que nous »
Le sélectionneur a eu cette phrase, forcément difficile à entendre pour les supporters : « On tombe contre plus fortes que nous ». Difficile, oui, mais honnête. Parfois, il faut savoir reconnaître quand l’adversaire a simplement été meilleur. Et vendredi, c’était le cas.
Gardillou a quand même tenu à souligner le cœur mis par ses joueuses. « Les filles ont donné énormément, elles ont été conquérantes et combattantes », a-t-il insisté. C’est vrai : même menées de 8-9 buts, elles n’ont jamais complètement lâché. Elles sont revenues à -4 à l’entame du money-time. Mais il était trop tard. Le mal était fait.
Léna Grandveau, seule lumière dans la nuit
À 22 ans seulement, elle a encore montré pourquoi tout le monde s’accorde à dire qu’elle est l’avenir – et déjà le présent – du handball français. 7 buts, dont plusieurs en lucarne alors que le score était déjà très mal embarqué. Elle a tenté, provoqué, pris des responsabilités que certaines joueuses plus expérimentées n’ont pas osé prendre.
On l’a vue, à plusieurs reprises, secouer la tête, presque seule au milieu du terrain, comme si elle se demandait où étaient passées ses coéquipières. Ce n’est pas un reproche : c’est juste la réalité d’une gamine qui a dû porter l’équipe sur ses épaules pendant que d’autres, beaucoup plus capées, passaient à côté.
Et maintenant ? La médaille de bronze, un lot de consolation ?
Dimanche, il y aura un match pour la troisième place. Contre la Norvège ou les Pays-Bas – deux équipes largement à la portée des Bleues quand elles jouent à leur niveau. Objectivement, repartir sans médaille serait une catastrophe. Mais soyons honnêtes : après une telle désillusion, est-ce que cette « petite » médaille suffira à panser les plaies ?
Je ne le crois pas. Parce que cette génération avait rendez-vous avec l’histoire. Un troisième titre mondial consécutif, personne ne l’a jamais fait chez les femmes. On en parlait comme d’une évidence il y a encore quelques jours. Aujourd’hui, ce rêve est brisé, et il faudra du temps pour digérer.
Le handball français féminin est-il en danger ?
Attention, ne tirons pas sur l’ambulance. Cette équipe reste ultra compétitive : championne olympique en titre, championne du monde sortante, finaliste des deux derniers Euros. Le palmarès est dingue. Mais il y a quand même des signaux inquiétants.
Depuis le départ d’Olivier Krumbholz, on sent une forme d’hésitation, une recherche d’identité. Sébastien Gardillou fait ce qu’il peut, mais il n’a pas encore totalement imprimé sa patte. Et puis il y a cette usure mentale : quand tu gagnes tout depuis des années, arriver encore à se motiver pour chaque compétition devient un défi en soi.
Enfin, il y a le contexte du handball féminin français en club. On le dit assez peu, mais plusieurs gros clubs sont en grande difficulté financière. Moins de moyens, moins de visibilité, moins d’attrait pour les jeunes générations… Tout ça finit par peser, même sur l’équipe nationale.
Ce qu’il faut retenir de Rotterdam 2025
- L’Allemagne est bel et bien de retour au premier plan
- Les Bleues ont encore les armes pour dominer le handball mondial… mais plus toutes seules
- La relève est là (Grandveau, Toublanc, etc.) mais l’expérience manque parfois de mordant
- Une gardienne peut, à elle seule, renverser un match de ce niveau
- Le titre se jouera dimanche entre Allemagne et très probablement la Norvège – un air de déjà-vu
Dimanche, donc, dernier match de l’année. Une médaille de bronze serait une belle façon de ne pas tout gâcher. Mais on le sait tous : elle aura un goût amer. Parce que cette fois, on visait l’or. Et on est passés complètement à côté.
Allez les Bleues. On croit encore en vous. Même quand ça fait mal.
(Article écrit le regard encore rivé sur le tableau d’affichage de Rotterdam. Parce que parfois, le handball fait plus mal que n’importe quel autre sport.)
