Quand on pense artillerie moderne, on imagine souvent des images un peu floues de champs de bataille lointains. Et puis il y a le Caesar. Franchement, ces derniers années, ce canon automoteur français s’est taillé une réputation qui fait presque peur : précis, mobile, capable de tirer à plus de 40 km et de décamper en moins de deux minutes. En Ukraine, il a carrément changé la donne. Alors quand un pays membre de l’UE et de l’OTAN comme la Croatie décide d’en commander 18 d’un coup, on se dit que ce n’est pas anodin.
Un contrat à 320 millions qui sent la poudre… et la stratégie
Ce n’est pas tous les jours qu’un deal militaire de cette taille passe presque sous silence médiatique français. Pourtant, le montant donne le tournis : 320 millions d’euros pour dix-huit canons Caesar dernière génération. Autant dire que Zagreb ne l’a pas fait sur un coup de tête. La visite du Premier ministre croate à Paris début décembre 2025 a scellé l’affaire en grande pompe, avec poignées de main devant les caméras et tout le toutim.
Ce qui m’a marqué, c’est la rapidité avec laquelle tout s’est enchaîné. Les discussions sérieuses avaient commencé il y a à peine un an, et voilà le contrat signé, financé en partie par le nouvel instrument européen Safe (celui-là même que Paris pousse depuis des mois pour relancer l’industrie de défense continentale). On sent la volonté politique des deux côtés.
Pourquoi la Croatie a craqué pour le Caesar
La réponse est assez simple : elle a vu ce que l’outil donnait sur le terrain ukrainien. Mobilité exceptionnelle, précision chirurgicale, capacité à opérer en mode « tire et fuis »… Tout ce qu’il faut quand on partage plus de 1 000 km de frontière avec des zones instables (Bosnie, Serbie) et qu’on veut moderniser une artillerie héritée en grande partie de l’époque yougoslave.
- Remplacement progressif des vieux obusiers M-46 et D-30 d’origine soviétique
- Portée supérieure à 42 km avec les munitions spéciales
- Temps de mise en batterie inférieur à 60 secondes
- Équipage réduit à 5 servants au lieu de 8-10 sur les systèmes anciens
- Compatibilité totale avec les standards OTAN
Autrement dit, la Croatie passe directement dans la cour des grands en matière d’artillerie. Et elle le fait avec un système qui a prouvé qu’il pouvait tenir tête à des adversaires bien plus puissants.
« C’est une arme extrêmement efficace qui permet de fournir des tirs à la fois précis et à grande distance. »
Un général français ayant servi à l’ONU
Le bonus Rafale qui change tout
Mais le vrai coup de génie diplomatique, c’est la lettre d’intention signée dans la foulée pour moderniser les douze Rafale que la Croatie a achetés en 2021. On parle là d’un passage au standard F4 (ou équivalent), celui-là même que l’armée de l’air française commence tout juste à recevoir.
Concrètement ? Radar plus puissant, liaison de données améliorée, nouveaux missiles air-air Meteor à très longue portée, capacité à emporter les bombes AASM guidées laser/GPS, casque à visée tête haute dernière génération… Bref, la totale. La Croatie aura ainsi une petite flotte ultra-moderne, capable de rivaliser avec n’importe quel voisin dans les Balkans ou en Méditerranée orientale.
Et là, je vous vois venir : « Oui mais ça coûte combien ? » Mystère total pour l’instant. Les négociations techniques commencent seulement. Mais vu le prix d’un kit de modernisation F4 estimé entre 80 et 120 millions par appareil en France, on peut imaginer une facture qui dépassera facilement le milliard d’euros à terme. Un investissement colossal pour un pays de 3,8 millions d’habitants.
L’Europe de la défense prend enfin chair
Ce qui est passionnant dans cette affaire, c’est le contexte européen. Paris pousse depuis 2022 pour que les budgets de réarmement profitent d’abord aux industriels du continent. Et là, ça marche : financement partiel via Safe, matériel 100 % européen, coopération technique longue durée.
J’ai presque envie de dire que c’est une petite revanche après les critiques sur le choix croate du Rafale en 2021 (beaucoup s’attendaient à ce que Zagreb prenne des F-16 américains moins chers). Quatre ans plus tard, la Croatie revient vers la France pour tout le reste. Preuve que le couple Rafale + Caesar forme un duo commercial redoutable.
D’ailleurs, les chiffres parlent d’eux-mêmes :
| Pays ayant choisi le Caesar depuis 2022 | Nombre de Caesar commandés |
| Ukraine (dons + achats) | Plus de 70 |
| Arménie | 36 |
| Lituanie | 18 |
| Belgique | 28 |
| République tchèque | 62 |
| Croatie | 18 |
On frôle les 250 exemplaires vendus ou donnés en moins de quatre ans. Pour un système qui n’existait presque pas à l’export avant 2022, c’est une performance commerciale absolument dingue.
Et la France dans tout ça ?
Forcément, l’industrie française se frotte les mains. Nexter (qui fabrique le Caesar) tourne à plein régime, Dassault voit ses chaînes Rafale sécurisées pour des années, et tout l’écosystème (Thales, Safran, MBDA…) profite de la dynamique.
Mais il y a aussi un aspect stratégique moins visible : chaque Caesar vendu, c’est un peu plus d’interopérabilité OTAN avec des munitions et des doctrines françaises. Chaque Rafale modernisé aux standards tricolores renforce la place de Paris comme leader technologique en Europe.
Franchement, on est loin de l’époque où la France peinait à vendre ses armes haut de gamme. Aujourd’hui, le Caesar est devenu l’AK-47 de l’artillerie occidentale : tout le monde en veut, tout le monde en parle, et ceux qui l’ont ne veulent plus le lâcher.
Ce que ça dit de l’état du monde en 2025
Parce qu’au fond, ce contrat croate n’est qu’un symptôme. Partout en Europe de l’Est et dans les Balkans, les armées se rééquipent à marche forcée. La Lituanie commande des Caesar, la Roumanie négocie des Rafale, la Pologne achète tout ce qui passe en quantités industrielles…
Et la Croatie, coincée entre une Serbie qui se réarme avec du matériel chinois et russe et une Bosnie toujours fragile, n’a pas vraiment le choix. Elle doit montrer qu’elle peut se défendre seule si besoin. Le message est clair : on ne compte plus uniquement sur la solidarité OTAN, on veut les moyens de tenir quelques semaines en cas de gros pépin.
Alors oui, 320 millions d’euros pour 18 canons, ça peut paraître énorme. Mais rapporté à la sécurité nationale et à la crédibilité régionale, c’est presque une affaire.
Et quelque part, ça me fait réfléchir : on vit une époque où un outil de guerre devient un bestseller mondial parce qu’il sauve des vies sur un front à 2 000 km de chez nous. Drôle de monde.
En résumé, ce contrat croate n’est pas qu’une ligne de plus dans le carnet de commandes français. C’est la concrétisation d’une vision : une Europe qui se dote enfin des moyens de ses ambitions stratégiques, avec la France en chef de file technologique. Les 18 Caesar qui prendront la route de l’Adriatique en 2026-2027 ne seront que les premiers d’une longue série, j’en mettrais ma main à couper.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Est-ce que l’Europe est en train de enfin se réveiller militairement, ou est-ce juste une course à l’armement qui nous échappe ? Les commentaires sont ouverts.
