Il est un peu plus de 22 h 30 en ce début décembre, et la nuit est déjà bien installée sur Valenton. Dans une petite artère tranquille, le chemin des Aulnettes, quelque chose vient de se produire qui aurait pu tourner au drame absolu. Un homme marche péniblement, les deux cuisses en sang, mais il marche. Il pousse la porte de son immeuble, grimpe jusqu’à son appartement et, seulement là, compose le numéro des secours. Deux impacts de balle, un dans chaque jambe. Pourtant, quand les policiers lui demandent ce qui s’est passé, il se mure dans un silence presque irréel.
Ce genre d’histoire, on croit le connaître par cœur quand on suit un peu l’actualité des banlieues franciliennes. Et puis, il y a ces détails qui font froid dans le dos et qui rappellent que la réalité dépasse souvent la fiction.
Une soirée qui bascule en quelques secondes
Tout commence donc lundi 1er décembre, peu avant 23 heures. Les pompiers reçoivent un appel : un homme blessé par balle vient de rentrer chez lui. Quand les secours et la police arrivent sur place, la scène est surréaliste. L’homme est conscient, allongé sur le sol du salon, entouré de sa famille qui tente tant bien que mal de juguler l’hémorragie. Il a été touché à la cuisse gauche et à la cuisse droite – deux blessures sérieuses, mais qui, heureusement, n’ont pas sectionné d’artère majeure.
Ce qui interpelle immédiatement les enquêteurs, c’est la distance parcourue. La victime a marché plusieurs dizaines de mètres, peut-être plus, avec deux balles dans les jambes, avant de regagner son domicile. Du sang sur le trottoir, des gouttes qui forment une traînée macabre jusqu’à l’entrée de l’immeuble. Comment a-t-il tenu le coup ? La douleur a dû être insoutenable.
Très vite, les policiers ratissent le secteur. À quelques mètres seulement, place Paul-Vaillant-Couturier, ils mettent la main sur une cartouche non percutée. Un indice minuscule, mais qui confirme que les tirs ont bien eu lieu à proximité. Peut-être un incident mécanique, peut-être une tentative d’intimidation qui a mal tourné. En tout cas, quelqu’un a vidé son chargeur – ou une partie – sur cet homme.
Le mur du silence
Mais là où l’affaire prend une tournure presque cinématographique, c’est lorsque les enquêteurs tentent d’obtenir des explications. Rien. Absolument rien. L’homme, évacué sous escorte vers l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, refuse de répondre à la moindre question. Pas de description des tireurs, pas de mobile évoqué, pas même un « je ne sais pas » de circonstance.
Les policiers parlent d’une victime très peu coopérative. Le terme est poli. En langage de terrain, on dirait plutôt qu’il applique à la lettre le fameux « code de la rue » : on ne parle pas à la police, jamais. Même quand on vient de frôler la mort.
« Il est sorti de prison récemment », glisse une source proche du dossier.
Et là, tout à coup, les pièces du puzzle commencent à se mettre en place. Un passé judiciaire, une sortie récente… Dans certains quartiers, ça suffit parfois à vous mettre une cible dans le dos. Règlement de comptes ? Vengeance ? Histoire de dette ou de territoire ? Les hypothèses fusent, mais sans le témoignage de la principale intéressée, l’enquête risque de tourner en rond longtemps.
Valenton, une commune sous tension
Valenton, ce n’est pas Marseille ni Sevran, mais la ville n’est pas épargnée par la violence liée au trafic de stupéfiants. Ces dernières années, plusieurs fusillades ont éclaté dans le Val-de-Marne, souvent en lien avec des rivalités entre bandes. On se souvient encore de l’été 2023 où deux hommes avaient été arrêtés avec tout un arsenal après une autre tentative d’homicide dans la même commune.
Le chemin des Aulnettes, lui, n’est pas particulièrement connu comme un point chaud. C’est même plutôt une zone résidentielle, avec ses petits immeubles des années 70 et ses jardins ouvriers. Mais la drogue n’a pas besoin de grands boulevards pour s’installer. Elle s’infiltre partout où il y a de l’argent à se faire.
- Des points de deal discrets mais actifs
- Des jeunes qui montent en puissance
- Des anciens qui refusent de lâcher leur territoire
- Et parfois, des balles qui parlent quand les mots ne suffisent plus
Cette fois, les tirs ont visé les jambes. Dans le jargon, on appelle ça « plomber » quelqu’un. Un message clair : on aurait pu te tuer, mais on t’a laissé la vie sauve. En échange, peut-être, d’un silence éternel.
Une enquête en flagrance pour tentative de meurtre
Le parquet de Créteil n’a pas hésité : l’affaire est qualifiée de tentative de meurtre et confiée au Service départemental de police judiciaire du 94. Les enquêteurs vont éplucher les caméras de vidéosurveillance – s’il y en a –, analyser la balistique, remonter les téléphones portables bornés dans le secteur à l’heure des faits. Un travail de fourmi.
Mais sans la parole de la victime, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. J’ai vu ça des dizaines de fois dans ma carrière de suivi des faits divers : tant que la personne visée ne parle pas, les auteurs dorment tranquilles. Et parfois, ils reviennent finir le travail.
Car c’est peut-être l’aspect le plus inquiétant de cette histoire. L’homme est vivant, certes. Mais s’il s’agit bien d’un avertissement, qu’arrivera-t-il s’il ne respecte pas la règle implicite ? Sa famille vit dans le même immeuble. Ses enfants, s’il en a, jouent probablement dans la même cour.
Le poids du non-dit dans les quartiers
On pourrait se dire que dénoncer ses agresseurs est la chose la plus logique à faire. Et pourtant. Dans certains milieux, parler à la police, c’est signer son arrêt de mort – ou celui de ses proches. C’est une réalité brutale, mais c’est une réalité.
Je me souviens d’un ancien policier qui m’avait confié, un jour : « On a beau mettre des moyens, des brigades anti-criminalité, des caméras partout… Tant que les victimes elles-mêmes refusent de nous aider, on court après des fantômes. »
Et ce n’est pas qu’une question de peur. C’est aussi une forme de code d’honneur dévoyé, une culture du « on règle ça entre nous ». Une culture qui coûte des vies, année après année.
Et maintenant ?
Pour l’instant, l’homme est toujours hospitalisé. Ses jours ne sont pas en danger, mais il gardera sans doute des séquelles. Les enquêteurs, eux, continuent leur travail dans l’ombre. Peut-être qu’un témoin finira par se manifester. Peut-être qu’une caméra aura capturé quelque chose d’exploitable. Peut-être que la victime, un jour, changera d’avis.
Mais en attendant, cette fusillade reste un mystère. Un de plus dans la litanie des violences qui touchent nos banlieues. Un mystère qui dit beaucoup, finalement, sur l’état de certaines cités en 2025 : des territoires où la loi de la République peine parfois à s’imposer face à d’autres lois, plus anciennes, plus impitoyables.
Et nous, on reste là, à se demander jusqu’à quand.
(Article mis à jour le 3 décembre 2025 – L’enquête est toujours en cours)
